Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

« Participer » pour secouer le pouvoir

Manifestation contre la privatisation de l'hôpital d'Angoulême, 2005 (c) Pierre-Alain Dorange
Manifestation contre la privatisation de l'hôpital d'Angoulême, 2005 (c) Pierre-Alain Dorange

« Enfin, nous avions le droit de donner notre avis. Enfin, nous étions des êtres humains à part entière. » Gilberte Brossolette, femme politique et résistante, se remémore ainsi le 29 avril 1945, ce jour où les femmes françaises purent voter pour la première fois. Aujourd’hui, le droit de vote n’est plus synonyme ni de reconnaissance des individus ni de vigueur démocratique. Abstention, vote blanc, méfiance à l’égard des élus, la démocratie représentative est en crise. Comment, alors, réconcilier les citoyens avec la chose publique ? C’est le défi de la démocratie participative. Mais pourquoi « participative » ? La démocratie n’est-elle pas le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Abraham Lincoln, 1809-1865) ? C’est qu’un gouvernement « par le peuple » et « pour le peuple » n’est jamais acquis.

Depuis les années 1990, la participation des citoyens s’est dotée d’une base juridique. Elle jouit même d’un certain effet de mode et se décline désormais à toutes les échelles (du quartier à l’Organisation des Nations unies, en passant par la ville, la région, etc.) à travers des dispositifs institutionnels régulièrement contestés (cf. G. Gourgues). À quoi sert de participer, quand le cadre, le lieu, l’heure et l’ordre du jour sont déterminés par ceux qui prendront la décision finale ? Le risque est grand de faire de la participation à moindre frais, sans remettre en cause ni les processus de décision ni leur cadre. C’est ainsi qu’au Havre des citoyens ont résisté à l’injonction qui leur était faite de « participer » à la rénovation de leur quartier (cf. F. Gilli). Une résistance qui a permis la mise en place d’un nouveau processus de concertation, auquel ils ont été, cette fois-ci, pleinement associés.

Quand on détient du pouvoir, que cela soit au niveau d’un pays, d’une commune, d’une entreprise ou d’une association, le partager n’est pas chose facile (cf. J. Caron). Les résistances sont nombreuses : crainte de ralentir les processus de décision, soupçon de voir les intérêts particuliers l’emporter sur l’intérêt général, ignorance et discrédit du savoir d’autrui. Peur, aussi, de se laisser déplacer. Car associer l’autre au pouvoir, c’est accepter d’y faire entrer l’inconnu. L’expérience quotidienne d’un quartier populaire, celle de vivre en dessous du seuil de pauvreté, de se déplacer en fauteuil roulant dans la ville, d’être une femme qui élève seule ses trois enfants… Associer l’autre au pouvoir, c’est redécouvrir la société à travers ces expériences-là. C’est se laisser interroger par des savoirs insoupçonnés. Des savoirs qu’une association comme le Secours Catholique - Caritas France, dans la veine d’ATD Quart Monde, juge fondamentaux pour permettre « à chacun de prendre une part active dans la transformation de la société » et « lutter efficacement contre la misère et l’exclusion » (projet national 2016-2025).

Mais comment être associé au pouvoir quand on en ignore les ressorts, que l’on vit loin des centres de décision et que l’on ne connaît personne dans les hautes sphères (cf. E. Bodinier et al.) ? Comprendre le système et libérer les imaginaires : c’est ce que proposent les mouvements d’éducation populaire pour s’affranchir des places assignées et transformer en profondeur la société (cf. É. Viard et al.). Et, à partir de là, prendre conscience de sa capacité à agir pour améliorer son quotidien, celui de son immeuble, de sa ville… C’est aussi le pari du community organizing. Développé dans les années 1930 par Saul Alinsky à Chicago, cet art de l’organisation des luttes collectives connaît en France un certain engouement (cf. J. Talpin). À l’opposé d’une image irénique de la participation, il valorise le conflit, qu’il s’agit d’instruire pour construire des accords collectifs solides.

La participation va-t-elle remplacer la représentation ? Là n’est pas son ambition. Par sa portée comme par ses limites, elle confirme l’absolue nécessité de contre-pouvoirs à même de secouer des institutions, des entreprises ou des associations trop verticales et ankylosées. Pour obliger ceux qui détiennent du pouvoir à poser un peu les pieds sur terre. Dans l’intérêt général.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Des préoccupations quotidiennes à l’intérêt général

Intérêts particuliers et intérêt général ne sont pas forcément contradictoires. Au contraire. En s’engageant pour une cause locale, on peut découvrir le goût du faire ensemble, la satisfaction des luttes remportées à plusieurs et être pris de l’envie d’explorer des horizons plus vastes. En France, l’idéal démocratique de la participation de tous, qui s’impose de plus en plus, s’oppose à l’idéal de l’égalité de tous, hérité de la Révolution française. L’idéal d’égalité des droits s’était alors tr...

Le pouvoir d’agir à la rescousse

Entretien – Après le temps de la « participation », voici venu celui du « pouvoir d’agir ». Comment remettre les personnes en mouvement et leur faire prendre conscience qu’elles peuvent impulser le changement ? À quel moment de votre parcours professionnel la notion de pouvoir d’agir s’est-elle imposée à vous ?Yann Le Bossé - En 1989, j’étais en doctorat de psychologie et j’ai été interpellé par le fait que l’on ne tenait pas compte de l’influence de l’environnement dans la prise en charge des ...

Brésil : la fabrique du sujet-citoyen

Le Brésil a développé une forte tradition d’éducation populaire. Les mouvements sociaux et citoyens y sont nombreux, impliquant des populations marginalisées. Dans la période post-dictatoriale des années 1980, ces mouvements ont accompagné la population dans un renouveau démocratique. Simultanément, le pays a été fortement marqué par le néolibéralisme, qui a, en quelque sorte, détourné les aspirations démocratiques en faisant croire à un même « combat ». La subjectivité citoyenne a alors laissé...

Du même auteur

Créer de la proximité : un défi collectif

Santé, logement, revenu de solidarité… Aujourd’hui, en France, des millions de personnes en précarité peinent à accéder à leurs droits. Le fossé entre ces personnes et l’action publique se creuse. Parmi celles qui pourraient toucher le RSA, 34 % ne le perçoivent pas. Ce constat, partagé par le Conseil d’État1 et les acteurs associatifs, appelle à recréer de la proximité avec les personnes en précarité. C’est le défi de l’« aller vers ».L’expression désigne, pour les acteurs de l’action sociale,...

L’aide sociale reprend la rue

Près de Lille, l’association La Sauvegarde du Nord tente de sortir Claude, Radhouane ou Mario de la rue. Si les « permanences camion » et les maraudes à vélo permettent la rencontre, une maison à la campagne leur offre le répit nécessaire pour envisager d’autres possibles. Claude, 42 ans, yeux bleus et sourcils broussailleux, vient à Houplin pour être tranquille. Depuis sept mois, il vit dans une tente, à Loos, près de Lille. Il a...

Un camping-car pour faire du lien

En Indre-et-Loire, un camping-car, le Bureau itinérant et solidaire, va à la rencontre des gens du voyage pour les aider à accéder à leurs droits. Une solution associative essentielle, que les services publics devraient reprendre à leur compte. Comment est née l’idée de ce Bureau itinérant et solidaire (BIS) ?Romain Crochet – Après la crise du Covid-19, nous avons répondu à un appel à projets dans le cadre du plan gouvernemental France relance. On y a vu...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules