Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Parler d’attentes pour l’après-2015, c’est d’abord dresser le bilan des Objectifs du millénaire (OMD). Leur premier mérite a été de placer la réduction de la pauvreté au centre de l’agenda international et des politiques de développement. Ils ont stoppé le déclin de l’aide publique au développement (APD), mobilisant en particulier celle-ci en direction des pays à faible revenu. Il n’était pas évident au départ que de tels objectifs seraient atteints dans plusieurs pays.
Pour autant, les lacunes sont réelles ! Car les OMD n’ont pas été conçus pour s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté. Ils étaient très déficients sur tout ce qui touche à la justice sociale : inégalités, vulnérabilité, exclusion, droits civils et socio-économiques… Ils ne remettent pas en cause les déséquilibres entre pouvoir politique et pouvoir économique, pourtant à l’origine de la croissance des inégalités. L’après-2015 devra y remédier, en traitant non seulement des symptômes, mais des causes de la pauvreté et des inégalités au sein des pays comme entre eux.
Les Objectifs du millénaire pour le développement n’ont pas été conçus pour s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté.
Au sujet du financement, dès la conception des OMD, on s’est focalisé sur l’aide publique. Les donateurs ont renouvelé leur engagement (non tenu) d’y consacrer 0.7 % de leur PNB. Ils ont assuré qu’aucun pays engagé dans une politique de réduction de la pauvreté, une bonne gouvernance, une réforme économique ne se verrait refuser la possibilité de réaliser les Objectifs du millénaire par manque de financement. Mais cette fixation sur l’APD n’est-elle pas un leurre quand les pays en développement (PED) perdent au moins mille milliards de dollars par an à cause de l’évasion fiscale et des flux illicites de capitaux ? L’OCDE le reconnaît, les PED perdent ainsi 3 dollars pour chaque dollar reçu de l’APD ! Les documents mentionnent certes la mobilisation domestique des ressources, mais sans lui accorder l’attention qu’elle mérite. Elle est considérée comme allant de soi, grâce à « l’utilisation large des sources de revenu, comme une taxe sur la valeur ajoutée, le renforcement de la collecte de l’impôt, la réorientation des dépenses courantes. »
Les pays en développement perdent ainsi 3 dollars pour chaque dollar reçu de l’aide publique au développement.
Les objectifs de l’après-2015 devront s’appuyer sur un autre modèle de financement. Lutter contre l’évasion fiscale et la sortie illicite de capitaux doit être le premier moyen pour mobiliser les ressources nationales. Il s’agit aussi de reconnaître, dans les politiques néolibérales d’exonérations fiscales, une dépense fiscale ruineuse pour l’État. Plus largement, l’Afrique doit miser avant tout sur une fiscalité progressive et juste pour financer son développement. Il faut enfin s’attaquer à la concurrence fiscale internationale et aux circuits facilitant la fuite illicite des capitaux.
Non seulement, la réduction des ressources nuit à la bonne marche des services publics et au financement des infrastructures, mais les flux illicites affectent la vitalité de toute l’économie d’un pays, en érodant la légitimité des activités économiques et des institutions. Soutenir un développement durable dans les pays pauvres est un objectif louable. Encore faut-il « créer un environnement international favorable » ! Or les pays en développement, quelle que soit leur volonté politique, ne pourront pas le faire seuls.
Des mesures sont nécessaires pour combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Ces mesures sont bien connues : les sociétés civiles du monde entier, comme l’Alliance globale pour la justice fiscale, demandent depuis des années un échange automatique des renseignements fiscaux entre les pays, la publication par les multinationales d’informations sur leur activité (chiffre d’affaires, bénéfices, nombre de salariés…) pays par pays, l’identification et l’enregistrement des propriétaires réels des trusts, fondations et autres sociétés écran, la fin des opérations opaques dans les paradis fiscaux.
L’intérêt des pays en développement est d’aborder ces problèmes dans un cadre multilatéral. Or l’érosion croissante de l’autorité des Nations unies affaiblit leur voix. Seul le renforcement du rôle de l’Onu permettra de redresser les déséquilibres de pouvoir.
Et vous, quels objectifs fixeriez-vous ?
Ils s’y sont essayés, et vous ? Nous vous encourageons à nous proposer vos propres objectifs pour le développement, en respectant les instructions aux auteurs.
« Un revenu minimum pour éradiquer la misère », par Judith Randel (Royaume-Uni), Development Initiatives
« Prendre les plus délaissés comme partenaires », par Isabelle Pypaert Perrin (Belgique), Mouvement international ATD Quart Monde
« Tourner le secteur privé vers l’intérêt général », Nathalie Péré-Marzano (France), Crid, Action mondiale contre la pauvreté-France
« Dénucléariser Israël », par Michel Warschawski (Israel), Centre d’information alternative de Jérusalem
« Défendre les petits agriculteurs », par Ndiakhate Fall (Sénégal), Conseil national de concertation et de coopération des ruraux/Via Campesina
« (Re)donner à chacun une existence », par Pierre-Marie Espagnet (France), Délégation catholique pour la coopération, Centre d’accueil de migrants à Rabat (Maroc)
« L’éminente responsabilité des pays ‘développés’ », par Christian Comeliau (France), économiste du développement