Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Ceci n’est pas un numéro sur la chaussure

Dans les chaussures d’Aldo

Joseph Paradis, dit Aldo, en compagnie d'Hélène Arnault, qui travaille dans la chaussure à Pontacq (Pyrénées-Atlantiques), juillet 2018 © Aurore Chaillou/Revue Projet
Joseph Paradis, dit Aldo, en compagnie d'Hélène Arnault, qui travaille dans la chaussure à Pontacq (Pyrénées-Atlantiques), juillet 2018 © Aurore Chaillou/Revue Projet

Joseph Paradis, que tout le monde ici appelle « Aldo », se demande comment ses successeurs vont faire pour s’en sortir. Au printemps 2016, à 70 ans, il a cédé son petit atelier de chaussures, à Pontacq, dans le Béarn. C’est sa carrure qui lui avait valu son surnom dès l’enfance, en référence à un célèbre rugbyman. Aldo a commencé à travailler dans l’atelier « Paradis-Pomiès », fondé en 1925 par son arrière-grand-père, au milieu des années 1960. Il se forme à une trentaine de kilomètres de là, à l’école de la chaussure de Jurançon, aujourd’hui disparue. La spécificité de leurs chaussures ? « La qualité, la solidité, et bien moins chère qu’ailleurs. »

« Ici, après la Deuxième Guerre mondiale, on dépassait les mille salariés dans la tannerie et la chaussure. Les gens travaillaient chez eux, pour des patrons. » Le carnet de commandes de l’atelier Paradis-Pomiès, où travaillait une dizaine de personnes, était alors bien rempli. « On faisait de la chaussure de cyclisme, de rugby, de ski, de marche, des nu-pieds. Mon père se déplaçait à Paris, au Bon marché, à la Samaritaine… On faisait des grandes tailles, du 45 au 49 et aussi des chaussures pour les pieds forts, pour des ouvriers qui, à force de porter des colis, avaient les pieds larges et écrasés… » Dans les années 1970-1980, « on faisait de la chaussure de sécurité. On était fournisseur de la SNEAP [Société nationale Elf-Aquitaine production] à Pau. Après, on a travaillé pour l’Arsenal de Tarbes. »

« On a chaussé la garde de Monaco, avec des Rangers. Et puis on a perdu des marchés et, par la suite, on a été bouffé par les gros. »

« On a chaussé des internationaux de rugby », poursuit fièrement Aldo.  « On a même chaussé la garde de Monaco, avec des Rangers. Et puis on a perdu des marchés et, par la suite, on a été bouffé par les gros. » Dans les années 1970, une célèbre marque de sport se met à produire les chaussures de rugby à bouts carrés, inventées à Pontacq. Le petit atelier familial ne peut pas lutter. La pression des grandes marques ? « Je l’ai sentie avec les chaussures à bouts carrés puis avec les chaussures de sécurité. » Le directeur d’une marque française concurrente, aux processus plus industrialisés, est venu ici un jour et a dit à son père : « ‘Quand je voudrais, je vous tuerai’. C’était une grosse boîte, ils sortaient mille paires de chaussures par jour. Du ‘Made in France’ eux aussi ». « Moi, j’ai toujours vendu en direct, je n’avais pas de magasin de revente. Ma publicité s’est faite par le bouche à oreille. L’usine était ouverte du lundi 8 heures au samedi 19 heures. » L’usine ? « C’est comme ça que j’appelais l’atelier. Pas de congé, il fallait surtout ne pas fermer en août. » Car à la période estivale, les touristes de passage achètent volontiers une paire de chaussures de marche, emblème de l’atelier.

« À Pontacq, les entreprises sont parties les unes après les autres », regrette Aldo. Nombre d’ateliers ne trouvent pas de repreneur dans la descendance. D’autres implosent à la suite de désaccords intra-familiaux. Chez les Paradis-Pomiès, on s’obstine, par amour du métier.

« J’achetais tout en France : les œillets, les lacets… Je payais les fournisseurs comptant. Et pour mon salaire, je jonglais avec la caisse quand je pouvais sortir quelque chose. Si j’avais eu 1300 euros par mois, ça aurait été bien ! A côté de ça, j’avais la maladie d’acheter pour l’usine. Pour avoir toujours de quoi travailler du jour au lendemain. » L’artisan n’a jamais compté ses heures. « Aldo, confie avec affection l’un de ses anciens collaborateurs, il acceptait toutes les demandes de réparation. » Chaussures, bien sûr, même celles qui ne venaient pas de son atelier, mais aussi ceintures, sacs à main… « Pour un travail de trois heures, il faisait payer 15 € ».

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Nike et Adidas : les secrets du succès

Confortables, pratiques, moins chères, les chaussures de sport remportent un succès planétaire en ce début de XXIe siècle. Nike et Adidas, qui font partie des leaders du marché, en tirent d’importants profits. Surtout les actionnaires, moins les ouvrières… Grâce à quelles stratégies ? En 2016, plus de 23 milliards de paires de chaussures se sont vendues dans le monde1, soit environ trois paires pour chaque habitant de la planète. 4 % ont été produites en Europe ; 87 % en Asie, principalement en ...

Quand les travailleurs asiatiques revendiquent un salaire plancher

En 2010, le Cambodge et le Bangladesh ont connu des manifestations massives de travailleurs du textile 1, à peine apaisées depuis. Leur revendication ? Un salaire décent. Un des problèmes centraux de l’industrie est en effet la persistance, dans de nombreux pays de production, de salaires trop bas pour permettre aux travailleurs (et surtout travailleuses, qui constituent 85 % de la main-d’œuvre) de vivre dignement. Le salaire vital est pourtant un droit humain fondamental, consacré par le droit...

Relocaliser la production de la chaussure : pour quel travail ?

Après avoir délocalisé des dizaines de milliers d’emplois vers des pays à bas coût de main-d’œuvre, l’industrie de la chaussure opérerait-elle le mouvement inverse ? C’est ce que peut donner à penser l’implantation en Europe et aux États-Unis d’usines fortement robotisées. Mais que devient le travail dans ces processus d’automatisation et à l’heure de la « lean product...

Du même auteur

Créer de la proximité : un défi collectif

Santé, logement, revenu de solidarité… Aujourd’hui, en France, des millions de personnes en précarité peinent à accéder à leurs droits. Le fossé entre ces personnes et l’action publique se creuse. Parmi celles qui pourraient toucher le RSA, 34 % ne le perçoivent pas. Ce constat, partagé par le Conseil d’État1 et les acteurs associatifs, appelle à recréer de la proximité avec les personnes en précarité. C’est le défi de l’« aller vers ».L’expression désigne, pour les acteurs de l’action sociale,...

L’aide sociale reprend la rue

Près de Lille, l’association La Sauvegarde du Nord tente de sortir Claude, Radhouane ou Mario de la rue. Si les « permanences camion » et les maraudes à vélo permettent la rencontre, une maison à la campagne leur offre le répit nécessaire pour envisager d’autres possibles. Claude, 42 ans, yeux bleus et sourcils broussailleux, vient à Houplin pour être tranquille. Depuis sept mois, il vit dans une tente, à Loos, près de Lille. Il a...

Un camping-car pour faire du lien

En Indre-et-Loire, un camping-car, le Bureau itinérant et solidaire, va à la rencontre des gens du voyage pour les aider à accéder à leurs droits. Une solution associative essentielle, que les services publics devraient reprendre à leur compte. Comment est née l’idée de ce Bureau itinérant et solidaire (BIS) ?Romain Crochet – Après la crise du Covid-19, nous avons répondu à un appel à projets dans le cadre du plan gouvernemental France relance. On y a vu...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules