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L’année 2015 sonnera l’heure du bilan des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La communauté internationale aura quelque raison de se féliciter. Elle avait promis en 2000 de réduire de moitié la part de la population en situation de grande pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour). Promesse tenue. Dans les pays en développement, le ratio est tombé à 22 % en 2010, contre 47 % en 1990. Sur la même période, l’accès à l’eau potable a été amélioré pour 2 milliards de personnes. Et l’illettrisme régresse rapidement, en particulier chez les femmes. Les responsables politiques réunis à l’Onu se garderont cependant de pavoiser. Choisis parce qu’ils étaient accessibles, les OMD ne seront pas tous atteints (éducation primaire pour tous, réduction des deux tiers de la mortalité infantile…). Un être humain sur huit souffre encore de la faim. Si la Chine tire le bilan mondial vers le haut, les progrès sont plus lents ailleurs, en Afrique notamment. Et la route, encore longue, est semée d’embûches, dès lors que nos modes de développement détruisent l’écosystème qui nous fait vivre.
Quel cap se donne notre humanité ? La question est abyssale. Elle est pourtant à l’ordre du jour. Les motifs d’espoir ne sont pas négligeables (cf. J.-M. Severino et M. Bouyé). L’échéance, préparée de longue date, donne du temps à la négociation. Un consensus devrait se dégager autour d’objectifs chiffrés, dont l’éradication de la grande pauvreté d’ici 2030, mais aussi – c’est nouveau – en matière d’emploi et de réduction des inégalités. Développement humain et développement durable seront, pour la première fois, envisagés conjointement, même si l’énorme chantier climatique sera négocié à part. Là où les OMD relevaient des bonnes œuvres des pays riches, le sommet de 2015 couronnera des objectifs s’appliquant à tous les pays : nul n’a de leçons à donner en matière de lutte contre la pauvreté ! Mais bien des interrogations demeurent.
Trop souvent le développement se retourne contre ses supposés bénéficiaires, expulsés, humiliés, au Cameroun comme aux Philippines. « Ce que vous faites pour moi, mais sans moi, vous le faites contre moi », disait Gandhi. Si le monde ne veut laisser personne de côté, comme l’y invite le panel onusien préparatoire à 2015, alors il faut associer les plus pauvres aux décisions qui les concernent (cf. X. Godinot).
De quoi notre monde est-il riche ? Confondre croissance du Pib et développement reste une illusion répandue : l’Inde en symbolise les écueils (cf. A. Sen et J. Drèze). Le débat sur les indicateurs de richesse, confidentiel en 2000, a mûri. Mais à quel point ? Cessera-t-on de dire, après 2015, qu’un pays comme l’Inde, au Pib croissant, s’enrichit quand 5 % de ses enfants meurent avant l’âge de 5 ans ? Ou que le monde progresse quand on dilapide les ressources du sous-sol et qu’on dérègle le climat ?
Jusqu’où confier les rênes de notre devenir collectif au marché ? C’est la question la plus brûlante. Un surprenant consensus semble se dégager parmi les agences d’aide au développement : la puissance publique, démunie, n’aurait plus pour rôle que d’accompagner le marché, en encourageant les performances environnementales des entreprises, leur souci pour le « bas de la pyramide »… (cf. le débat entre H. de Cazotte et C. Renouard). Nul doute que la mondialisation libérale a dopé l’économie des émergents (cf. M. Griffon). Nul doute, non plus, que les acteurs privés ont acquis une puissance supérieure à celle de bien des États. Mais entre le marché et les droits, il faut choisir, avertit J. Fabre ! C’est d’ailleurs bien de l’État, et contre certaines firmes, que les Indiens ont obtenu des avancées vers l’effectivité du droit à l’emploi et du droit à alimentation (cf. R. Khera)…
Quelle sera finalement la portée de ce processus ? Ni les États-Unis, ni l’Inde, ni la Chine n’accepteront de se voir dicter leur horizon politique. Mais leur participation même à la négociation marque une « avancée dans la mondialisation du politique » (cf. P. Canfin). Elle entérine un point de consensus décisif : il nous faut apprendre à gérer ensemble notre maison commune.
À lire aussi :
Achille Mbembe, « Quand l’Afrique sort de l’ombre », Revue-Projet.com, 07/01/2014.
Jean-Paul II, « Surdéveloppement : qu’en dit l’Église catholique ? », Revue-Projet.com, 11/03/2014.
Hortense Landowski, « Terres accaparées en Inde », Revue-Projet.com, janvier 2014.
Alice Corbet, Pierre Duquesne, Jacqueline Plaisir (table ronde), « Quel développement sans État ? Le cas d’Haïti », 14/02/2014.