Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
En accompagnant des groupes dans la mise en récit
d’un futur désirable, le collectif Imaginarium-s mise sur
la faculté dynamisante et joyeuse de la prospective. C’est là, aussi, que se joue le pouvoir d’agir.
La crise de la démocratie cache peut-être une forme de clairvoyance : un nouvel imaginaire démocratique ne s’ébauche-t-il pas dans les multiples expérimentations sociales en cours ? Un peu partout émergent ce que l’on pourrait appeler des « activateurs d’imaginaires », qui tentent de mettre l’avenir en récit pour le rendre désirable et donner envie de le construire. Des méthodes multiples, toujours avec l’idée que les démarches collectives sont souhaitables pour élaborer des scénarios à utilité sociale, au service de la transformation des modes de vie. Le projet Imaginarium-s est de ceux-là. Son but : explorer, à partir des germes de changement déjà présents, une réalité cohérente en devenir.
Pendant le premier confinement, plus d’une cinquantaine de designers, acteurs associatifs, consultants ou simples citoyens se sont retrouvés à distance pour co-élaborer une série audio, « Les Imagineur.es », encadrés par le collectif Imaginarium-s. Dans les quinze podcasts, conçus et réalisés en un temps record, on suit les aventures de personnages qui basculent en 2054 par une faille temporelle. L’occasion de se confronter à un monde profondément transformé, sans tomber ni dans la dystopie ni dans une utopie trop lisse.
L’avenir est déjà largement présent, sous forme d’un potentiel non activé.
Tout commence par le repérage de « germes de changement ». Si l’on se projette à trente ans de distance, l’avenir est en effet déjà largement présent, sous forme d’un potentiel non encore pleinement activé. La démocratie pourrait s’organiser autour de nouveaux mots, porteurs de pratiques inédites, loin des rituels républicains de la démocratie représentative. Le tirage au sort, par exemple, encore largement référé au juré d’assises, est de plus en plus utilisé pour composer des jurys citoyens, des conférences de consensus et bien sûr la récente convention citoyenne pour le climat.
Pourquoi ne pas imaginer, demain, pouvoir être appelé dans un conseil de quartier ou d’entreprise, pour évaluer une politique publique, ou pour devenir député ? Bien d’autres mots pourraient entrer dans ce grand renouveau des conceptions de la démocratie : le volontariat tout au long de la vie, le revenu d’existence, le care, l’intelligence collective… Une liste en constante évolution.
La démarche Imaginarium-s est encore trop embryonnaire pour présenter des résultats tangibles, mais elle traduit une double appétence : les participants, qu’ils soient venus par le bouche-à-oreille, dans le cadre d’une formation ou d’un festival, se disent heureux de s’être projetés dans un monde désirable, né certes de la sollicitation des animateurs, mais tout autant de leur imaginaire propre.
Notre pouvoir d’agir dépend beaucoup de notre désir.
Cette « surprise joyeuse » est notable en tant que telle, car elle est dynamisante. Rien de réellement neuf dans ces récits, mais une confirmation que notre pouvoir d’agir dépend beaucoup de notre désir, fonction de la capacité à se projeter au-delà des horizons que nous dessinent les médias et les politiques. Il est certain, comme le dit Rob Hopkins1, que les « Et si… » ont une puissance d’évocation indéniable.
Bien sûr, cette dynamisation n’a encore touché que quelques centaines de personnes et ses effets durables sur chacun appartiennent aux personnes qui les ont vécus. Néanmoins, certains témoignages laissent penser que des traces persistent. L’autre externalité positive du projet est la découverte de pratiques multiples et convergentes pour construire des récits collectifs. Initiatives individuelles, projets associatifs appuyés ou non sur des réseaux déjà constitués se révèlent au fil des rencontres. Petit à petit, le réseau informel (les Imagineur.es) se construit.