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Santé, logement, revenu de solidarité… Aujourd’hui, en France, des millions de personnes en précarité peinent à accéder à leurs droits. Le fossé entre ces personnes et l’action publique se creuse. Parmi celles qui pourraient toucher le RSA, 34 % ne le perçoivent pas. Ce constat, partagé par le Conseil d’État1 et les acteurs associatifs, appelle à recréer de la proximité avec les personnes en précarité. C’est le défi de l’« aller vers ».
L’expression désigne, pour les acteurs de l’action sociale, le fait de rencontrer les plus pauvres sur leur lieu de vie : à domicile, dans la rue, dans les squats ou les bidonvilles. Rappelons qu’en France, une personne seule est considérée comme pauvre si elle dispose de moins de 1 102 € par mois (60 % du niveau de vie médian), et comme très pauvre avec moins de 734 € par mois (40 % du niveau de vie médian).
Les objectifs de l’« aller vers » sont donc louables : lutter contre le non-recours (p. 20), comprendre les besoins et redonner du pouvoir d’agir aux plus précaires (p. 25). Qui serait contre ?
Mais la mise en œuvre de ces objectifs est ardue, et la démarche a parfois des effets pervers. Désireux de croiser leurs approches, des universitaires et des acteurs de la lutte contre la pauvreté se sont retrouvés en juin à Tours lors du colloque « Aller vers les personnes en grande précarité : expériences et perspectives, en France et à l’étranger », dont la Revue Projet était partenaire. Ce dossier en est tiré.
Aller sur le terrain et rencontrer les personnes précaires exige des moyens financiers et humains, du temps, une étude des besoins réels (p. 32) et des litres de café. Cela suppose des compétences : écouter, sortir de la posture de sachant, laisser de côté ses préjugés pour être disponible à l’autre tel qu’il est (p. 47). Cela nécessite une coordination entre les acteurs publics et associatifs d’un même territoire (p. 54).
Or rencontrer les plus pauvres sur leur lieu de vie ne remplacera pas les services publics qui ont déserté certains territoires (p. 36) ou sont saturés, alertent professionnels et associations. Ces derniers s’alarment de la logique de financement par projet (p. 58), qui interroge la pérennité des dispositifs et précarise les acteurs de la lutte contre la pauvreté comme les accompagnements proposés (p. 50).
En creux, ce dossier interroge l’évolution des relations entre l’État et les citoyens : à quel point associer les usagers à la construction des politiques sociales ? Jusqu’où tenir compte de la subjectivité et des particularités de chacun ? Comment ne pas limiter l’intérêt général d’une société à la somme des intérêts particuliers ?
1 Conseil d’État, « L’usager du premier au dernier kilomètre de l’action publique : un enjeu d’efficacité et une exigence démocratique », étude annuelle 2023.