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« La personne à la rue reste indécelable dans les statistiques de mortalité », s’indignait l’anthropologue Daniel Terrolle1. De fait, en France, les données sur les sans domicile – classés dans la vaste catégorie des « inactifs » dans les statistiques de mortalité – demeurent très parcellaires. Certains auteurs avancent une espérance de vie autour de 45 ans. Le nombre de décès a été estimé à environ 2 200 par an entre 2008 et 20102. Parmi ceux recensés depuis 2007 par le collectif « Les morts de la rue », 20 % ont plus de 60 ans.
Sur près de 40 000 consultations chez Médecins du Monde, les principales pathologies sont respiratoires, digestives, ostéo-articulaires ou concernent des maladies de la peau. Près de 60 % des patients souffrent d’une pathologie chronique, beaucoup ayant un recours tardif aux soins. Une enquête3 auprès de personnes mal logées en Île-de-France a mis en évidence la fréquence (31 % de la population) de troubles psychiatriques sévères (psychotiques, anxieux ou troubles sévères de l’humeur), des addictions (29 %) à des substances psychoactives, la dépendance à l’alcool (21 %) ou au cannabis (16 %).
Aux difficultés d’accès au logement s’ajoutent souvent des problèmes d’accès à l’alimentation. Parmi les personnes reçues par Médecins du Monde4, 46 % déclarent ne pas avoir mangé pendant une journée entière, au moins une fois au cours du mois (la majorité des repas sont pris sur un lieu d’hébergement ou dans le cadre de distributions gratuites5). Être sans logement6 se traduit par une malnutrition : insécurité alimentaire (77 % des parents et 69 % des enfants), anémie (50 % des mères et 38 % des enfants), surpoids (38 % des mères et 22 % des enfants) et obésité (32 % des mères et 4 % des enfants). 80 % des enfants ont un retard de développement.
L’exposition aux intempéries est probablement une des conditions d’existence qui marque le plus la population de la rue – ce sur quoi focalise le terme « sans abri ». Le froid (dont se plaignent aussi 19 % des ménages logés, un chiffre en forte hausse7) est souvent l’élément perçu comme le plus dangereux. Or la chaleur tue autant, voire plus, par déshydratation8.
1 Daniel Terrolle, « La mort des SDF à Paris : un révélateur social implacable », Études sur la mort, n°122, 2002, pp. 55-68.
2 Céline Vuillermoz, Albertine Aouba, Lise Grout, et al., « Estimation du nombre de décès de personnes sans domicile en France, 2008-2010 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°36-37, 17/11/2015, pp. 657-661.
3 Anne Laporte et Pierre Chauvin (dir.), « Rapport sur la santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel d’Île-de-France », Observatoire du Samusocial de Paris/Inserm, 2010, 224 p.
4 Marielle Chappuis, Estelle Thomas, Émilie Durand et Sophie Laurence, « Alimentation et risques pour la santé des personnes migrantes en situation de précarité : une enquête multicentrique dans sept centres d’accueil, de soins et d’orientation de Médecins du Monde France, 2014 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°19-20, 05/09/2017, pp. 415-422.
5 « Enquête auprès des personnes fréquentant les services d’hébergement ou de distribution de repas (dite Sans Domicile 2012) », Insee, 02/05/2016.
6 Stéphanie Vandentorren, Erwan Le Méner, Nicolas Oppenchaim et al., « Caractéristiques sociodémographiques et santé des familles sans logement en Île-de-France : premiers résultats de l’étude Enfams, 2013 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°36-37, 17/11/2015, pp. 679-685.
7 Fondation Abbé Pierre, « L’état du mal-logement en France 2017 », rapport annuel, n° 22, p. 403 et suivantes.
8 Vincent Girard, Pascale Estecahandy, Pierre Chauvin, « La santé des personnes sans chez soi. Plaidoyer et propositions pour un accompagnement des personnes à un rétablissement social et citoyen », rapport remis à Madame Bachelot-Narquin, ministre de la Santé et des Sports, nov. 2009.