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L’accession de Mayotte au statut de département d’outre-mer (Dom) en 2011 pourrait laisser croire à une normalisation de sa situation au sein de l’outre-mer français, mais elle reste la plus africaine des îles de la République. Mayotte est la seule des quatre îles de l’archipel des Comores à avoir fait le choix de rester française au moment de l’indépendance de 1976, et si elle a vécu depuis à l’écart des douloureux soubresauts de l’histoire de ses sœurs, elle n’a pas pour autant rompu tout lien.
Largement perfusée par la métropole, Mayotte a connu un développement extrêmement rapide depuis la fin des années 70. Un développement qui a creusé l’écart avec le reste de l’archipel, et notamment l’île d’Anjouan, distante d’à peine 60 kilomètres. Baisse de la mortalité, transition démographique inachevée, immigration clandestine massive en provenance des Comores… Autant de facteurs cumulés qui ont fait exploser le peuplement de l’île. Mayotte a ainsi vu sa population tripler depuis 1985, pour dépasser les 210 000 habitants en 2012, avec un taux de croissance annuelle soutenu de 2,7 % par an sur l’ensemble de l’île, dépassant les 8 % sur certaines communes.
Cette croissance, dont la rapidité est difficilement appréhendable depuis la métropole, s’accompagne d’une expansion très rapide de la tache urbaine autour des principales agglomérations. Expansion si rapide qu’elle déborde le rythme de développement des infrastructures, et rend obsolète les plans d’aménagement avant même qu’ils n’entrent en vigueur.
Les bidonvilles ont désormais conquis les pentes abruptes de cette île volcanique et les franges des mangroves à quelques mètres du lagon, au mépris des risques naturels multiples qui les menacent régulièrement (glissements de terrain, cyclones, tremblements de terre, etc.). Les constructions en terre, bambou et feuilles de palmier ont cédé depuis longtemps la place aux tôles ondulées ; la précarité et l’insalubrité s’amplifient avec l’extension de ces quartiers qui regroupent souvent plusieurs centaines d’habitants, pour beaucoup clandestins…
Si la transformation de cette ville spontanée en ville organisée est amorcée, le processus n’est ni doux ni linéaire. Symbolisée par le passage du bâti en « dur », par opposition au « mou » de la tôle et des planches, la mutation du bidonville en morceau de ville est un processus de mise aux normes qui transforme aussi le peuplement de ces quartiers, au-delà de leur seule forme bâtie.
Symbolisée par le passage du bâti en « dur », la mutation du bidonville en morceau de ville est un processus de mise aux normes qui transforme aussi le peuplement de ces quartiers.
Le processus de « durcification », engagé essentiellement par l’État, est aussi volontariste qu’impuissant. Mené uniquement sur les rares secteurs officiellement dédiés à l’urbanisation, la résorption de l’insalubrité nie de fait l’existence d’une urbanisation massive des pentes et des secteurs à risque qui s’étale sous les fenêtres de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal). Là où elle est amorcée, la durcification permet la légalisation des occupations foncières, l’aménagement et l’assainissement des quartiers, voire la mutation du bâti par la construction de logements sociaux attribués à quelques-uns. La tôle des murs cède la place aux parpaings qui s’empilent, les maisons prennent de la hauteur en passant un peu naïvement à l’étage, la poussière et la boue des venelles disparaissent au profit de l’enrobé et des pavés en béton de rues aux tracés plus rectilignes.
Cette mutation prend du temps – souvent trop –, mais elle permet d’intégrer à la ville organisée certains quartiers spontanés, en s’inspirant parfois de l’intelligence des trames ambiguës de ces morceaux de ville opportunément construits sans urbanistes.
Mais ce processus de durcification ne résout pas les problèmes, il les déplace. Concentrées sur les seuls secteurs où l’urbanisation est légalisable, les politiques de l’État sont aussi ciblées sur les seuls habitants de ces quartiers qui ont une existence reconnue : elles repoussent ailleurs l’essentiel de la population des bidonvilles, qui s’organise pour amorcer l’urbanisation illégale de nouvelles pentes. Plus loin des regards…
Cet abandon d’une part du territoire et de sa population est le fruit d’une double ambiguïté de l’intervention urbaine. D’abord, une attitude légaliste et hygiéniste – sans doute très française – fonde toute intervention sur l’impérieuse nécessité de mettre aux normes, de légaliser la croissance urbaine, quitte à abandonner à leur sort des quartiers et des populations qui ne pourront pas prendre part à la ville légale. Pas d’intervention a minima, pas d’améliorations graduelles, et finalement aucune alternative entre l’inaction et l’intervention massive, pas de voie médiane entre l’abandon et la coupe réglée. Et pourtant il faudrait intervenir dans ces quartiers : créer des postes avancés permettant d’offrir des équipements sanitaires et des lieux pour accueillir permanences sociales et médicales, créer des accès pour les véhicules de secours, stabiliser les secteurs érodés, sécuriser les ravines, conseiller les habitants pour améliorer la sécurité des bâtis, réguler l’usage du foncier, lutter contre les marchands de sommeil, anticiper le risque cyclonique…
La seconde ambiguïté que révèlent cette inaction et cette impuissance est sans doute liée au regard confus porté sur ces bidonvilles par la profession de l’urbanisme, dans son acception la plus large. Le bidonville est le symbole inacceptable de la ville non finie, il est par nature une étape de transition : une étape de la ville qui se durcit, une étape de la vie de ses habitants qui passent par ce seuil pour accéder au monde urbain.
Il faudrait enfin admettre que l’intervention urbaine ne vise pas à créer la ville parfaite mais à accompagner un processus.
Il faudrait enfin admettre que l’intervention urbaine ne vise pas à créer la ville parfaite, finie, mais à accompagner un processus, le guider, l’améliorer. Elle doit être à l’écoute du réel, de ce qu’est la ville et non pas de ce qu’elle devrait être. Elle doit oublier la vue aérienne et les plans quinquennaux pour embrasser le regard de l’habitant et les urgences de son quotidien, accepter l’imperfection et la déviance, améliorer plutôt que mettre aux normes, avancer par petits pas, mais avancer vite.
Le PIB par habitant reste 2,7 fois plus élevé à La Réunion et 4,5 fois plus élevé dans l’Hexagone.
Le taux de mortalité est passé de 25 ‰ habitants lors du recensement de 1958, à 7,36 ‰ en 2008.
L’indice synthétique de fécondité restait de 4,1 enfants par femme en 2012 contre 8,1 en 1978. Mayotte est la première maternité de France pour le nombre de naissances.
Selon les estimations officielles, entre 25 et 30 % de la population de Mayotte était constituée d’étrangers en situation irrégulière en 2013.
Il n’y a par nature pas de données exhaustives sur la population des bidonvilles à l’échelle de l’île. Les seules données fiables sont issues des enquêtes de terrain menées sur certains quartiers, toujours différentes et difficiles à agréger. Il est toutefois certain que plusieurs dizaines de milliers de personnes sont concernées.