Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
On comprend mieux aujourd’hui que la pure accumulation de biens et de services, même en faveur du plus grand nombre, ne suffit pas pour réaliser le bonheur humain. Et, par suite, la disponibilité des multiples avantages réels apportés ces derniers temps par la science et par la technique, y compris l’informatique, ne comporte pas non plus la libération par rapport à toute forme d’esclavage. (…)
Une constatation déconcertante de la période la plus récente devrait être hautement instructive : à côté des misères du sous-développement, qui ne peuvent être tolérées, nous nous trouvons devant une sorte de surdéveloppement, également inadmissible parce que, comme le premier, il est contraire au bien et au bonheur authentiques. En effet, ce surdéveloppement, qui consiste dans la disponibilité excessive de toutes sortes de biens matériels pour certaines couches de la société, rend facilement les hommes esclaves de la « possession » et de la jouissance immédiate, sans autre horizon que la multiplication des choses ou le remplacement continuel de celles que l’on possède déjà par d’autres encore plus perfectionnées. (…)
Nous touchons tous de la main les tristes effets de cette soumission aveugle à la pure consommation : d’abord une forme de matérialisme grossier, et en même temps une insatisfaction radicale car on comprend tout de suite que – à moins d’être prémuni contre le déferlement des messages publicitaires et l’offre incessante et tentatrice des produits de consommation – plus on possède, plus aussi on désire, tandis que les aspirations les plus profondes restent insatisfaites, peut-être même étouffées. (…) « Avoir » des objets et des biens ne perfectionne pas, en soi, le sujet humain si cela ne contribue pas à la maturation et à l’enrichissement de son « être », c’est-à-dire à la réalisation de la vocation humaine en tant que telle.
Certes, la différence entre « être » et « avoir », le danger inhérent à une pure multiplication ou à une pure substitution de choses possédées face à la valeur de l’« être », ne doit pas se transformer nécessairement en une antinomie. L’une des plus grandes injustices du monde contemporain consiste précisément dans le fait qu’il y a relativement peu de personnes qui possèdent beaucoup, tandis que beaucoup ne possèdent presque rien. C’est l’injustice de la mauvaise répartition des biens et des services originairement destinés à tous. (…)
Le mal ne consiste pas dans l’« avoir » en tant que tel mais dans le fait de posséder d’une façon qui ne respecte pas la qualité ni l’ordre des valeurs des biens que l’on a, qualité et ordre des valeurs qui découlent de la subordination des biens et de leur mise à la disposition de l’« être » de l’homme et de sa vraie vocation.