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La transition écologique pourrait être un formidable vivier d’emplois. C’est en tout cas ce que laisse penser le WWF qui estime, en effet, à plus d’un million le nombre d’« emplois verts » qui pourraient être créés d’ici 2022 dans son rapport « Monde d’après : l’emploi au cœur d’une relance verte » publié l’été dernier. La transition écologique figurerait-elle donc parmi les réponses à apporter au chômage de masse ? Comment pourrait-on l’articuler aux politiques de lutte de contre la pauvreté ?
Comme pour les webinaires précédents, nous nous efforçons de fournir quelques éléments de synthèse des échanges pour inviter les lecteurs et les auditeurs à prolonger leur réflexion. Ces notes, rédigées par Olivier Legros (géographe, Université de Tours), restent évidemment personnelles et ne prétendent pas à l’exhaustivité.
Après l’insertion économique, c’est au tour de la transition écologique de retenir notre attention afin de voir si elle peut constituer un vecteur de lutte contre la pauvreté. On pense aux ménages en situation précaire concernés par les plans d’amélioration de l’habitat mais aussi aux emplois en raison des opportunités que pourrait représenter la transition : dans un rapport publié l’année dernière, le WWF estimait en effet, à plus d’un million le nombre d’ « emplois verts » qui pourraient être créés d’ici 2022 si l’État accordait la priorité à la transition. Afin de discuter de ces différentes hypothèses, nous avons fait appel à des acteurs associatifs engagés dans la lutte pour la transition énergétique à l’échelle nationale (Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France) et à l’échelle locale (Frédéric Bosquet, du projet Tera implanté à Tournon d’Agenais dans le Lot-et-Garonne) et dans la lutte contre la précarité énergétique (Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative « Rénovons »,). Nous avons également sollicité un chercheur : Emmanuel Combet, économiste à la direction Prospective et Recherche de l’Ademe.
Comme on pouvait s’y attendre, les intervenants s’accordent pour souligner les besoins immenses que pourrait générer la transition écologique dans les prochaines années. L’étude conduite par WWF vise en effet à démontrer qu’un investissement dans une « relance verte » peut contribuer à soutenir l’emploi en France rapidement et durablement grâce à un maintien et à une création d’emplois portés par les secteurs de transition (habitat, transports agriculture, tourisme durable, recycleries, gestion des déchets, protection de la nature, des paysages et de la biodiversité, etc.). Cette hypothèse est aujourd’hui partagée par de nombreux acteurs de la société civile, ainsi que par des « laboratoires d’idées » comme l’Institut Rousseau, qui vient de publier un rapport intitulé « Pour une garantie à l’emploi vert ».
Les méthodes de calcul n’ont pas été évoquées pendant le webinaire, mais la transition s’avère être un gisement d’emplois très intéressant : 1) les emplois créés dépasseraient a priori de plusieurs dizaines de milliers ceux qu’induirait un plan de relance accordant la priorité à la seule croissance économique ; 2) il s’agirait d’emplois non délocalisables et de tous niveaux de qualification (V. Andrieux, F. Bosquet).
Les potentialités de création d’emplois sont d’autant plus importantes que les politiques engagées jusqu’à présent restent en deçà des objectifs fixés. Le Haut conseil pour le climat, dans son rapport Neutralité carbone 2020 « Redresser le cap, relancer la transition », nous alerte : « Les actions de la France ne sont pas encore à la hauteur des enjeux et des objectifs qu’elle s’est donnés dans sa stratégie nationale bas carbone. […] Les émissions françaises de gaz à effet de serre ont baissé de -0,9 % par rapport à 2018 alors que l’objectif annuel est une baisse de 1,5 %. À partir de 2024 il sera de -3,2 %. Il est urgent d’accélérer. »1 Pour rester dans la thématique générale de nos webinaires, en l’occurrence la lutte contre la pauvreté, on peut d’ailleurs se demander si les politiques en question atteignent bien les personnes en situation précaire, la complexité des procédures et les critères d’éligibilité rendant l’accès aux dispositifs souvent difficile à ces personnes. La question est la même pour les emplois « verts » : quels sont les dispositifs d’insertion et les formations qui permettent aujourd’hui à des personnes éloignées de l’emploi d’y accéder ?
Manifestement, en ce qui concerne la transition écologique, l’heure est toujours à l’expérimentation et aux mobilisations. C’est bien entendu à l’échelle locale que les expérimentations s’observent le mieux, à l’instar du projet d’écosystème coopératif de l’association Tera. Alternatif, ce projet entend promouvoir la relocalisation de l’activité économique au sens large, c’est-à-dire la production, la circulation et la consommation de richesses, la priorité étant, pour l’instant, accordée à la satisfaction des besoins au sein des territoires locaux. Pourtantl le projet n’a pas qu’un caractère économique ; il est aussi politique puisqu’il s’agit de privilégier une gouvernance à la fois locale et participative. Même s’il est très récent, ce projet semble rencontrer un certain succès auprès des partenaires institutionnels locaux et des particuliers, assez nombreux, selon F. Bosquet, à vouloir rejoindre le village expérimental de Tera. A ce stade, il reste toutefois difficile de se faire une idée précise des retombées effectives de ce projet, ainsi que de sa capacité à intégrer les personnes en situation précaire au sein des territoires locaux. Le mieux serait sans doute d’aller sur place et de mener l’enquête !
Dans le contexte actuel où la transition écologique en est, pour ainsi dire, à ses premiers balbutiements, l’enjeu consiste assurément à construire le rapport de force qui permettrait de l’inscrire en haut de l’agenda des pouvoirs publics. Les moyens envisagés par les intervenants qui tous, à leur manière, sont des militants de la transition écologique et/ou de la lutte contre la précarité énergétique, sont divers et variés : V. Andrieux évoque par exemple le « dialogue social » mais on peut se demander si cela suffira, comme elle le propose dans le webinaire, à réorienter vers les chantiers de la transition les 18 milliards d’euros investis aujourd’hui dans le domaine des énergies fossiles. Quoiqu’il en soit, les acteurs associatifs multiplient d’ores et déjà les campagnes médiatiques – sur ce plan, les rapports du WWF et de l’Institut Rousseau sur les emplois verts sont sans doute exemplaires ainsi que les opérations de regroupement au sein de vastes coordinations qui, à l’image de l’initiative « Rénovons », cherchent à faire pression sur les pouvoirs en place (D. Dubreuil). Notons que ce travail ne se réalise pas seulement à l’échelle nationale car, à l’échelle locale aussi les acteurs associatifs cherchent à convaincre les élus locaux de soutenir leur démarche, voire d’adhérer à leurs projets (Cf. J. Bosquet, à propos du village expérimental de Tera).
Le lien entre la transition écologique et la lutte contre les inégalités est souvent présenté comme une évidence, mais comment le construire concrètement ? D’abord, il faut souligner que les personnes en situation précaire sont les bénéficiaires potentiels de la lutte pour la transition. La lutte contre la précarité énergétique concernerait ainsi, selon D. Dubreuil, entre 7 et 12 millions de personnes en France. Dans le même ordre d’idées, les communautés locales peuvent être parties prenantes de projets de protection des écosystèmes naturels, comme le laisse entendre V. Andrieux à propos du plan de soutien à la pêche durable en Guyane.
Bien que constituant en quelque sorte le point de départ de ce webinaire, l’insertion par l’emploi a été finalement peu évoquée. La dimension sociale pourrait, par exemple, se voir accorder plus de place dans les critères d’attribution des marchés publics. Il conviendrait aussi – le point est souligné par certains intervenants dont D. Dubreuil – d’améliorer l’offre de formation en direction des personnes peu ou pas qualifiées en ce qui concerne les « emplois verts ». Il existe aussi des initiatives d’insertion économique dans les métiers liés à la transition. Nous ne les avons pas évoquées lors du webinaire mais on pourrait peut-être les soutenir davantage, à l’image, notamment, des projets soutenus par la fondation ZOEIN autour du Revenu de Transition Écologique.
Une autre articulation entre transition écologique et lutte contre les inégalités peut s’effectuer au travers de mobilisations politiques. Il existe d’ores et déjà des coalitions regroupant des acteurs de la transition et des acteurs de la lutte contre la pauvreté. C’est le cas de l’Initiative « Rénovons » ou encore du « Pacte pour le pouvoir de vivre » que nous avons déjà mentionné lors d’un de nos précédents webinaires : « Quelles évolutions dans le rapport de force de la société civile avec les pouvoirs publics ? » (nov.20). Ces coalitions parviennent-elles à construire des objets de lutte communs ou sont-elles, finalement, vouées à « courir deux lièvres à la fois », pour reprendre une expression familière ? Quelle relation entretiennent-elles par ailleurs avec les mouvements sociaux ?
Sur les mobilisations et sur les initiatives locales à l’image du village expérimental de Tera, il nous faut approfondir l’enquête… Autant sinon plus que sur des pistes d’action, c’est donc sur des pistes de recherche que nous conduit ce deuxième webinaire consacré à la dimension économique de la lutte contre la pauvreté à l’heure de la pandémie.
1 Redresser le cap, relancer la transition, Haut conseil pour le climat, 2020. Version grand public / Version complète