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Selon l’adage, ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage. Pour les réfugiés, la destination paraît cruciale et le voyage une épreuve à passer. Pourtant, à leur arrivée en France, ils se retrouvent désorientés, voire en grande détresse.
Pour Asad, demandeur d’asile pakistanais de 24 ans et arrivé en France en décembre 2016, Paris c’est d’abord le froid et les gares, où il se sent en transit, pas encore arrivé : « J’étais toujours à l’extérieur, gare de l’Est, gare du Nord, gare de Lyon, gare saint Lazare. J’ai passé deux mois à la rue. Il faisait très froid et c’était très, très difficile. Je ne me sentais pas bien du tout. » Comme s’il ne pouvait toujours pas se reposer après six ans de voyage. Il quitte le Pakistan début 2010, suite aux persécutions subies parce qu’il est sunnite, faisant presque tout le voyage à pied. D’un petit village près de Lahore, il se rend en Iran où il reste deux ans en prison, car il est en situation illégale. Puis il marche un mois et arrive en Turquie. Bloqué toute une année, il peut enfin payer un passeur et gagner la Grèce. Il n’oublie pas la traversée, presque sept heures durant, dans un petit bateau pneumatique où ils sont plus de 50, entassés. Il reste deux autres années en Grèce, avant de découvrir une ouverture à la frontière, vers la Macédoine. Puis encore un an pour rejoindre la Serbie, l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie et enfin la France. Son jeune frère quitte aussi le pays en 2015, il n’est toujours pas arrivé.
Nazarrahman, 22 ans, réfugié d’Afghanistan : « Je suis arrivé à Paris à 2 heures du matin, à la gare de l’Est. Je ne connaissais rien ni personne. C’était très difficile. Pendant un mois, j’ai dormi dans la rue, près de la gare de l’Est, puis encore un mois, à République. Je ne me sentais vraiment pas bien, je n’avais pas d’espoir en moi. »
« Pendant un mois, j’ai dormi dans la rue, près de la gare de l’Est. »
« J’ai encore mal au dos à cause des chaises de métal des salles d’attente de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, où le 115 m’a conseillé d’aller, au lieu de rester dans la rue. Même là, je me réveillais en sursaut quand quelqu’un me frôlait, cela a duré deux mois. J’ai alors voulu quitter la France. J’avais froid. Je ne savais pas où manger ni comment m’habiller. » Tasnuva, la trentaine, vient d’une famille aisée du Bangladesh. Elle a perdu son père et son frère à cause d’une famille d’opposants politiques envieux de leurs biens. Menacée dans sa vie privée et dans son travail, elle quitte le pays à la demande de sa mère. Elle part en Inde mais elle ne peut y rester car elle n’a pas de papiers. Elle achète des faux papiers auprès de passeurs et embarque dans les conteneurs d’un cargo, où elle est enfermée 18 jours, jusqu’à l’arrivée en Grèce. De là, elle réussit à prendre un car vers l’Italie, puis vers la France. Malgré sa demande d’asile, elle doit attendre presqu’un an pour obtenir, auprès de l’État, une place dans un hébergement.
Selon le directeur de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii), près de la moitié des demandeurs d’asile, soit 30 à 40 000 personnes, n’auraient pas accès à un hébergement1.
Aucun de tous ceux que nous avons interrogés ne critique le système de prise en charge, quand bien même il intervient tardivement. Il représente toujours une amélioration par rapport au dénuement initial. Pourtant, entre les lignes, on comprend combien les solutions proposées ne sont pas toujours idéales.
Elena, 25 ans, vient de Donetsk, fuyant la guerre et les persécutions en Ukraine. Arrivée en France en septembre 2015, elle est reconnue réfugiée en février 2017. Indépendante depuis ses 18 ans, il lui a coûté d’attendre sans pouvoir travailler, sans s’occuper et « être utile ». Par chance, elle obtient une place dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) après avoir été accueillie dans des familles du programme Welcome du Service Jésuite des Réfugiés (le JRS France, cf. encadré). Mais elle n’aime pas « se retrouver comme un légume », ne faire que « dormir et manger » : « ce n’est pas une vie ». Elle ne se sent pas « libre » pour entreprendre, « recommencer sa vie ». C’est « difficile de toujours devoir demander de l’aide », sans compter le problème de la langue, la peur d’approcher les gens, de ne rien comprendre. Elle voudrait aider comme elle a été aidée. Elle essaie d’obtenir une autorisation de travailler neuf mois après sa demande d’asile, comme l’autorise la loi. Mais sa requête est rejetée, comme presque tous les demandeurs d’asile dans son cas. « Moi aussi je voulais partager. Mais, imaginez, vous avez un dollar, un seul, comment vous pouvez le partager ? C’est difficile, vous êtes bloquée. » À Paris, où se concentre la majorité des demandeurs d’asile, une seule autorisation a été accordée en 2015 : le travail est une question de dignité, un droit fondamental2. C’est un moyen de subsistance quand l’allocation versée aux demandeurs d’asile en attente est bien inférieure au RSA et insuffisante pour subvenir aux besoins élémentaires3.
« C’est difficile de toujours devoir demander de l’aide. »
Souvent, les demandeurs d’asile sont dirigés vers des centres en province où ils ne trouvent aucune activité, ce qui n’aide pas à surmonter le sentiment d’isolement et de réclusion qui les saisit, dès l’arrivée. Jamal, jeune afghan de 24 ans, est envoyé dans un centre d’hébergement dans l’Yonne, à Avallon. Quand il ne supporte plus de rester dans sa chambre à ne rien faire, il vient à Paris pour prendre des cours de français et participer aux activités organisées de Welcome jeunes, avec des jeunes français. Mais cela suppose presque trois heures de train à l’aller comme au retour. « C’est difficile parce qu’il n’y a pas grand-chose là-bas, alors pendant la semaine, je reste un peu à Avallon et je viens quelques jours à Paris pour les activités mais je ne sais pas toujours où dormir à Paris. Et je ne peux pas me payer les transports parce que je n’ai pas le droit à la carte vu que je n’habite pas à Paris. Alors quand je dois vraiment les prendre, il faut que je me cache et j’ai peur. » L’abonnement mensuel pour le métro lui coûterait près de 70 euros par mois, alors que l’allocation pour demandeurs d’asile s’élève à 204 euros par mois (après déduction des frais d’hébergement). Il regrette que sa participation aux cours de français ne puisse pas être plus régulière et qu’il ne progresse pas assez vite.
Certains demandeurs d’asile ne perçoivent même pas d’allocation pendant de nombreux mois car ils sont placés sous la procédure Dublin4. Ils doivent demander l’asile dans le premier pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne. Asad, qui a mis six ans pour arriver en France depuis le Pakistan, a bien sûr été placé sous cette procédure. N’ayant jamais cherché à se dérober à des mesures d’éloignement, il doit attendre six mois – soit jusqu’en juillet 2017 – pour que la France devienne responsable de sa demande. En attendant, il vit de ce que la famille où il habite peut lui donner. Il aimerait suivre une formation d’électricien pour pouvoir travailler immédiatement par la suite. Mais les formations professionnelles aussi sont fermées aux demandeurs d’asile. De caractère naturellement joyeux et très entrepreneur, il lui coûte de devoir vivre de la charité.
« Les formations professionnelles aussi sont fermées aux demandeurs d’asile. »
Le système des centres et des foyers regroupant les demandeurs d’asile entre eux, sans moyens pour organiser des cours de français, n’aide pas à satisfaire le besoin d’autonomie. Nazarrahman le confirme : « Je n’aime pas beaucoup le Cada. Tous les Afghans sont avec moi et je ne parle pas français avec eux. Moi je veux apprendre le français, rencontrer des Français. Si je vis avec les Afghans, après quelques jours, je sens que j’ai déjà oublié le français que j’avais appris. »
La taille même du dispositif de prise en charge des réfugiés implique un déficit de personnalisation du suivi, malgré les efforts des travailleurs sociaux. Et cette situation est parfois mal vécue surtout si les réfugiés subissent des troubles d’identité dus au choc culturel. « En France, il y a quelque chose qui m’a… déstabilisée, nous confie Elena. Avec l’assistante sociale, quand je l’ai rencontrée pour la première fois, elle m’a fait un grand sourire. Et puis quand elle reposait son regard sur le bureau, son sourire disparaissait, c’était bizarre. Je ne comprenais pas, elle m’aime bien ou pas ? Je dois lui faire confiance ou pas ? Puis j’ai remarqué que d’autres personnes faisaient comme ça, que c’était normal. Mais moi, d’où je viens, je n’étais pas habituée à ça. »
L'Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) a souligné, dans un rapport sur les Cada en mai 2014, des problèmes dans ce sens5. Elle recommandait différentes mesures pour l’accompagnement vers l’autonomie dans la vie sociale des demandeurs d’asile, dont la mise en place de formations linguistiques et d’activités socio-culturelles et sportives.
Pour apaiser les souffrances que provoquent l’exil, le déracinement et l’arrivée dans un environnement complètement étranger, on imagine ce que peut représenter un geste de sollicitude. Tasnuva évoque ainsi l’agent de sécurité qui lui apportait des couvertures lorsqu’elle dormait dans la salle d’attente de l’hôpital Avicenne. Et Nazarrahman mentionne cette « dame française », Anne, qui venait le voir quand il était place de la République : « Elle venait me voir de temps en temps. Elle m’a dit qu’il fallait que j’apprenne le français. Elle me parlait en français et moi je ne comprenais rien au début. Mais elle faisait des signes avec les mains pour m’aider et au fur et à mesure, j’apprenais des mots. Ça me faisait du bien quand elle venait. »
Asad explique que, pendant la période où il était à la rue, il allait parfois dormir chez sa « Mamie » : « C’est une femme très bonne. Elle s’appelle Martine. Elle venait voir les réfugiés à la préfecture de Versailles et elle m’a demandé si je savais où dormir, si j’étais un garçon respectable puis elle m’a proposé de rester chez elle et son mari pendant qu’on réfléchirait à ce qu’on pourrait faire avec moi après. C’est elle qui m’a demandé de l’appeler ‘Mamie’, mais pour moi, c’est vraiment ma ‘Mamie’, je lui suis tellement reconnaissant. Elle m’a dirigé vers JRS mais on continue de se donner des nouvelles très régulièrement ».
Parmi les réfugiés ou les demandeurs d’asile avec lesquels nous nous sommes entretenus, plusieurs ont été hébergés par des familles du réseau Welcome de JRS. À chaque fois, l’expérience est relatée avec une profusion d’émotion et d’affection. Ainsi Elena : « Au début j’avais très peur. Déjà je ne connaissais pas la culture française. Je n’avais jamais pensé venir en France. Tout ce que je connaissais, c’étaient des choses que j’avais vues à l’école : Dumas, Hugo… et c’est tout ! C’était une surprise qu’une famille m’accueille, je ne comprenais pas. Pourquoi ils veulent m’accueillir ? Ils ne me connaissent pas, ils ne m’ont jamais vue avant, pourquoi ils me font confiance ? Et après j’ai compris, j’ai compris que c’était… un miracle. Et en fait, ça s’est très, très bien passé. Toujours maintenant, je vais rendre visite à toutes les familles avec lesquelles je suis restée pour donner des nouvelles. Comment je pourrais les laisser après ce qu’elles ont fait ? (…) Quand je suis arrivée dans ma deuxième famille, le Papa, Raphaël, il m’a dit bonjour en russe et m’a dit « comment allez-vous ? » en russe, j’étais vraiment surprise : ça voulait dire qu’avant de me rencontrer, il était allé chercher quelque chose sur Internet, qu’il m’attendait. J’ai été vraiment émue ».
Les initiatives d’accueil spontanées et personnalisées provoquent de véritables reconstructions d’identité et des relations durables.
Les initiatives d’accueil spontanées et personnalisées provoquent de véritables reconstructions d’identité et des relations durables. Asad va régulièrement rendre visite aux familles qui l’ont hébergé, « parce qu’ils me manquent et je leur manque. » Tasnuva aussi : « Après deux mois chez la famille Welcome, j’ai eu une place en Cada, mais je retourne souvent chez [la famille Welcome] eux pour dire bonjour. Et chaque fois que j’arrive à la gare de la ville de banlieue où ils habitent, j’ai l’impression de revenir à la maison. »
Tous les gestes de bienveillance reçus sont précieusement gardés en mémoire. Ainsi Lida, jeune réfugiée d’Afghanistan : « Si j’avais commencé ma vie à Paris sans les rencontres que j’ai faites, à JRS par exemple, mais aussi avec d’autres personnes, des personnes qui sont toujours prêtes à donner quelque chose, à aider, dans une grande ville comme Paris, ça aurait été très difficile. Je me sens très fortunée. » Au-delà du réconfort lui-même, cet accueil en famille porte aussi à l’autonomie. Tasnuva et Asad ont ainsi appris à manger « à la française », à table avec des couverts. Avoir un rythme et se lever tôt en même temps que le reste de la famille les a aussi aidés à se restructurer.
Les activités organisées entre jeunes français et réfugiés (ateliers de conversation, théâtre, yoga, sensibilisation à l’hygiène dentaire, fêtes, sport, sorties au musée ou en forêt, vacances…) et les cours de français sont considérés comme essentiels pour retrouver une sorte de dignité, d’envie d’entreprendre, de dynamisme. « Depuis que je connais JRS, je vais aux activités, aux cours de français par exemple, ou alors on va au musée ou au parc, ça m’occupe. Si je reste à la maison à attendre la décision administrative, je broie du noir. Les activités, ça m’a vraiment beaucoup aidée. » (Tasnuva)
« Je traînais à la gare Saint-Lazare et j’ai croisé un réfugié que je connaissais. Il était avec un groupe. Ils allaient faire un tour en forêt. Lucile, qui emmenait le groupe, m’a proposé de venir avec eux et c’est comme ça que j’ai connu JRS. Du coup, j’ai fait des efforts, pour faire des progrès, avec les cours de français par exemple. Avant, dans la rue, j’étais vide d’espoir, mais maintenant, j’ai retrouvé l’espoir. » (Nazarrahman)
La confiance placée en eux leur redonne l’espoir de reconstruire leur vie.
Bien plus, la confiance placée en eux leur fait prendre des responsabilités pour organiser l’une ou l’autre activité et leur redonne l’espoir de reconstruire leur vie, de pouvoir reprendre des études ou un travail, de s’intégrer. Même s’ils doivent souvent laisser leur rêve pour plus tard… Elena, qui a obtenu le statut de réfugié en février 2017, fait des gardes d’enfants. Mais elle a bon espoir de pouvoir bientôt continuer dans la pâtisserie, comme avant. Déjà, elle apporte souvent des gâteaux à plusieurs étages aux rencontres festives de JRS ! Lida était en cinquième année de médecine lorsqu’elle a dû interrompre ses études. Elle se concentre sur ses cours de français pour pouvoir les reprendre. Asad avait fini l’école au Pakistan, il voulait étudier les sciences. Pour l’instant, il cherche à suivre très vite une formation d’électricien pour pouvoir travailler, mais cela ne lui est pas encore autorisé. Jamal, c’est d’une formation en électronique qu’il aurait besoin, il attend aussi ses papiers pour cela. Tasnuva, qui a un Master en commerce et travaillait dans une banque au Bangladesh, a obtenu son statut depuis peu. Mais c’est dans les « soins à la personne » qu’elle va commencer par travailler.
Welcome France répond aux besoins de ceux qui sont en bout de chaîne des priorités, certains de ne jamais trouver de place dans le système d’hébergement de l’État qui, pourtant, a le devoir d’offrir un toit aux personnes qui demandent sa protection. Cependant, l’ambition de Welcome France n’est pas tant l’hébergement que l’hospitalité. Celle-ci repose sur l’ouverture des familles, des célibataires, des coloc’, des communautés religieuses… qui acceptent pendant une durée limitée (quatre à six semaines) d’accueillir chez eux un demandeur d’asile. Ce dernier changera ainsi de lieux d’accueil, tout en restant dans le réseau pendant 6 à 8 mois. Sur cette durée, un tuteur ou une tutrice, le rencontre une fois par semaine. L’accueil permet aux demandeurs d’asile de sortir de la rue, de se reposer, d’être immergés dans la culture française, de libérer des forces pour apprendre le français, de créer du lien social, de retrouver un désir de tendre vers une autonomie. Il permet aussi aux personnes qui accueillent d’entrer dans la réalité de la vie des migrants déplacés de force, d’être édifiées par leur force de vie, leur simplicité. L’une des règles est celle de la discrétion : il est demandé de ne pas aborder le passé, le parcours, le récit de vie (l’administration le fait assez !). Ce n’est qu’une fois la confiance établie que viennent les confidences… ou non. L’accueil est non rémunéré, sans distinction sociale, ethnique ou religieuse. En 2016, Le réseau comptait dans toute la France, 31 équipes de coordination, 1719 bénévoles, 1351 lieux d’accueil, 265 tuteurs, 582 personnes accueillies.
1 Didier Leschi in « Hébergement : des capacités d’accueil insuffisantes », Alternatives Économiques n° 358, juin 2016.
2 Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, article 15.
3 L’allocation pour demandeurs d’asile (Ada) est composée d’une somme forfaitaire journalière de 6,80€ pour un majeur isolé, à laquelle s’ajoute un montant supplémentaire de 4,20€ si aucune place en système d’hébergement public n’est trouvée. Le montant est augmenté de 1,20€, par un décret du 29 mars 2017, suite à un arrêt du Conseil d’État du 23 décembre 2016, pour les personnes hébergées par l’État (soit 5,40€ par jour). Mais suite à ce décret, les demandeurs d’asile doivent déclarées où ils sont logés. S’ils sont hébergés par des associations, même temporairement, le montant supplémentaire pourra leur être retiré. Au maximum, l’Ada est un versement mensuel de 402€ pour se loger et se nourrir.
4 À ce sujet, lire « Chacun rejette les exilés sur son voisin », de Madeleine Trépanier [NDLR].
5 Cf. « La personnalisation de l’accompagnement des personnes accueillies dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ».