Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Bidonvilles : sortir du déni

Bidonvilles : le déni n’est pas une politique

Bidonville de la Campa, La Courneuve, 1966. © ATD Quart Monde, Revue Igloos, Loïc Prat.
Bidonville de la Campa, La Courneuve, 1966. © ATD Quart Monde, Revue Igloos, Loïc Prat.

En 2008, l’opinion occidentale s’émouvait des expulsions forcées, à Pékin, à l’approche des Jeux olympiques. Même empathie à l’endroit des favelas de Rio, objet d’un « nettoyage social » en règle avant le Mondial de foot de 2014 au Brésil. En Île-de-France, c’est avant la Conférence climat, la Cop21, que les autorités veulent faire « place nette ». Le 27 août 2015, à la Courneuve, 300 personnes étaient expulsées du plus vieux bidonville de France. À quelques encablures de notre rédaction… Certaines familles vivaient là depuis sept ans. Le Défenseur des droits, les associations, l’évêque se sont indignés, mais quel relais dans l’opinion ? Le bidonville fait tache dans le paysage urbain. On ne veut pas le voir. Alors on rase. Problème résolu, feint-on de croire. Mais que deviennent ses habitants ? Leur quotidien est une fuite permanente, une précarité de tous les instants (cf. L. Otal), une vaine tentative de se réinstaller, de s’attacher à un territoire, à ses habitants (cf. F. Loret)… jusqu’à la prochaine expulsion (cf. C. Guérin). Absurde.

Sortons du déni ! Nous avons dérogé, pour ce numéro, à notre habitude de ponctuer le titre d’un point d’interrogation. Car, avant de pouvoir débattre des solutions, il faut admettre que les bidonvilles sont bien là. Que leurs habitants n’ont pas choisi de vivre ainsi.

Sortir du déni est un préalable pour sortir de l’impasse. Alors seulement on peut analyser avec justesse, réfléchir aux réponses à apporter. La mise en perspective historique fait apparaître de saisissantes continuités, entre « la Zone » qui jouxtait Paris dès le XIXe siècle et les campements actuels (cf. M. Olivera). Aujourd’hui comme hier, on se drape dans un manteau de vertu pour justifier l’éradication de cet habitat incontrôlé, « indigne » de notre époque... Et l’on tente d’ethniciser la question. Il est si commode de la réduire à un « problème rom », d’y voir un soi-disant mode de vie traditionnel incompatible avec la République (cf. M. Fillonneau). C’est oublier un peu vite que les bidonvilles et leurs quelque 20 000 habitants ne sont jamais qu’un symptôme d’une vaste crise du logement, qui touche 10 millions de personnes en France (cf. M. Domergue et F. Huyghe). C’est fermer les yeux, aussi, sur des politiques de tri social qui, en France comme ailleurs en Europe, font le lit de tels lieux de relégation (cf. T. Vitale et T. Aguilera).

Sortir du déni, c’est aussi ouvrir les yeux sur des habitants de nos villes, leurs aspirations, leurs ressources, leurs savoir-faire (cf. G. Cousin). Et constater qu’ailleurs dans le monde, cette « fabrique populaire de la ville », non programmée par les urbanistes, amène les professionnels et les administrations à modifier leurs pratiques (cf. F. Gerbeaud, C. Motta et L. Sobotová). À durcir les murs élevés par des sans-logis, à relier les nouveaux quartiers au tissu urbain, plutôt qu’à les anéantir. Au fond, les bidonvilles interrogent notre façon de faire la ville : est-elle réservée à celles et ceux que l’on avait prévu d’accueillir ? Dans un pays à la tradition étatiste descendante comme le nôtre, la conception de la Cité semble entièrement déléguée aux élus et à leurs experts (cf. S. Grisot). Pourtant, en matière d’urbanisme comme en matière d’emploi ou d’asile, la décision publique n’est pas toujours guidée par l’intérêt général. Elle n’est pas hermétique aux logiques de performance économique et d’exclusion sociale. Des logiques contre lesquelles les bidonvilles, auto-construits, autogérés, représentent une forme de résistance (cf. Y. Jouffe, C. Mathivet, C. Pulgar). Certains élus l’ont compris, qui travaillent étroitement avec les familles concernées, les associations, les services sociaux, pour concevoir des réponses durables (cf. M.-D. Dreyssé).

Sortir du déni, c’est peut-être aussi reconnaître, avec le pape François (à Santa Cruz en 2015), que « vous, les plus humbles, les exploités, les pauvres et les exclus, (…) l’avenir de l’humanité est, dans une grande mesure, dans vos mains, dans votre capacité de vous organiser et de promouvoir des alternatives créatives, dans la recherche quotidienne des 3 T (travail, toit, terre)… ».

J'achète Le numéro !
Bidonvilles : sortir du déni
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

Le platz des Roms

Des baraques à bas coût faciles à installer, un voisinage constitué au gré des rencontres, une vie économique propre, une organisation sociale hiérarchisée… Une équipe de chercheurs a mené l’enquête dans plusieurs platz d’Île-de-France, ces bidonvilles habités par des Roms, pour restituer leur quotidien. Résurgence contemporaine d’anciennes formes d’habiter, le bidonville rom s’inscrit au g...

Voyage dans le ventre de Mumbai

À Dharavi, en plein cœur de Mumbai, les habitants s’organisent pour survivre au développement urbain. Entre misère et débrouille, témoignage d’une visite touristique loin des sentiers battus, à la découverte des habitants et des métiers du bidonville. Cet article a été publié une première fois, en italien, par la revue Aggiornamenti Sociali. Et s’il existait, même pour les objets d’usage quotidien, un lieu où expier les péchés ? Flacons de plastique et bidons, montres et colliers, portables et m...

Une ZAD qui s’ignore

En affirmant un droit à habiter la ville en son centre, les bidonvilles posent un acte de résistance à l’ordre établi. Et si, de lieux de relégation, ils devenaient espaces d’émancipation ? Les auteurs plaident pour un urbanisme politique, les « invisibles » devenant producteurs de la ville, à la place d’un urbanisme policier qui ordonne et exclut. Les bidonvilles sont à première vue un foyer de dysfonctionnements sociaux et urbains. Ils appellent en fait des transformations qui les dépassent, d...

Du même auteur

Chocolat amer

L’or brun. En Côte d’Ivoire, les fèves de cacao font vivre une bonne partie de la population. Mais elles aiguisent aussi les appétits. Non sans conséquences sur les fuites de capitaux, l’impossibilité de déloger la classe dirigeante et la violence  armée. C’est ce que révèle cette enquête… au goût amer. Un seul pays d’Afrique est leader mondial dans l’exportation d’une matière première a...

Pour une économie relationnelle

« On peut en savoir beaucoup sur quelqu’un à ses chaussures ; où il va, où il est allé ; qui il est ; qui il cherche à donner l’impression qu’il est ». À cette observation de Forrest Gump dans le film éponyme1, on pourrait ajouter : « Quel monde il invente ». Car l’analyse du secteur de la chaussure, objet du quotidien s’il en est, en dit long sur notre système économique. Un système qui divise. À commencer par les humains : quel acheteur est capable de mettre un visage derrière la fabrication ...

Libérons-nous de la prison !

Nous aurions pu, comme en 1990, intituler ce numéro « Dépeupler les prisons » (Projet, n° 222). Car de l’inventaire dressé alors, il n’y a pas grand-chose à retirer. Les conditions de vie en détention, notamment pour les courtes peines et les détenus en attente de jugement, restent indignes d’un pays qui se veut « patrie des droits de l’homme ». Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Sans mesurer que plus le parc pénit...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules