Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Issu de l’aumônerie des prisonniers de guerre, le Secours Catholique a toujours été attentif aux questions de justice. Il fonde son analyse sur la pratique de l’accompagnement des personnes privées de liberté et sur l’ouverture manifestée par le Christ dans les Évangiles. Que nous disent les personnes détenues ? « On ne se réinsère pas entre quatre murs ! » La finalité de la peine devrait de moins en moins être de neutraliser une personne entre quatre murs en la faisant souffrir. Ce qui importe, c’est que la peine soit utile. À la suite du droit européen, le droit français vise aujourd’hui à rendre l’emprisonnement exceptionnel. Les sanctions non carcérales devraient être le mode normal d’exécution des peines, du moins pour les infractions les moins graves. Et pourtant, ce sont les courtes peines qui conduisent à la sur-occupation des prisons françaises (la durée moyenne d’une peine est d’environ dix mois). Malheureusement, l’opinion publique considère que si une personne n’est pas condamnée à de la prison ferme, elle n’est pas sanctionnée. Malgré tous les efforts des professionnels, la prison ne permet pas la réinsertion : manque de ressources humaines, de temps, de lieux appropriés, d’activités, de budget, et surtout peur du risque, absence de confiance… Au contraire, elle favorise la récidive. Faute de volonté politique, la prison fonctionne comme un parking à pauvres. On ne fait rien pour eux et on fait semblant d’espérer qu’ils en ressortiront meilleurs. In fine, tous sont perdants : la victime, l’auteur, sa famille, la société. Y a-t-il alors des alternatives ? Et une place où s’investir pour des bénévoles ?
Posons le décor : un peu plus de 70 000 personnes entrent en prison chaque année (flux), 70 000 y « demeurent » (stock), tandis que 170 000 sont suivies en « milieu ouvert ». Sans penser et agir à la place de la personne détenue, ni épouser totalement son point de vue, le bénévole accompagnateur peut être un repère. « Pourquoi arrêter l’accompagnement à la sortie, puisque j’ai gagné sa confiance pendant la détention ? », demandent certains bénévoles. Mais la relation de dépendance est à l’opposé d’une pédagogie d’accompagnement vers la libération. Pour trouver le juste équilibre, les bénévoles sont invités à travailler en équipe (pour permettre à chacun de se recaler) et en réseau (afin de mutualiser les pratiques avec d’autres équipes, dans un souci de formation permanente).
Les bénévoles peuvent amorcer l’accompagnement à la sortie pendant la détention, par exemple lors des permissions. En milieu ouvert proprement dit, l’accompagnement intervient en complémentarité avec les structures publiques ou associatives pour l’hébergement, le soin ou l’aide à l’emploi : aux côtés de celui qui porte un bracelet électronique, comme tuteur de celle assignée à un travail d’intérêt général… Tout cela se fait à partir du projet de la personne, sans prétendre la faire entrer dans des dispositifs qui ne lui conviendraient pas.
Cet accompagnement se veut global et pluridisciplinaire, avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) comme chef d’orchestre, afin que chaque acteur joue sa partition en temps et en heure. Avec les services publics d’abord, il s’agit de réamorcer des droits que la détention avait suspendus (à commencer, parfois, par des papiers d’identité à refaire). Ensuite, en complément des professionnels, les bénévoles trouvent leur place. Il est important que les accompagnants formalisent leurs relations, se concertent et évaluent les résultats. Ce cadre est nécessaire afin de baliser les possibilités d’action des bénévoles, tout en évitant leur instrumentalisation. Ni surveillants, ni agents du Spip, ni thérapeutes, ils assoient leur crédibilité sur cette altérité : « Ah, vous n’êtes pas de l’administration ? Vous faites cela gratuitement ? Pour moi ? »
Certes la tentation est là, pour le Spip, de pallier son manque de moyens humains en « récupérant » des bénévoles, qui eux-mêmes peuvent y trouver davantage de reconnaissance. Mais faire le travail d’un service public1 n’est pas dans l’éthique du bénévolat. On ne peut être « bénévole d’un service public », au motif qu’on accomplirait son devoir de citoyen. La démarche relève davantage de la fraternité. Si les bénévoles, par leur position, se démarquent des professionnels, cela n’implique évidemment pas de décrédibiliser la sanction, de cautionner les comportements illégaux ni d’être déloyal envers ces services publics. Il s’agit simplement de conserver une posture d’écoute, bienveillante sans être naïve. Et la même proximité pourra être apportée par d’autres bénévoles à des victimes en souffrance.
Au Secours Catholique, les bénévoles sont formés pour accompagner toute personne, quels que soient l’acte commis, le degré de conscience de la gravité de celui-ci, voire sa « répréhensibilité ». Sachant qu’environ un tiers des personnes incarcérées connaissent des troubles de la santé mentale, de nature à altérer leur discernement, les bénévoles se doivent d’être indifférents au passé pénal. Leur posture est fondée sur l’écoute : une écoute ni moralisatrice, ni thérapeutique. « Entre un coupable et un innocent, il n’y a parfois que l’épaisseur d’une occasion », confiait un aumônier de prison. Ce que le pape François dit en d’autres termes : « À chaque fois que je rentre dans une prison, je me demande pourquoi eux et pas moi ? » Au-delà de toute « prédiction de dangerosité », le chrétien croit en l’homme. Il ne scinde pas l’humanité entre les « innocents » et ceux ayant fauté. La réalité est plus mélangée.
Le Secours Catholique croit en la capacité de tous à se relever. Quels que soient leurs chemins respectifs, accompagnateur bénévole et personne sous main de justice sont de la même humanité. Un accompagnement fécond suppose de tisser une relation paritaire de confiance, colonne vertébrale de la fraternité. Les rôles ne sont pas figés. Et il n’est pas rare qu’une personne accompagnée devienne, sous certaines conditions, bien sûr, membre, voire responsable d’une équipe prison-justice du Secours catholique !
Un glissement s’opère pour les bénévoles qui agissent à l’intérieur de la prison, lorsqu’ils passent le relais aux acteurs du milieu libre. Ils peuvent aiguiller la personne vers des équipes spécialisées du Secours Catholique, par exemple dans l’accompagnement vers l’emploi ou l’organisation de vacances pour des familles. L’ambition est que la personne suivie ne soit pas un « ex-détenu », un « sortant de prison », mais un citoyen qui, ayant payé sa dette, retrouve la communauté. Pour que le retour vers le droit commun se passe au mieux, il doit être progressif. Les bénévoles sont là pour amortir un choc d’autant plus rude que la détention aura été longue. Le chemin de l’accès au droit s’avère souvent un chemin de croix. Il arrive, par exemple, que des services de l’administration refusent, malgré l’obligation qui leur est faite, de domicilier un sortant.
À travers le prétexte d’une action, les bénévoles sont avant tout présents auprès des détenus pour qu’ils se sentent reconnus à part entière en tant qu’êtres humains et qu’ils puissent retrouver une place et un rôle positif dans cette communauté humaine.
1 Le terme de « travailleurs sociaux » ne figure plus dans la définition du statut des conseillers d’insertion de probation.