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Dossier : Quels objectifs pour le développement ?

« Notre défi : inventer un développement social et soutenable »

Pascal Canfin, crédit Joelle Dolle, Parlement Européen, 2010
Pascal Canfin, crédit Joelle Dolle, Parlement Européen, 2010

Entretien - En 2015, environnement et réduction de la pauvreté feront l’objet d’une seule et même négociation internationale. Quels enjeux ? Quelles priorités pour la France ? Quelle incidence pour sa politique de développement ? Pascal Canfin, ministre délégué au Développement auprès du ministre des Affaires étrangères, répond.


Les Nations unies doivent décider d’ici 2015 de la suite à donner aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et donner corps aux objectifs de développement durable (ODD) issus de Rio+20. La France souhaite que les objectifs que le monde se donne pour la planète et pour ses habitants fassent l’objet d’une seule et même négociation. Pourquoi ?

Pascal Canfin – La France, à l’issue d’une large concertation avec la société civile, réaffirme la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté, avec un objectif d’éradication de l’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour par habitant) d’ici 2030. Pour y parvenir, il faut élargir les engagements au domaine environnemental. Car Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et Objectifs pour le développement durable1 sont intimement liés : le changement climatique, si on ne fait rien, est la première menace pour la sécurité alimentaire et par conséquent pour la mortalité infantile. Cette convergence constitue la priorité de la diplomatie française. Nous plaidons aussi, avec d’autres (Sénégal, Norvège, Brésil, Japon…), pour une couverture sanitaire universelle, afin de généraliser l’accès aux soins. Enfin, nous insistons sur la transparence : transparence de l’aide au développement, transparence fiscale, transparence dans la gestion des ressources extractives. Cet élément clé de la « bonne gouvernance » a avancé ces dernières années, que ce soit au G8, au G20 ou à la FAO [Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ] : il faut pousser notre avantage.

L’élaboration de ces nouveaux objectifs mobilise de nombreuses personnalités. Mais a-t-on songé à interroger les premiers concernés, notamment les plus pauvres ?

Par rapport à la définition des OMD il y a quinze ans, de gros progrès ont été réalisés dans l’inclusion des personnes en situation de pauvreté dans le processus d’élaboration des nouveaux objectifs. Cependant, j’entends les critiques d’ATD Quart Monde, par exemple, qui déplore que les programmes d’aide ne bénéficient pas aux « ultra pauvres » : c’est pour moi, un vrai sujet de préoccupation. Il faut y travailler, car associer les personnes les plus défavorisées à la construction des politiques d’aide au développement n’est pas aujourd’hui dans la culture de l’État.

« Associer les personnes les plus défavorisées à la construction des politiques d’aide au développement n’est pas aujourd’hui dans la culture de l’État. »

Voyez-vous poindre chez les grandes puissances le sens d’une responsabilité commune ? Que répond-on à l’Inde, qui pose la question du partage de la tâche face aux défis environnementaux en termes d’équité ?

La convergence des agendas du développement et de l’environnement, de même que l’idée d’une responsabilité commune, progressent. Les pays du Sud sont aujourd’hui à l’origine de la moitié des émissions de CO2. Il n’y a pas encore de consensus, mais depuis les années 1990, l’émergence de nouvelles puissances a rebattu les cartes. Le « Sud » est plus diversifié que l’ancien « tiers monde ». Il est aussi le plus affecté par les changements environnementaux. Le processus engagé, qui a pour objectif une nouvelle feuille de route mondiale du développement, marque en lui-même une avancée dans la mondialisation du politique. Encore faut-il bien sûr que le point d’arrivée soit ambitieux…

La question de l’équité est légitime, mais qu’entend-on par là ? Brésil et Inde n’en ont pas la même vision. Tout l’enjeu est d’aboutir à des objectifs universels, mais à des engagements différenciés selon les pays. Il est clair que le Burkina Faso ne prendra pas les mêmes engagements que la France ! Mais mieux vaut chercher des solutions que de s’enfermer dans des positions de principe. L’un des défis majeurs pour les Indiens est de permettre à 500 millions de personnes d’avoir accès à l’énergie. Comment vont-ils y répondre ? Notre rôle est d’aider l’Inde à faire le choix des énergies renouvelables, à travers l’aide au développement, des transferts technologiques…

Certains, parmi les pays les plus pauvres, craignent qu’à budget constant, on fasse de l’écologie au détriment des objectifs de l’aide au développement…

L’aide affectée à des domaines comme l’éducation, la santé ou l’alimentation n’est pas concernée par cette nouvelle approche. Mais l’aide publique au développement (APD) porte aussi sur des domaines où les enjeux environnementaux sont forts (énergie, infrastructures, aménagement urbain, agriculture…). Sur le type d’agriculture et d’infrastructures que l’on finance, il faut renforcer la résilience au changement climatique et diminuer les émissions de CO2. C’est ce que j’appelle le « verdissement » de l’APD. On ne va pas dépenser des milliards pour détruire le climat puis des milliards pour le réparer ! Continuons à faire de la solidarité internationale, mais en intégrant les exigences du XXIe siècle. Si l’on croise l’indicateur de développement humain et les émissions de gaz à effet de serre, combien de pays sont soutenables sur le plan social et sur le plan environnemental ? Aucun. Voilà bien notre « nouvelle frontière ».

« Si l’on croise l’indicateur de développement humain et les émissions de gaz à effet de serre, combien de pays sont soutenables sur le plan social et sur le plan environnemental ? Aucun. »

Concrètement, comment « verdir » l’aide au développement ?

Je veux faire de l’Agence française de développement (AFD) une référence du développement durable. 50 % de ses actions devront avoir un bénéfice climat. Les 6 milliards d’euros que nous allons consacrer à l’énergie dans les trois prochaines années seront dédiés en priorité à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables. Nous ne finançons plus aucun projet contribuant à la déforestation primaire, ni aucun projet OGM : priorité à l’agriculture familiale ! L’AFD s’est aussi dotée d’une stratégie en matière de biodiversité. Elle passe l’ensemble de ses projets au crible d’une évaluation précise des impacts sociaux et environnementaux. Des exigences fortes de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) vont devenir obligatoires dans les marchés passés sur des financements de l’agence. De même, j’ai voulu que l’AFD soit exemplaire dans la lutte contre les paradis fiscaux : elle s’interdira de travailler avec des entités localisées dans des juridictions non coopératives, selon une liste élargie à tous les pays jugés non conformes par l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Enfin, la contribution de solidarité sur les billets d’avion, qui finance la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, sera revalorisée pour la première fois depuis sa création en 2006.

La France s’était engagée à consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’APD en 2015, elle en est loin… Quel crédit accordera-t-on aux engagements qu’elle prendra en 2015 ?

Malgré le contexte, l’APD est stabilisée en 2012 à 0,46 % du revenu national brut. Est-ce suffisant ? Non. Mais que me répondra le ministre du Budget si je lui demande les 5 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre les 0,7 % ? Comme le précise la future loi d’orientation sur le développement que je présente en février à l’Assemblée nationale, nous reprendrons la progression vers le 0,7 % dès que nous retrouverons des marges de manœuvres budgétaires. Attention cependant à ne pas réduire notre politique de développement aux montants d’aide ! Quand on consacre quelques dizaines de millions d’euros pour aider les pays du Sud à renégocier leurs contrats miniers ou pétroliers, le coût est faible pour la France, mais quand le dispositif permet, par exemple, de relever les royalties de 5 à 12 %, le gain pour le pays concerné se chiffre en centaines de millions d’euros. Nous finançons, par ailleurs, le renforcement de la capacité des administrations fiscales des pays du Sud à démonter les schémas complexes utilisés par les grands groupes2. Si l’on rapporte les sommes engagées au gain pour les pays concernés, l’effet de levier est fort. Il faut passer d’une culture des moyens à une culture du résultat, où c’est l’impact qui compte.

L’APD annuelle de la France pèse officiellement 10 milliards d’euros. Combien aboutit effectivement dans des projets ou des politiques de développement au Sud ?

Je mettrai la transparence sur le contenu de l’APD à l’ordre du jour du premier Conseil national du développement et de la solidarité internationale qui se réunira début 2014. Stricto sensu, la mission budgétaire consacrée à l’aide publique au développement représente 3,2 milliards d’euros en 2012. Et les financements innovants permettent d’accroître les crédits de 100 millions d’euros. Nous sommes les seuls à affecter 15 % des recettes de la taxe sur les transactions financières au développement (en 2014, contre 10 % en 2013).

Pierre Moscovici ne veut-il pas restreindre l’assiette de la taxe sur les transactions financières ?

Pierre Moscovici a indiqué devant l’Assemblée nationale que la France défendait une assiette large. Le président de la République l’a précisé également à de nombreuses reprises. Au niveau européen, une vraie bataille politique reste à mener. Plusieurs dizaines de milliards d’euros sont en jeu. C’est l’une de mes priorités pour 2014.

La centralité de l’emploi pour éradiquer la grande pauvreté devrait enfin être reconnue. Mais quand le système économique peut se passer d’une force de travail devenue surabondante, notamment dans l’agriculture, quel autre horizon proposer que le chômage ou l’assistanat ?

Cette population « surnuméraire » qui vient gonfler les bidonvilles résulte d’abord de l’exode rural. D’où l’importance de l’agriculture familiale, qui permet de maintenir des populations en milieu rural. Augmenter la production et assurer sa viabilité sociale et environnementale : voilà le défi de la révolution doublement verte.

Les syndicats, de leur côté, se mobilisent en faveur de l’emploi décent. Le problème est colossal. Que l’on pense à l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh ou aux conditions de travail en Chine, au Vietnam… Si on poursuit la course vers le moins disant social, nous aboutirons à une mondialisation extrêmement inéquitable, destructrice. Mais la situation évolue : la Chine, en train de renchérir chez elle le coût du travail, est désormais victime de délocalisations vers le Vietnam ! Pékin ne peut plus miser uniquement sur le bas coût du travail. Pour la Chine aussi l’emploi décent et la stabilité sociale deviennent des questions. Si l’Afrique est le continent de demain, après trente ou quarante ans de boom en Asie, il s’agit de savoir comment va s’opérer son explosion économique. Adoptera-t-elle un modèle agricole ultra capitaliste et de très bas coûts du travail, sans réglementation ni régulation ? Alors l’avenir ne serait pas joyeux. Je ne sais pas si nous réussirons avec le processus de l’agenda post-2015, mais nous participons à la première tentative négociée pour réguler la mondialisation et la tirer vers le haut.

Mais où sont les nouveaux gisements d’emplois au Sud ?

Certains pays, comme l’Égypte ou le Sénégal, doivent produire plus pour créer davantage d’emplois. La Chine, elle, doit inventer son propre système de protection sociale. Un système de santé, d’éducation et de service aux personnes à la mesure du pays constitue un gisement d’emplois extraordinaire. Après une mondialisation de la production dont le grand vainqueur a été l’Allemagne avec ses machines-outils, l’explosion des besoins tournés vers les services pourrait tirer la mondialisation vers le haut. Et la France, forte d’un savoir-faire et d’une expertise en la matière, a des atouts à faire valoir.

L’emploi est aussi au centre des débats sur l’économie verte. La transition écologique et l’agenda économique ne sont pas antinomiques, ni ici ni dans les pays du Sud. Si certains pays ont d’ores et déjà fait le choix de l’économie verte, d’autres considèrent que c’est un modèle imposé par les pays du Nord. D’autres encore, comme l’Inde, revendiquent leur « droit au développement », les questions de soutenabilité venant après. Ne rêvons pas, on ne trouvera pas de consensus sur ce point à New York en 2015. Mais cette négociation peut être l’accélérateur d’une prise de conscience : à travers nos échanges, les pays du Sud voient l’incidence possible des changements climatiques sur leur trajectoire de croissance.

Les migrations sont historiquement une variable d’ajustement démographique aux contraintes économiques ou politiques. Avec le changement climatique, le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter. Quand gérera-t-on la question à une autre échelle que nationale et autrement que par la peur ?

Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy avaient lié une partie des crédits de développement à la signature d’accords de gestion concertée des flux migratoires – ce qui a valu au Mali, par exemple, d’en être privé. L’une de nos premières mesures a été de délier les deux : la politique de développement ne doit pas être un instrument au service du contrôle des flux migratoires. Mais ne laissons pas penser qu’il y aurait une foule de gens prêts à se précipiter au Nord : l’immense majorité des migrations vont du Sud vers le Sud. Nous sommes très loin d’attirer toute la misère du monde ! Poser la question au niveau international permettrait de rationaliser le débat. D’où notre implication dans le dialogue onusien sur les migrations et le développement.

Enfin, les migrants doivent être acteurs – et non seulement vecteurs – des politiques de développement. Il faut valoriser le travail des diasporas. Valoriser aussi l’identité multiple dans un monde mondialisé. La France en particulier est un pays-monde : elle s’est constituée en grande partie par l’immigration. 25 % des Français ont au moins un parent ou un grand-parent né étranger… Il faut l’assumer, le revendiquer. Car la diversité est une richesse et un outil d’influence.

« La France est un pays-monde, constitué en grande partie par l’immigration. Il faut l’assumer, le revendiquer. »

L’agenda des OMD s’inscrivait dans une vision libérale de l’économie. Serait-on prêt aujourd’hui à légitimer l’usage de barrières commerciales ou financières pour développer les marchés locaux, protéger l’emploi et l’environnement ?

Le temps du consensus de Washington est révolu : il suffit pour s’en apercevoir de voir le Fonds monétaire international proposer une surtaxe mondiale sur le patrimoine et une taxe carbone, ou la Banque mondiale défendre des filets de sécurité sociaux universels et l’arrêt des subventions publiques aux énergies fossiles au profit des énergies renouvelables ! Mais si la vision ultralibérale ne fait plus consensus, rien ne l’a remplacée. Forger ce nouveau consensus, qui permettrait à tous d’aller dans la même direction, est un défi majeur de la négociation pour 2015. En matière commerciale, la multiplication des accords bilatéraux n’est pas une bonne nouvelle : les négociations sont encore plus déséquilibrées qu’à l’OMC [Organisation mondiale du commerce]. Un consensus se dégage au niveau théorique pour estimer qu’un prix du carbone aux frontières est compatible avec les règles de l’OMC. Mais le sujet reste politiquement très sensible.

Mais le ministre délégué au Développement ne chapeaute pas le commerce extérieur, la diplomatie, le budget ni l’énergie… L’intérêt des pays en développement risque de passer après !

La politique de développement marche sur deux jambes : l’aide publique et les conditions du développement. D’où mon implication sur les questions de régulation financière, commerciale et agricole. En France, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), que je prépare avec le Premier ministre, a la responsabilité d’assurer la cohérence de ces politiques. Ce gouvernement l’a réuni en juillet dernier alors qu’il ne s’était pas tenu depuis cinq ans. Je suis, par ailleurs, en première ligne pour les négociations climatiques. En matière commerciale, nous agissons pour faire évoluer les accords de partenariat économique avec l’Union européenne en faveur des pays en développement. En matière financière, nous avons fait progresser la transparence des banques pour lutter contre l’évasion fiscale. En matière agricole, nous avons obtenu que la Politique agricole commune ne soit plus antagonique avec l’agroécologie. Ce souci de cohérence est au cœur de la prochaine loi de programmation sur la politique de développement : c’est une première !

Grâce à leur mobilité, les multinationales jouissent d’une grande liberté pour localiser leur valeur ajoutée. La richesse ne devrait-elle pas profiter d’abord aux populations du territoire où elle est produite ? Même si cela doit appauvrir Total, Areva ou Bolloré ?

Comme le soulignaient les auteurs du Nouvel esprit du capitalisme3, le plus mobile est aujourd’hui le plus puissant : le plus mobile est le financier qui déplace ses actifs à la nanoseconde. Le moins mobile est le salarié peu qualifié ancré dans un territoire dévitalisé. La mobilité est le nouveau rapport social de domination. La liquidité des marchés est d’ailleurs un mythe à déconstruire d’urgence : c’est un instrument de pouvoir et de dysfonctionnement.

« La mobilité est le nouveau rapport social de domination. »

Nous avons engrangé récemment des victoires importantes contre les paradis fiscaux, qui sont le fruit d’une décennie de combat des ONG, avec le principe de l’échange automatique d’informations en matière fiscale, la loi Fatca4 aux États-Unis, les progrès en matière de transparence dans les industries extractives5, de transparence bancaire (obligation en Europe de publier le résultat, le chiffre d’affaires et les effectifs pays par pays)… Il faut souligner ces progrès, même partiels ! Il reste à définir les prochaines étapes. Les ONG ont toujours un rôle important à jouer. De mon point de vue, la priorité est d’étendre au G20 les progrès obtenus au plan européen, notamment les nouvelles règles de transparence des banques.

Ces entreprises exercent un pouvoir souvent supérieur aux États. Y a-t-il des voix pour appeler à en limiter la taille (comme pour les banques) ?

Non. Pas dans les discussions entre États.

À qui s’adresse notre politique de « développement économique », quand l’AFD demande à ses salariés de veiller à ce que des entreprises françaises puissent répondre à ses appels d’offres, que la France tente de dédier une part du contrat désendettement-développement (C2D) avec la Côte d’Ivoire à ses entreprises ?

Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant à ce que des entreprises françaises puissent répondre à des appels d’offres de l’AFD ! Mais je le rappelle, l’aide est déliée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas soumise au fait qu’une entreprise française gagne l’appel d’offres. Le fait que des sociétés françaises puissent emporter le marché est éventuellement une conséquence, non une condition, de nos projets. À ma demande, l’AFD expérimente un filtre avec des critères de RSE dans les marchés qu’elle finance, dans cinq pays (Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Pakistan et Burkina Faso), avant la généralisation en 2014. Les entreprises locales (pourvu qu’elles ne soient pas la filiale d’un grand groupe) ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. Cette insistance sur la RSE présente un double avantage : elle tire la mondialisation vers le haut et favorise les entreprises les plus vertueuses… On peut espérer que les françaises le soient ! Une telle politique est conforme à nos valeurs et à notre intérêt. Concernant le C2D en Côte d’Ivoire, la société civile ivoirienne m’a fait part de sa satisfaction d’avoir été associée au processus et du résultat.

Pour la France, qui représente 10 % de l’aide mondiale et dont 93 % de l’aide est déliée, le « reliement » n’est clairement pas à l’ordre du jour. Au total, sur les 4,4 milliards d’euros décaissés par l’AFD entre 2006 et 2011 en aide-projet déliée, 29 % sont revenus in fine aux entreprises françaises (contre 41 % aux entreprises locales et environ 15 % aux entreprises chinoises). Ce « taux de retour » est conforme à la moyenne des donateurs.

Le panel onusien insiste sur l’objectif de réduire les inégalités. Il parle de croissance inclusive. Le concept est commode : il dérange peu tant qu’il s’agit de partager un gâteau qui augmente. Mais si ce gâteau atteint ses limites, ne faut-il pas que certains « vivent plus simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » (Gandhi) ?

La question n’est pas de faire croître ou non le Pib, mais de faire diminuer les émissions de CO2 et la consommation de matière. Si on parvient à le faire suffisamment sans diminuer le Pib (à « découpler »), grâce à l’économie circulaire, à des technologies de rupture, etc., où est le problème ? Avant de conclure que le Pib doit décroître, concentrons-nous sur le découplage : il reste énormément à faire ! Aucun pays au monde n’a comme projet de recherche de transformer le carbone, aujourd’hui un déchet, en ressource économique… La croissance est insoutenable, la décroissance est instable, souligne Tim Jackson6. Repenser le travail, la protection sociale, le vivre ensemble dans un contexte de croissance faible ou nulle est le grand défi de nos sociétés.

Bien évidemment, il faudra aussi réduire les inégalités. Si la référence est un mode de vie insoutenable sur le plan de la consommation de ressources, dont sera privée l’immense majorité de la population mondiale, on crée une frustration et une insoutenabilité généralisées. Dans l’imaginaire, les films, les séries jouent un rôle très important. Or les principaux producteurs de l’industrie culturelle (États-Unis, Inde, Brésil) sont aussi les pays les plus inégalitaires. Les pays égalitaires en sont quasiment absents. Quelle vision du monde véhiculent en Afrique les séries américaines, Bollywood et les telenovelas ? À nous, écologistes, de savoir projeter des modes de vie viables et souhaitables.

Dans certains États africains, un clan règne sans partage sur les richesses du pays. Peut-on y faire du développement sans jamais parler de politique ?

Nous avons rompu avec la Françafrique, justement, en ne réservant pas les affaires africaines à un ministère. Il faut en finir avec l’idée que rien ne peut se faire sans la France. Pour ma part, je me contrains à ne pas parler de politique pour ne pas perpétuer l’idée d’un traitement spécifique de nos anciennes colonies. Je m’occupe de développement à temps plein. Notre objectif, en Afrique comme ailleurs, est de contribuer au renforcement de la société civile au Sud. Ainsi, nous allons transformer en 2014 le fonds de solidarité géré par les ambassades en fonds de soutien à la société civile du Sud, pour la défense des droits civils et politiques, et des droits des femmes. Car il n’y a pas de démocratie sans contre-pouvoir.

Propos recueillis par Jean Merckaert et Grégoire Lefèvre en novembre 2013.


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1 Le Sommet de Rio+20, en 2012, a appelé de ses vœux la définition de ces Objectifs de développement durable d’ici 2015.

2 Et notamment l’initiative des « inspecteurs des impôts sans frontières » lancée par l’OCDE.

3 Luc Boltanski et Ève Chiapello, Gallimard, 1999.

4 La loi américaine dite Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act) votée en mars 2010 a pour but de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale des contribuables états-uniens.

5 La loi Dodd-Frank aux États-Unis (2010), la législation canadienne et la directive européenne (2013) obligent les sociétés du secteur minier, pétrolier et gazier cotées à Wall Street, Toronto et en Europe, à publier les versements effectués aux autorités publiques dans tous les pays d’extraction.

6 Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, De Boeck, 2010.


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