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Comment un territoire peut-il endiguer l’envolée des prix du logement et donc assurer une politique d’accueil, sans contrôler les rythmes, les volumes et les coûts de production du foncier aménagé ? Une offre déséquilibrée alimente en effet la spéculation foncière et immobilière et provoque une tension sur l’ensemble des segments du marché, entraînant exclusion, étalement urbain… C’est ce qu’a compris très tôt la ville de Rennes, en constituant dès les années 1950 des réserves foncières d’envergure.
S’inscrivant dans cette tradition, l’agglomération rennaise n’a eu de cesse de développer une offre de logements accessibles à tous, avec une recherche permanente de mixité sociale et générationnelle. La condition de réussite de sa politique locale de l’habitat réside dans son approche globale. L’objectif de loger tout un chacun, quelle que soit son origine, son âge ou son niveau de ressources, ne peut être appréhendé que grâce à la cohérence et à l’enchaînement de l’ensemble des strates de la politique de l’habitat. Il s’agit de conforter les deux piliers de cette politique : la dimension urbaine, par la maîtrise publique du développement, tout en s’assurant de l’attractivité du parc existant ; la dimension humaine, en veillant à un accueil équilibré et à une équité d’accès pour tous, plus particulièrement pour les plus fragiles.
La politique foncière de Rennes Métropole est au cœur de sa stratégie d’accueil et d’attractivité. Mise en place à partir de 1994, elle permet d’assurer la disponibilité et la mobilisation des terrains pour mettre en œuvre des opérations d’aménagement dont on maîtrise le coût, le rythme et l’adéquation aux enjeux du développement durable – équilibre social, mobilité, limitation de l’étalement urbain… Intervient ici un outil prospectif, la zone d’aménagement différée, qui permet d’identifier et de geler de nombreux terrains pour les projets futurs.
Dès 1998, la ville de Rennes a en outre généralisé le droit de préemption urbain. Cet outil de régulation du marché foncier, rarement utilisé à cette échelle, légitime le cadre d’une négociation où la puissance publique est prioritaire pour acquérir un bien foncier ou immobilier pour la réalisation de ses objectifs. Cette culture rennaise, étendue depuis aux communes alentour, constitue désormais le socle de la stratégie métropolitaine.
Anticipatrice, cette politique foncière reconnue à l’échelon national permet de maîtriser les localisations, les rythmes, les coûts et les types d’urbanisation. Elle s’appuie sur l’articulation entre le projet de territoire intercommunal et les projets urbains communaux.
Les objectifs de production de logements ne se réduisent pas au secteur social : ils concernent toute l’offre de logements, quelles qu’en soient les caractéristiques, le statut, la localisation… Car la prévention de l’exclusion et l’accès au logement des plus modestes ne peuvent être envisagés isolément. Seule une action sur l’ensemble de la chaîne permet de résoudre les multiples blocages, dont le cumul remet en cause les parcours résidentiels : le « choc » quantitatif de l’offre ne suffit pas. C’est dans cet esprit que, depuis 2015, Rennes Métropole a complété son dispositif de logements aidés par un programme de logements régulés, afin d’endiguer une bipolarisation du logement neuf, entre, d’un côté, le logement aidé subventionné par la Métropole (50 % de la production) et, de l’autre, le logement libre, tourné vers des produits s’inscrivant dans la fourchette haute du marché.
Le programme local de l’habitat (PLH) 2015-2020 entend corriger cette dialectique, en introduisant des logements intermédiaires dans les espaces interstitiels. Naturellement, ces logements peuvent prendre différentes formes : selon que l’on envisage de les construire pour de jeunes actifs, des familles, des étudiants ou des seniors, selon qu’on les fasse construire dans la ville de Rennes, dans des communes de première ou de deuxième couronne… Le PLH organise ainsi 60 % de la chaîne de la production neuve de logements : 40 % de logements aidés (locatif social et accession sociale), puis désormais 20 % de logements régulés (locatifs intermédiaires et accessions maîtrisées)1.
Réguler, ce n’est pas aider. C’est imposer aux acteurs, par certaines formes d’encadrement, la production de logements insuffisamment représentés dans leur offre.
Une gamme de logements jusqu’alors absents du marché est ainsi garantie, sans qu’il en coûte à la collectivité, à l’inverse des dispositifs d’appui aux logements aidés, efficients mais fortement mobilisateurs de subventions publiques. Réguler, ce n’est pas aider. C’est imposer aux acteurs, par certaines formes d’encadrement, la production de logements insuffisamment représentés dans leur offre. C’est élargir le spectre pour répondre à des demandes jusque-là exclues du marché. Concrètement, cela se traduit par la détermination de prix de vente encadrés ou de loyers maximum2, pour permettre à des ménages non éligibles au logement aidé, mais insuffisamment solvables pour accéder dans de bonnes conditions au marché libre, de se loger sur l’ensemble du territoire. Cette régulation des prix et des loyers est définie par rapport à la capacité contributive de chaque catégorie de ménages. Elle s’appuie sur une démarche partenariale avec les promoteurs sociaux et privés, pour définir les conditions d’équilibre des opérations immobilières (charge foncière, coût de construction, capacité de péréquation entre logement libre et logement aidé ou régulé).
Au début des années 2000, Rennes Métropole fait le constat d’un manque d’efficience de sa politique de l’habitat, jugée peu engageante par différents acteurs du logement : les communes, les aménageurs et les opérateurs publics et privés. Les élus décident de formaliser l’adhésion de chaque partenaire, par la signature d’un contrat de mise en œuvre du programme local de l’habitat. Désormais pérennisée, cette contractualisation contextualise les actions de chaque partenaire dans son champ de compétences. La démarche repose sur la philosophie du « gagnant/gagnant », dans un environnement ouvert au partenariat, mais où les trois quarts de la production de logements sont réalisés sur des fonciers à maîtrise publique.
Rendre accessible le logement à tous nécessite, pour l’ensemble des acteurs, une maîtrise des coûts, depuis le foncier brut jusqu’à la production et la mise en service du logement. Le premier engagement des partenaires est donc d’acquérir le foncier nécessaire au développement des opérations, dans le respect de valeurs de référence compatibles avec les orientations du PLH. Ce premier maillon d’un contrôle global vise à assurer l’équilibre financier des opérations d’aménagement et à viabiliser les règles de diversité des logements. Pour des opérations en diffus [dispersées dans la ville, NDLR], la contractualisation avec les opérateurs permet d’orienter une partie des marges immobilières réalisées sur le logement libre vers les produits aidés et régulés.
La métropole rennaise n’a fait l’objet d’aucun recours au nom du droit au logement opposable.
Cette méthode de gouvernance, dans le prolongement de la politique foncière, est une véritable marque de fabrique de l’agglomération rennaise. Au-delà des objectifs propres de chaque partenaire, la contractualisation reconnaît à Rennes Métropole le sens de son action pour orienter les programmes sur l’ensemble de la métropole. Les effets sont patents. Du fait de la régulation du stock, l’envolée des prix de l’immobilier est contenue : dans la métropole rennaise, il faut en moyenne douze années et demi de revenu pour acquérir un T3 dans l’ancien3, soit un an et demi de moins, en moyenne, que dans les autres métropoles françaises (hors région parisienne), malgré l’attractivité du territoire. Et le logement pour tous est assuré : forte de son dispositif de relogement social prioritaire, la métropole rennaise n’a fait l’objet d’aucun recours au nom du droit au logement opposable (Dalo).
1 Pour aller plus loin, cf. Rennes Métropole, « Programme local de l’habitat de Rennes Métropole 2015-2020 » et « Bilan du Programme local de l’habitat 2005-2014 ».
2 Nota bene : la loi sur l’encadrement des loyers ne concerne pas l’agglomération rennaise. Une collectivité est par ailleurs tout à fait en droit d’encadrer les prix dans le cadre d’une politique d’accession sociale à la propriété, ainsi que les loyers, selon un contrat acté dès le départ avec l’acquéreur dans son acte notarié.
3 Cf. Fédération nationale des agences d’urbanisme et Assemblée des communautés de France, « Observ’agglo, 50 indicateurs pour décrypter les dynamiques des grandes agglomérations », données 2014.