Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Internet réinvente-t-il le militantisme ?

L’engagement à l’heure du haut débit

Crédit : OnickzArtworks
Crédit : OnickzArtworks

L’arrivée d’Internet puis du web a bouleversé nos comportements, nos relations sociales, mais aussi notre répertoire de mobilisation politique. Dès les élections américaines de 2008, Barack Obama réussit la première campagne on line du XXIe siècle en utilisant massivement les réseaux sociaux. On compte aujourd’hui 4, 4 milliards d’internautes, soit 57 % de la population mondiale, contre 1,57 milliard en 2008. Les usages et les accès varient en fonction des aires géographiques, mais les nouvelles connexions se multiplient, en particulier en Asie et en Afrique… Face à ces évolutions, il n’est plus possible d’ignorer le potentiel que représentent les applications mobiles et les plateformes en ligne pour faire participer un maximum de personnes.

Il n’est plus possible d’ignorer le potentiel que représentent les applications mobiles et les plateformes en ligne pour faire participer un maximum de personnes.

Si l’on regarde plus près, cette galaxie numérique mêle à la fois une dimension politique, économique et technique. Dans un ouvrage récent, Pierre-Henri Tavoillot décrypte les évolutions que les nouvelles technologies font subir à la démocratie1. Le philosophe distingue trois couches. La première est Internet au sens strict. Porte d’entrée dans le virtuel, il consiste en un réseau très réel de communications physiques composé de câbles, de serveurs et d’ordinateurs. Mais parce qu’il est dénué de centre névralgique, parce qu’il n’a pas d’interrupteur général, on peut dire qu’il s’agit d’un dispositif libertaire ou anarchiste. À cette première couche viennent s’ajouter les applications qui permettent la transmission d’informations selon un protocole commun. Ce sont, par exemple, le courrier électronique, la messagerie instantanée ou le partage de fichiers. Alors qu’Internet est anarchiste, le web est aristocratique, c’est-à-dire élitiste et censitaire. La troisième couche est celle des réseaux sociaux. Leur caractéristique principale est d’effacer la barrière entre le privé et le public, entre la production et la consommation d’informations. Les réseaux sociaux sont à tendance communautariste. L’auteur résume ainsi la situation : « Anarchie de l’Internet, aristocratie du web et communautarisme des réseaux sociaux : telle est la triple idéologie des nouvelles technologies de l’information, toutes portées par de fortes personnalités : les monarques charismatiques des Gafam [voir l’article d’A. Bellon, p. 9] et Batx (leur équivalent chinois) et les hackers libertaires de l’ombre. Force est donc de le constater : aucune n’est naturellement favorable à la démocratie ! Même s’il est envisageable que la démocratie puisse se les rallier. Ces trois niveaux peuvent produire le meilleur comme le pire » (p. 195).

Dans quelle mesure ces nouvelles technologies nous aident-elles à réinventer des formes d’engagement citoyen ?

En proposant un panorama historique et géographique, notre dossier illustre cette ambivalence du numérique. Il permet surtout de creuser une question qui nous paraît centrale : dans quelle mesure ces nouvelles technologies nous aident-elles à réinventer des formes d’engagement citoyen ? L’outil en lui-même induit des contraintes et un mode de fonctionnement plus ou moins horizontal, vertical ou bien cantonne à l’entre-soi. De nombreux acteurs font cependant le pari qu’il est possible de les utiliser pour remettre le citoyen au cœur de la vie politique. Okhin, l’une des figures du hacking français, s’est fait connaître en permettant à des Tunisiens de contourner la censure de Ben Ali sur Internet (A. de Mullenheim, p. 44). Quant à Audrey Tang, nouvelle ministre du digital de Taïwan, elle entend améliorer les moyens de prendre des décisions en politique grâce au dialogue (É. Frenkiel, p. 52). Si le numérique n’est pas en soi porteur de révolution, il révolutionne les modes de mobilisation, notamment en permettant des coopérations décentralisées à l’échelle globale. Ne soyons ni angéliques ni naïfs. Restons vigilants pour apprivoiser ces nouveaux outils et en tirer le meilleur. Restons créatifs pour inventer, selon les circonstances, la bonne alchimie entre l’activisme en ligne et les modes traditionnels de mobilisation. Les opposer serait préjudiciable. Comme le rappelle Laurent Duarte (p. 60) : « L’enjeu au quotidien est bien de tenir l’équilibre entre engagement en ligne et dans la rue ».

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Pour une reconquête de l’attention

La démocratisation du smartphone a profondément changé nos manières d’être et d’interagir en société. Avec quelles conséquences sur l’engagement individuel et collectif ? En quelques années, le smartphone a envahi nos vies : les Français de 16-24 ans passaient déjà près de quatre heures par jour sur leur smartphone en 20161. Notre collectif est né du malaise ressenti face aux yeux baissés de couples muets, de parents absent...

Afrique – Quand la démocratie se joue en ligne

Le virage numérique qu’a connu l’Afrique a permis à de nombreuses voix dissidentes de se faire entendre, contournant la censure. Mais il pose la question de la sécurité des cybermilitants… et ne remplace pas l’engagement de rue. L’expérience du collectif « Tournons la page ! ». « Tournons la page ! » Le 15 octobre 2014, cet appel de militants et d’intellectuels d’Afrique et d’Europe résonnait comme un cr...

Okhin, hacker battant

Okhin est un « hacktiviste » : il détourne, contourne, défait les systèmes qui contreviennent aux libertés des citoyens sur Internet. Pour tenter de changer le monde avec des lignes de code. Cet après-midi, j’ai rendez-vous avec un « hacker ». Et pas n’importe lequel : Okhin est l’une des figures médiatiques du hacking français. J’ai beaucoup de questions : comment devient-on hacker ? Peut-on s’engager politiquement derrière son écran ? Comment les militan...

Du même auteur

La flemme ou la flamme ?

Certaines idées reçues ont la vie dure : les jeunes seraient moins investis au travail, voire ne voudraient plus travailler. En un mot, ils seraient devenus paresseux ou, tout simplement, obsédés par les RTT, le télétravail et les loisirs. Ces préjugés envers la jeunesse ne sont pas nouveaux.Pourtant, le récent rapport de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) et de l’institut Terra nova dépeint une réalité tout autre : les moins de 30 ans sont « tout aussi investis dans leur travail et ...

L’entreprise : un enjeu démocratique

Face à la perte de sens de nombreux salariés vis-à-vis de leur travail, François Ruffin, journaliste et député, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe, appellent à redonner du pouvoir de décision aux travailleurs.  Cet entretien croisé entre François Ruffin et Jean-Noël Barrot a eu lieu dans le cadre de l’université populaire d’Esprit civique, les 14 et 15 octobre 2023 à Cluny, e...

Cinq ans de sagacité

Le Pacte du pouvoir de vivre fête ses cinq ans d’activité en ce mois de mars. Cet anniversaire est réconfortant, car il témoigne de la vitalité du Pacte et de sa capacité à fabriquer de l’unité entre des associations, des fondations, des mutuelles ou encore des syndicats engagés pour une société plus écologique, sociale et démocratique.Plus de soixante-cinq organisations parmi les plus importants acteurs des solidarités sont réunies dans ce collectif. Chacun des membres est invité à dépasser so...

1 Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple roi ? Traité nouveau d’art politique, Odile Jacob, 2019, pp. 194-195.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules