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Dossier : L’imagination au pouvoir

Pas d’avenir sans collectif

© Sébastien Godefroy/Pacte du pouvoir de vivre
© Sébastien Godefroy/Pacte du pouvoir de vivre

Sans front collectif, nous avons bien peu de chances de répondre aux enjeux politiques, climatiques et sociaux de notre siècle, comme le souligne Amandine Lebreton, porte-parole du Pacte du pouvoir de vivre qui coalise 65 organisations. 


«Concilier fin du monde et fin du mois. » Ravivée par la crise des gilets jaunes, l’expression est désormais consacrée. L’équation n’est pourtant pas nouvelle et, sur le papier, ses termes sont simples pour qui veut les entendre. Il s’agit de mener la transition écologique sans laisser personne de côté, de proposer une réponse aux défis environnementaux en accompagnant chacune et chacun au quotidien, de construire un avenir collectif désirable en assurant protection et sécurité pour toutes et tous.

Simple à énoncer, donc, mais le défi est de taille. La crise climatique actuelle et l’effondrement de la biodiversité nous projettent dans un monde d’incertitudes et de profonds bouleversements. Les inégalités sociales n’ont jamais été aussi importantes, la crise de la Covid-19 a encore fragilisé des millions de Français, dont les plus jeunes d’entre nous, et de nombreuses démocraties à travers le monde sont ébranlées, y compris en France.

Nous croisons pourtant chaque jour des femmes et des hommes pour qui l’engagement est un mode de vie et qui font la démonstration que d’autres réalités sont possibles. Qu’un autre monde se dessine, çà et là, fort de l’énergie qu’elles et ils déploient. Leur énergie nourrit celle de nos organisations et nous permet à tous d’imaginer, pas à pas et en lien avec le réel, les conditions d’une juste transition de notre société.

Dans le champ politique, les idées tournent sur elles-mêmes. Pire, certaines s’inspirent des années les plus sombres de notre histoire.

L’imaginaire occupe une place centrale dans ces dynamiques. Il reste encore aujourd’hui l’un des moteurs puissants de l’action. D’une part, parce qu’il fait écho à la volonté de chacun de trouver sa voie en se projetant dans un futur désirable. D’autre part, parce qu’il est une pierre indispensable à toute action collective. Sans récit, pas de vision commune. Sans vision commune, pas d’élan. Sans élan, pas de transition. Il nous permet de retrouver une forme de cap collectif et donc un socle pour l’action. Et de s’éloigner du déni, du repli et de la violence.

Dans le champ politique, la place de l’imagination est aujourd’hui réduite à peau de chagrin. Les idées tournent sur elles-mêmes, se regardent le nombril. Pire, certaines s’inspirent des années les plus sombres de notre histoire. Pourtant, il existe quelques personnes, quelques collectifs, quelques espaces qui s’évertuent à penser et alimenter la vision d’un avenir commun permettant de concilier transition écologique et justice sociale.

C’est le cas du Pacte du pouvoir de vivre. Sa structure illustre à elle seule ce récit : avec ses soixante-cinq organisations de la société civile – ONG, syndicats, associations de solidarité, de citoyenneté, de jeunesse, de solidarité internationale – le Pacte du pouvoir de vivre démontre qu’une société de clivages et de chapelles n’est pas la seule issue et que le collectif est une voie d’avenir. Il met en lumière que les enjeux ne sont pas hermétiques les uns aux autres – social, écologie, emplois, santé, économie… – et que l’expérience des uns fait écho à l’expertise des autres.

Cadre de valeurs

Le Pacte du pouvoir de vivre vise à alimenter l’idée d’une société plus juste, plus solidaire, plus écologique, tournée vers l’humain et le bien-être. Il construit un cadre de valeurs communes qui permet d’imaginer d’autres relations humaines et avec le vivant, et une économie au service du bien commun. Le récit commun de la société que nous voulons nous fédère et nous donne le cap à suivre.

Pourtant ce cap, aussi indispensable soit-il, ne suffit pas à mobiliser pleinement au-delà des convaincus. Car le risque du tout imaginaire est de rester dans une forme de mirage et de tourner inexorablement autour d’une seule question : comment faire ? Cette même question se scinde en plusieurs interrogations qui occupent nos esprits depuis tant d’années : quelle voie emprunter ? Quelles sont les conditions économiques, sociales, politiques, démocratiques pour l’émergence de cette société nouvelle ? Comment mobiliser les acteurs ? Quelles nouvelles alliances construire ?

Car, oui, la transition écologique et sociale a tout autant besoin de fédérer autour de feuilles de route concrètes que de travailler sur l’imaginaire. Elle nécessite tout autant de proposer des moyens et une méthode que d’offrir un cap. Autrement dit, imaginaire et réalité sont les deux faces d’une même pièce. Et notre défi au quotidien est de trouver le bon équilibre.

Les filières économiques et industrielles seront forcément amenées à faire évoluer leur modèle.

Prenons l’exemple des grandes filières économiques et industrielles. Elles seront amenées, par anticipation ou par nécessité, à faire évoluer leur modèle. C’est le cas du secteur automobile français, aujourd’hui en plein questionnement stratégique. Rappelons quelques chiffres : la filière automobile française a perdu près de 100 000 emplois en quinze ans et, d’après le secteur lui-même, tout autant d’emplois seraient menacés dans les dix prochaines années.

L’industrie automobile est par ailleurs un acteur clé de la décarbonation : le transport est à l’origine de plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre françaises et la voiture en est responsable pour une large part. Or, d’ici 2030, cette industrie doit répondre aux « objectifs climat » européens, puis s’engager dans la voie, fixée par la loi d’orientation des mobilités, d’une décarbonation totale d’ici 2050.

Climat ou emplois ?

Pour identifier les voies de passage possibles, le think tank de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et la CFDT métallurgie ont travaillé pendant plus d’un an pour dresser un état des lieux de la filière moteur et explorer les futurs possibles. Pour atteindre les objectifs alliant maintien de l’emploi et préservation du climat, nos organisations ont tenu à identifier les étapes, les points de passages et les conditions sociales, économiques et politiques nécessaires.

Que retenir de ce travail ? D’abord qu’il est possible de concilier emploi, climat et renouveau de l’industrie automobile française. Plus encore, ce que montre notre scénario de transition juste, c’est que c’est bien le déploiement assumé et organisé du véhicule électrique, doublé d’objectifs sur l’économie circulaire et la sobriété, qui permettront de renouer, enfin, avec une dynamique positive pour l’emploi en France tout en répondant au défi climatique. Sur ces bases, nous demandons ensemble la tenue d’états généraux de l’automobile pour ouvrir ce débat entre tous les acteurs de la filière.

Ensuite, que le dialogue est vertueux et fertile. Ce travail est une contribution unique au débat sur l’avenir de la filière automobile. Sans phase de partage, et au vu de la complexité des enjeux, il aurait été vain d’envisager une convergence et une vision commune. Retenir aussi qu’il faut du temps pour s’accorder sur un chemin à suivre.

Sans un dialogue social renouvelé, il n’y aura pas de démocratie vivante.

L’année de travail entre les équipes de la FNH et de la CFDT illustre la nécessité de prendre le temps de partager les points de vue, de confronter les données, d’échanger sur les craintes et les attentes respectives… sans perdre de vue l’urgence à agir. Enfin ce travail permet de toucher du doigt la complexité de la tâche. Ce que nos organisations ont fait sur la filière moteur du secteur automobile doit être mené (et piloté de préférence par les pouvoirs publics) pour tous les secteurs économiques afin d’alimenter les débats et les réflexions sur les modalités de la transition.

Pour le dire autrement, notre initiative a eu pour ambition d’amorcer un changement de méthode. Cette nouvelle façon de penser et de construire les politiques publiques doit devenir la norme. Elle doit nous aider à avancer sur le « comment » et les modalités de la transition, et ainsi sortir de la politique des slogans qui fait florès aujourd’hui. Se donner collectivement des objectifs sans donner les moyens aux acteurs économiques, à la société civile, aux pouvoirs publics, de les mettre en œuvre, est infructueux. Il faut mettre notre imaginaire à l’épreuve du concret.

Nous devons également fédérer autour de feuilles de route ambitieuses. Sans un dialogue social renouvelé, il n’y aura pas de démocratie vivante. C’est au fond l’approche de nos organisations depuis des années. Que ce soit dans le champ de l’aide aux plus démunis, de l’économie sociale et solidaire, de l’écologie, du droit des salariés, de la jeunesse… Elles sont la preuve qu’une autre voie est possible.

L’ambition collective du Pacte du pouvoir de vivre est de proposer une autre façon de faire débat.

Pour mener nos actions et mettre en œuvre notre vision de la société, on nous a souvent laissé une route étroite, semée d’embûches, remplie d’ornières et d’angles morts. Pourtant, sur le terrain comme au niveau national, les idées tracent leur chemin. Issues d’une réflexion individuelle ou d’un imaginaire collectif, elles prennent corps dans les discours, dans les rapports, dans les expérimentations et les projets locaux. Nous les voyons se démultiplier, tenter de passer de l’exception à la norme.

C’est tout l’enjeu des mois à venir. Moments politiques majeurs, les élections présidentielle et législatives ont pour habitude de cristalliser les tensions. 2022 ne fera pas exception. En cette période où tout s’accélère, nous avons besoin d’un débat apaisé et non attisé par la haine et la division. Un débat construit sur des bases saines, et lucide sur les enjeux.

L’ambition collective du Pacte du pouvoir de vivre en cette période de campagne est justement de proposer une autre façon de faire débat. Et ainsi, tirer le trait entre le récit d’une société plus écologique et solidaire et sa mise en œuvre dans le réel.

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