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Si la plupart des marques cherchent à verdir leur chaîne de production, toutes ne questionnent pas en profondeur la durée de vie de leurs produits, les volumes vendus, la longueur de la chaîne de production, etc. Que l’on pense à Décathlon ou à Nike : les deux entreprises montrent un effort louable de transparence. Nike publie la liste de ses fournisseurs et recycle son polyester. Soit. Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? Pas sûr. Alors quels critères se donner pour des achats vraiment responsables ? Petit tour d’horizon des « bonnes pratiques » du secteur. À chacun d’orienter ses choix selon sa propre sensibilité.
À Pontacq1 (Pyrénées-Atlantiques) comme à Romans-sur-Isère (Drôme)2, il est encore possible d’acheter directement ses chaussures à l’usine ou à l’atelier. La marque 1083 vend des produits fabriqués en France3. La marque Equal for all, quant à elle, utilise des matériaux espagnols, français ou italiens, et sa fabrication est portugaise. Acheter local permet d’exprimer son refus de l’exploitation de la main-d’œuvre pratiquée dans bien des pays de production, de réduire l’empreinte carbone liée au transport des matériaux et des produits… Et c’est l’occasion d’une véritable écologie relationnelle : être en lien avec son territoire et avec celles et ceux qui ont fièrement façonné nos objets du quotidien. Pourtant, ce n’est pas toujours un argument de vente ! L’entreprise lorraine Mephisto a fait le choix de ne pas préciser que ses chaussures, réputées pour leur robustesse, sont fabriquées en France : « C’est réducteur. C’est trop petit et ne donne pas une vision d’avenir, mais une idée de protection » explique ainsi Rolf Conrad, son secrétaire général4.
Certaines marques préfèrent au contraire garder leur production en Afrique, pour y développer une boucle positive de fierté des producteurs et de salaires justes, qui peuvent être injectés dans l’économie locale. C’est le cas de Sawa, producteur de baskets, qui a en Éthiopie une politique de salaires décents et de contrats permanents. Chez Panafrica, on achète les tissus wax des chaussures colorées au prix juste à des petits producteurs d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à trois fois plus cher que les tissus chinois, et on privilégie le coton biologique et les teintures naturelles. L’assemblage des modèles, au Maroc, se fait dans un contexte protecteur : formation continue, contrats durables, congés payés, couverture santé… 10 % des bénéfices de la marque sont reversés à des associations partenaires. En Amérique latine, la marque Perús finance un jour d’école dans une banlieue pauvre de Cuzco (Pérou) pour chaque paire achetée !
Évidemment, le type de matériaux utilisés, la façon de les récolter et de les traiter, ainsi que la pollution et les déchets produits peuvent faire grandement varier l’empreinte écologique de la production d’une paire de chaussures. De nombreuses marques concentrent leurs efforts sur cet aspect. Ekyog, par exemple, qui vend plutôt des vêtements, propose des modèles tannés, selon son site, « avec des produits à base de plantes : écorces d’arbres, extraits de végétaux ; une solution plus respectueuse de la nature que le tannage au chrome du cuir traditionnel » (et qui évite les allergies au chrome, de plus en plus courantes).
Le site britannique BuyMeOnce.com recense des produits de tous types à garantie longue. En bonne place, on y trouve les chaussures Doc Martens, garanties à vie. Mais aussi la marque française Veja (voir plus loin). Plus ambitieux encore, aurait-on inventé les chaussures réparables infiniment ? En 2016, Quang Pham, étudiant à Virginia Tech (États-Unis), a remporté un prix au « Cradle to cradle design challenge » pour ses chaussures entièrement démontables et adaptables – un prix décerné par un institut californien5 bien installé récompensant chaque année quelques produits innovants triés sur le volet. « La chaussure est divisée en cinq composants » nous a-t-il expliqué. « Doublure intérieure, semelle extérieure, contrefort de talon, câblage élastique et embout de pied. La doublure intérieure de la chaussette est en laine, un matériau naturel hypoallergénique aux propriétés d’évacuation de l’humidité. La protection des orteils et les fils latéraux élastiques sont faits d’un mélange de coton et de bambou (le bambou pousse rapidement, sans pesticide). Et je me suis inspiré d’Adidas6 pour la semelle, imprimée en 3D à partir de plastiques recyclés (polyéthylène téréphtalate, PET, que l’on trouve couramment dans les bouteilles d’eau en plastique). Et toutes les pièces peuvent être changées, au fur et à mesure que la chaussure vieillit.7 » Reste à mettre l’idée en pratique, ce qui n’est pas dans les projets de l’étudiant. Espérons que d’autres s’en saisiront !
La marque Veja présente l’intérêt de remplir plusieurs critères environnementaux. Leur coton, bio, suit les principes du commerce équitable : il est acheté à un prix presque deux fois plus élevé que celui du marché. Le caoutchouc des semelles est naturel ; il est acheté directement aux communautés amazoniennes qui le récoltent et le transforment de façon traditionnelle, dans la réserve brésilienne Chico Mendes8. La fabrication est réalisée au Brésil, dans une usine où les employés, fortement syndiqués, gagnent un salaire correct, pour un temps de travail réglementé. Puis la logistique est confiée en France à Ateliers sans frontières, un chantier d’insertion par le travail. Tout cela est fait dans une grande transparence. Même les contrats avec les fournisseurs sont disponibles sur leur site ! Par ailleurs, un modèle sur quatre est vegan. « Nos baskets, avancent-ils, coûtent cinq fois plus cher à produire que les baskets des grandes marques », du fait des choix d’approvisionnement. Mais l’absence totale de publicité permet à Veja de vendre ses chaussures au même prix que ses concurrents.
La marque allemande Ethletic semble avoir également développé une démarche très poussée de production responsable : ateliers avec travailleurs organisés, principes du commerce équitable, coton biologique labellisé Max Havelaar… Ce fut la première marque de sport à verser volontairement 15 % du prix de vente de ses produits à l’association de protection sociale des travailleurs de ses installations de production.
Si l’on peut se féliciter du fait que ces démarches montrent la voie à suivre, elles reposent pour l’instant sur quelques bonnes volontés. Reste à ce que le politique s’en mêle, pour que la dignité des travailleurs et la sauvegarde de la planète ne soient plus en option !
1 Cf. l’article d’Aurore Chaillou dans ce dossier : « Chaussures ‘Made in Béarn’ : pourvu que ça dure ».
2 Cf. l’article de Pierre-Jean Cottalorda, Cécile Renouard et al. dans ce dossier.
3 Sur l’Hexagone, les deux points les plus éloignés sont à 1083 km de distance [NDLR].
4 Bernard Kratz, « Mephisto a dépassé le made in France », Le Républicain lorrain, 9/01/2012.
5 Le « Cradle to cradle products innovations institute ».
6 Pour sa ligne de chaussures Parley, Adidas utilise des plastiques océaniques et les transforme.
7 Propos recueillis par Jean Merckaert et Louise Roblin en juillet 2018.
8 Chico Mendes (1944-1988), militant de la protection de la forêt amazonienne, a été assassiné par des propriétaires terriens au nom de ses idéaux.