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La mobilité, principe au fondement de l’Union européenne, est devenue une menace pour les Italiens. La peur face à l’afflux de migrants et à la précarité de l’emploi en a occulté certains bienfaits, désormais considérés comme acquis.
Qu’évoque, pour les Italiens, la notion de mobilité ? Sans doute les migrations et les bouleversements en cours dans le monde du travail, en particulier ceux qui affectent les travailleurs, la mobilité étant synonyme de flexibilité. Ces deux sujets ne représentent pas toutes les facettes de la mobilité, mais sont certainement au centre de l’attention générale en Italie depuis une décennie.
L’arrivée des migrants et des demandeurs d’asile dans le pays enflamme le climat social ; elle est devenue un champ de bataille politique pour les partis. C’est surtout autour des questions migratoires que « La Ligue » de Salvini a construit son succès électoral. Les images des personnes débarquant sur les côtes italiennes après avoir traversé la Méditerranée ont suscité émotions et considérations diverses. Elles provoquent des échanges animés au sein des familles, entre amis, paroissiens ou collègues de travail. Selon une enquête réalisée en 20181, presque la moitié des Italiens (48 %) considéraient les migrants comme un danger pour l’ordre public et pour la sécurité des personnes, confirmant la division du pays à ce sujet.
Parallèlement, les transformations radicales du monde du travail s’accompagnent d’un sentiment d’incertitude face à l’avenir. Les conditions d’embauche et les modalités de travail sont de plus en plus précaires. Elles évoluent rapidement, dans un contexte européen marqué par la globalisation, l’avènement de l’économie digitale et l’ébranlement de la perception des frontières nationales, qui ne constituent plus un abri. Les médias fourmillent d’exemples d’investissements étrangers en Italie ou d’entrepreneurs italiens délocalisant leurs usines, et en soulignent les conséquences pour l’emploi. Ces changements imposent des déplacements aux travailleurs et peuvent être très mal vécus par des personnes attachées à leur stabilité géographique. Quant aux jeunes Italiens, de nombreuses analyses évoquent leur départ vers d’autres pays quand ils ont un solide bagage d’études, pour bénéficier de meilleures conditions de travail ou, tout simplement, pour en trouver un. À l’opposé se développe le phénomène des « Neet » : des jeunes qui ne travaillent ni ne sont en formation2. Les pourcentages particulièrement élevés de ces deux situations témoignent de la faiblesse des politiques publiques concernant cette tranche de la population.
Ces deux sujets ont dominé le débat avant les élections législatives de 2018 et seront à nouveau au centre de la campagne pour les élections européennes de 2019. Le rôle des institutions européennes dans ces domaines est jugé négativement. Mais il est surtout méconnu par une large partie des Italiens, même parmi ceux qui ont bénéficié d’une éducation élevée et qui disposent d’un bon travail. L’Union européenne est accusée de n’avoir pas su gérer le phénomène des migrations et d’avoir laissé l’Italie seule face à une situation exigeant une solidarité des autres États bien plus profonde et concrète.
Le terme de « mobilité » évoque ainsi insécurité, fragilité, mal-être pour une bonne partie des Italiens. Les effets positifs de la mobilité au niveau social, économique, culturel – facilitée par les mesures européennes – sont bien connus des élites. Mais la majorité tend à n’y voir qu’un acquis. Aussi bien, le débat national à ce sujet demeure bien pauvre, obscurci par d’autres manières de parler de l’Europe et de ses réalisations. Peut-être le chaos du Brexit, avec toutes ses conséquences, permettra de remettre en cause cet oubli d’autres facettes de la mobilité. L’enjeu sera de penser la mobilité à la lumière des changements en cours, pour dépasser des positions positives ou négatives a priori et engager une véritable réflexion sur la manière de penser et de décliner la mobilité au niveau européen.
1 « Immigration : the 58 % of Italians are “worried” », doxa.it, 23/07/2018.
2 Cf. Gianfranco Zucca, « Italie : une génération précaire en quête de travail », revue-projet.com, 19/09/2018 [NDLR].