Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
L’AfD, le parti d’extrême droite allemand, a peu de chance de remporter une large victoire aux élections européennes. Ses discours xénophobes ont cependant fortement altéré le débat démocratique, forçant les autres partis à infléchir leurs positions quant aux migrations.
En Allemagne, personne, ou presque, ne remettrait en cause la mobilité des biens, des services et des capitaux. La plupart des électeurs et des hommes politiques savent combien leur pays profite de ces libertés au fondement du projet européen. Lors des prochaines élections européennes, tous les partis démocratiques allemands s’opposeront d’ailleurs plus ou moins directement aux revendications anti-euro du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).
Mais l’idéal de « mobilité des personnes » illustre bien comment le débat démocratique a changé ces dernières années. Si les jeunes Allemands n’accepteraient pas de réduire leur mobilité personnelle et si le milieu des affaires est favorable à la mobilité du travail en Europe, rares sont ceux qui défendent les droits des migrants non européens à la mobilité. Même les sociaux-démocrates (SPD), qui historiquement se battent pour la solidarité internationale et la justice sociale, font maintenant campagne en faveur des classes moyennes et inférieures… allemandes. Aussi l’aide aux migrants et aux nations plus pauvres ne sera-t-elle certainement pas mise en avant aux élections européennes.
L’aide aux migrants et aux nations plus pauvres ne sera-t-elle certainement pas mise en avant aux élections européennes.
Cela tient notamment à l’influence qu’a eue l’AfD en 2015-2016, au plus fort de la crise des réfugiés. Le parti avait alors triplé son emprise, gagnant près de 10 % des sièges dans la plupart des élections régionales. Ce qui était au départ une initiative contre la monnaie commune s’est rapidement transformé en un mouvement agressivement xénophobe, défendant le « commun des mortels » contre « l’establishment » – les bureaucrates bruxellois, Angela Merkel, les médias et jusqu’aux évêques allemands, « aveugles face à la menace islamique ». Mais cette croissance rapide du parti a fléchi l’année dernière, du fait de la réduction du nombre de migrants et de la décision d’Angela Merkel de ne pas se représenter au poste de présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en décembre 2018. Les saillies de Donald Trump et le choc économique du Brexit ont aussi rendu les électeurs allemands plus sceptiques à l’égard des mouvements populistes.
Sans questionner la mobilité des biens, des capitaux et des services, les partis démocratiques proposeront des approches légèrement différentes : taxer les transactions financières ou les émissions de carbone, par exemple. Ils se présenteront à la fois comme des protecteurs de la stabilité et de la prospérité en Europe et comme des réformateurs, veillant à ce que l’Allemagne ne transfère pas à l’Union européenne des sommes plus importantes encore ou des droits plus souverains. C’est particulièrement vrai pour le parti conservateur bavarois CSU qui, après avoir tenté d’imiter la position xénophobe de l’AfD l’an dernier, soutient désormais la candidature au Parlement européen du plus modéré Manfred Weber, chef de file du Parti populaire européen.
Ainsi, même si elle ne risque pas de remporter une large victoire en mai prochain, l’AfD a déjà considérablement endommagé la qualité du débat démocratique et dénaturé l’idéal d’équité et de solidarité internationale cher à d’autres courants politiques.