Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Justice : la prison vaut-elle la peine ?

Les chemins de traverse de Christophe

© Association Seuil
© Association Seuil
Marcher près de 2000 km pour s’en sortir. C’est ce que propose l’association Seuil à des jeunes en difficulté. Christophe a voulu relever le défi.

« Marcher trois mois avec un éduc que je connais pas ? Sans téléphone et sans musique ? » La proposition a d’abord déstabilisé Christophe. Mais c’était ça ou six mois dans un centre éducatif renforcé. Ces centres, gérés par la Protection judiciaire pour la jeunesse (la « PJJ »), sont destinés aux mineurs délinquants. C’était en 2013. Christophe avait 17 ans. Il vivait alors dans un foyer de jeunes « pour des raisons familiales ». « Et dans un foyer, c’est l’effet de groupe. Y’en a qui font des conneries, les autres suivent. On était trois, un couple de majeurs et moi. On a fait des tentatives de vols de véhicule, des cambriolages, des excès de vitesse… »

Une éducatrice a parlé à Christophe de l’association Seuil. Celle-ci propose à des jeunes en difficulté de prendre du recul par rapport à leur situation en effectuant une marche de près de 1800 km, à l’étranger. Chaque adolescent(e) est accompagné par un(e) adulte. Il s’agit de créer une rupture entre l’adolescent, son milieu, ses habitudes et ses comportements. Pour s’assurer de l’implication du jeune, l’association lui demande de rédiger une lettre de motivation.

« J’ai pas pris ma décision tout de suite », raconte Christophe, grand gaillard de plus d’1m80 aux yeux très bleus. Mais lorsqu’il décide de tenter l’aventure, il n’y croit qu’à moitié. À l’époque, il n’a pas vraiment d’attache pour le retenir. « Les amis, c’était pas trop mon fort. La famille non plus. »

Julien l’accompagne sur le chemin. « Au début, j’appréhendais. Je m’suis dit, ça va être quelqu’un qui va être sur mon dos 24 heures sur 24… Et pas du tout ! » Ils se rencontrent en Bretagne, lors du séjour qui précède le départ et le courant passe bien. À la fin de l’été 2013, ils s’envolent ensemble pour le Sud de la France. De septembre à décembre, « on a marché au nord de l’Espagne, jusqu’au bout, au cap Finisterre, puis on est descendu vers le Portugal. » Le chemin qu’ils suivent est celui des pèlerins de Compostelle. « On avait juste une carte pour nous guider. Comme on faisait le chemin à l’envers, les balises étaient dans l’autre sens, c’était pas facile pour s’orienter. » « Quand on n’a pas de contact avec le reste du monde, on se sent un peu seul. » Mais marcher au milieu de paysages magnifiques procure aussi à Christophe un sentiment de liberté.

Peu à peu, Christophe et Julien s’apprivoisent. « Quand il me disait : ‘Il faut qu’on parle de ce que tu as fait’, je me sentais un peu con. Alors je le laissais marcher devant et je réfléchissais. » « Tous les soirs, on regardait le plan de marche et on se disait : ‘On peut faire mieux’. On a pris une semaine d’avance sur le programme. On a même rattrapé quelqu’un qui était parti avant nous. » Aujourd’hui encore, les deux hommes sont en lien. Christophe a été invité au mariage de Julien, qui a rencontré celle qui est devenue sa femme sur le chemin…

S’en sortir, un long apprentissage

Après la marche, Christophe termine son apprentissage en tant que mécanicien, entamé l’année précédente. Il est hébergé chez ses parents et travaille dans un garage 25 km plus loin. « Je partais deux heures avant et parfois j’y allais en marchant. » L’expérience l’a aidé à mieux s’alimenter. « Avant la marche, je mangeais tout et n’importe quoi à n’importe quelle heure. Là, ça a été une reprise en main totale. »

Est-ce que la marche l’a changé ? « Oui, vraiment. Avant, j’étais très impulsif, je partais au quart de tour. Maintenant, je suis plus calme. Sauf une petite exception… » Depuis quatre ans et demi, Christophe n’avait pas fait un faux pas. Mais « il y a pas longtemps, en rentrant du travail en voiture, je me suis embrouillé avec une dame. Et elle a porté plainte. Pour moi, c’était rien du tout, mais pas pour elle. Sur le jugement, il y a écrit ‘mise en danger de la vie d’autrui’. Ça m’a fait un choc. Demain, je passe au tribunal. » Retour à la case départ ? Non. « Avant la marche, je me serais dit, je m’en fous de cette dame, elle n’avait qu’à pas me parler comme ça. Mais là, je me suis demandé : ‘Comment elle a vécu ça ?’ J’ai essayé de me mettre à sa place. »

Christophe encourt jusqu’à quatre mois d’emprisonnement pour les faits qui lui sont reprochés. On lui a proposé quatre possibilités : des jours amende, des travaux d’intérêt général (TIG), le bracelet électronique ou la prison. Il va demander le bracelet électronique. Ce qui lui permettrait de pouvoir continuer son travail, contrairement à la détention. Quant aux jours amende, ce n’était pas envisageable. Il a besoin de mettre de l’argent de côté : « Avec ma copine, on va avoir un enfant. Un petit garçon. Dans quatre mois. Ça va encore plus me faire réfléchir qu’après la marche. Le premier truc, c’est comment faire pour éviter qu’il fasse les mêmes conneries que moi ? Il faut que je trouve le bon exemple à lui montrer. Et si moi je me comporte bien, ça devrait aller. »  « Mais je veux tout faire pour qu’il aille pas en foyer. »

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Le clerc en sursis ?

La plupart des confessions religieuses excluent les femmes des charges sacerdotales. Pour combien de temps ? Patriarcale au superlatif, l’Église catholique voit son modèle vaciller. Le patriarcat demeure la règle dans le monde religieux. Dans des contextes très différents, les trois monothéismes le pratiquent. Tous invisibilisent les femmes, contrôlent leur corps et les tiennent éloignées de la sphère publique. Circonstance aggravante, ce bastion bien défendu l’est par...

Du même dossier

Une ferme où l’on cultive la liberté

Entretien - Cultiver la terre, réapprendre à vivre ensemble, apprivoiser la liberté : tel est le pari de la ferme Emmaüs Lespinassière (Aude), où sont accueillis une dizaine de détenus en fin de peine. S. Gautier nous raconte la genèse de ce lieu, destiné à essaimer. D’où est venue cette idée d’une ferme pour accueillir des détenus en fin de peine ?Samuel Gautier - J’ai passé deux ans, comme bénévole, à la ferme de Moyembrie (Aisne), une structure pionnière en matière de réinsertion de détenus. ...

Efficace, la prison ?

La détention accentue les dysfonctionnements de la société. Dès lors, il y a urgence à réformer le système pénal pour que la réinsertion ne soit pas un vœu pieux. Cela passe, notamment, par une prise en compte de l’ensemble des dimensions de la personne détenue. « Voilà comment on fait de la prison l’antichambre de la récidive qui atteint 40 % pour les délits. Les prisons françaises sont souvent des lieux où la violence s’exerce contre les surveillants, entre les détenus et à chaque fois au dé...

Consommation et trafic de drogues : punir et soigner ?

Malgré les accords internationaux interdisant la production, la fabrication, le commerce et la détention de toutes les substances classées comme stupéfiants, les drogues illicites alimentent un des secteurs économiques les plus dynamiques au monde. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, un adulte sur vingt en aurait consommé dans l’année, soit 250 millions de personnes – dont 12 % souffriraient de troubles nécessitant un traitement spécifique (le plus souvent liés à l’in...

Du même auteur

D’un regard à l’autre

Jacques Cohen a réalisé cent portraits de personnes – notamment des athlètes – en situation de handicap moteur, sensoriel ou intellectuel. à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il nous invite à les percevoir comme des égaux. Vous avez photographié des femmes ayant un cancer du sein. Ici, ce sont des personnes avec un handicap. Photographier, est-ce une manière pour vous de prendre soin des gens, au-delà du soin du c...

Créer de la proximité : un défi collectif

Santé, logement, revenu de solidarité… Aujourd’hui, en France, des millions de personnes en précarité peinent à accéder à leurs droits. Le fossé entre ces personnes et l’action publique se creuse. Parmi celles qui pourraient toucher le RSA, 34 % ne le perçoivent pas. Ce constat, partagé par le Conseil d’État1 et les acteurs associatifs, appelle à recréer de la proximité avec les personnes en précarité. C’est le défi de l’« aller vers ».L’expression désigne, pour les acteurs de l’action sociale,...

L’aide sociale reprend la rue

Près de Lille, l’association La Sauvegarde du Nord tente de sortir Claude, Radhouane ou Mario de la rue. Si les « permanences camion » et les maraudes à vélo permettent la rencontre, une maison à la campagne leur offre le répit nécessaire pour envisager d’autres possibles. Claude, 42 ans, yeux bleus et sourcils broussailleux, vient à Houplin pour être tranquille. Depuis sept mois, il vit dans une tente, à Loos, près de Lille. Il a...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules