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Dossier : Réfugiés : sortir de l'impasse

L’asile, une affaire de droit

©Malachybrowne
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L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est chargé de faire respecter le droit d’asile en France. Son directeur salue la mobilisation locale autour des réfugiés. Et appelle à défendre le droit d’asile contre toute instrumentalisation et contre toute confusion.

Besançon, Saint-Nazaire, Perpignan… partout j’observe la mobilisation des préfets, des associations, des élus, des habitants, auprès des demandeurs d’asile, dont ces 10 000 personnes venues de Calais. Ces dernières ont accepté, y compris des mineurs, et ce fut pour nous un intense et respectueux travail de conviction auprès d’elles, de renoncer au projet d’aller en Grande- Bretagne, pour se rendre un peu partout en France. Ce qui se passe autour de toutes ces personnes est extraordinaire. À chaque fois, on retrouve un peu la même situation : des élus qui ont tenu bon quand ils ont décidé d’ouvrir des centres d’accueil malgré des questions des habitants et, parfois, des hostilités violentes. Lorsque, en Loire-Atlantique ou dans les Pyrénées orientales, on voit arriver de Calais un groupe de 30 ou 40 jeunes, avec les images du bidonville qui se sont répandues, je comprends qu’on ait des questions. Les élus, les préfets, les associations mènent un travail de pédagogie. Et au bout de quelques semaines, les habitants sont là pour donner des cours de français, pour faire visiter les monts d’Auvergne à de jeunes Afghans... Les tentatives d’instrumentalisations politiques autour de l’accueil des réfugiés existent, mais ce qui compose notre société, ce sont à la fois des enthousiasmes et des crispations au moment d’accueillir. Je voudrais témoigner de la modernisation de l’Ofpra depuis quatre ans. Au regard du droit d’asile, il y a trois exigences pour les pouvoirs publics.

Refuser toute confusion entre asile et migration

La première, c’est d’être à la hauteur de notre histoire, de nos principes, de nos valeurs, pour notre pays comme dans l’Union. Car l’histoire de la République se confond avec celle du droit d’asile. L’instrumentalisation à des fins xénophobes existe. Il suffit d’interroger les élus qui ont accueilli des migrants de Calais : ils ont entendu, devant leurs maisons, avec leurs familles les vociférations de militants d’’extrême droite. Les écouter vous vaccine, si besoin était, contre la banalisation de certains propos. Mais il est d’autres manières de tenter d’instrumentaliser le droit d’asile qui conduisent à des formes de surenchère qui en réalité dans des sociétés fragilisées desservent un accueil qui a besoin de respect du droit, de générosité ou de bienveillance, et d’organisation et de maîtrise

Le principe qui me guide est de refuser toute confusion entre ce qui relève du droit d’asile et ce qui relève de la politique migratoire, ou d’autres considérations de nature diplomatique par exemple. Le droit d’asile est un trésor à préserver. Il concerne aujourd’hui de multiples situations, dont certaines nouvelles. L’Ofpra protège des femmes victimes de violences ou subissant des mariages forcés, 5 000 petites filles victimes d’excision dans leur pays d’origine, il protège des homosexuels et des lesbiennes persécutés du fait de leur orientation sexuelle. Le droit d’asile évolue, mais il reste le droit d’asile. La politique migratoire est bien sûr une vraie question, mais le débat la concernant doit être mené de manière distincte. Chaque fois que l’on instille la confusion entre les deux, même avec de bonnes intentions, c’est le droit d’asile qui en paie le prix à la fin. Je ne recommande à personne de réouvrir la convention de Genève. Dans la situation actuelle, nous ne serions pas capables d’atteindre un tel niveau de protection. L’intégrité du droit d’asile reste la première exigence, pour les politiques comme pour nous tous. Je ne rentre pas, pour ma part, dans la distinction entre « bons » et « mauvais » migrants. Ce que je sais c’est qu’il y a le droit d’asile qui relève d’une histoire, d’un consensus social réel mais fragile, et qui doit être préservé, de manière très précautionneuse par un comportement bienveillant et rigoureux.

Le droit d’asile est un trésor à préserver. Il concerne aujourd’hui de multiples situations.

Prenons l’exemple de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. L’accueil des réfugiés en Europe a été, dans la durée, victime du désordre qui a prévalu en 2015, notamment en Grèce et jusqu’en Allemagne. Cet accord était donc nécessaire ; il visait à aider la Turquie à accueillir les réfugiés (ils ont été 3 millions) dans les meilleures conditions possibles. Mais une disposition prévoit que des Syriens arrivant en Grèce après mars 2016 soient reconduits vers la Turquie même lorsqu’ils relèvent du droit d’asile, ce qui est le cas de la quasi-totalité d’entre eux. C’est l’exemple même de la confusion entre droit d’asile et politique migratoire. Aussi n’ai-je pas souhaité que des officiers de protection de l’Ofpra participent à ce dispositif. En revanche, des officiers de protection aident, sur place, les Grecs à faire en sorte que les réfugiés qui y sont arrivés avant l’accord soient « relocalisés » vers la France ou d’autres pays européens – nous sommes les premiers à participer à cette mission. Et d’autres sont à Ankara, pour des réfugiés syriens qui sont réinstallés en France.

«Dublin, c'est Kafka »

La deuxième exigence, et c’est la responsabilité la plus directe des politiques, est de veiller aux conditions de plein exercice du droit d’asile. L’accueil doit être pleinement respectueux du droit d’asile, généreux, organisé et maîtrisé, au niveau européen comme au niveau national. Or entre indifférence et réponses – parfois discutables1 – en ordre dispersé, l’Europe n’a pas été à la hauteur au cours de cette crise. Je suis admiratif de ce qu’ont fait la société et les autorités allemandes en 2015, mais les mêmes autorités allemandes ont changé de politique aujourd’hui. On voit bien l’effet sur l’adhésion à l’accueil des réfugiés des images d’arrivée en Grèce, dans le désordre le plus complet, ou celles de Calais, à une époque. Les terroristes passés par les mêmes frontières pour commettre les attentats de Paris sont aussi présents dans la tête des gens, c’est une réalité. La réponse doit être européenne. Elle passe par la mise en œuvre des « hotspots », un terme malheureux mais aujourd’hui partagé. Ils doivent permettre d’accueillir les gens dignement – ce qui n’est pas encore le cas – ; d’instruire leurs demandes d’asile ; de les accueillir en Europe s’ils relèvent du droit d’asile ; de ne pas les faire repartir vers un pays tiers, supposé sûr pour des raisons diplomatiques ou politiques, lorsqu’ils doivent être protégés au titre du droit d’asile et d’organiser les modalités de l’accueil un peu partout en Europe de celles et ceux qui relèvent de ce même droit.

La responsabilité des politiques est de veiller aux conditions de plein exercice du droit d’asile.

Les règles de Dublin posent des difficultés. Nous le vivons tous les jours : on met trop souvent les demandeurs d’asile dans des situations impossibles. Avec Dublin, c’est Kafka, pour des personnes qui ont dû laisser des empreintes en arrivant aux frontières du Sud de l’Union avant d’en repartir. Pour autant, aucun État de l’Union ne peut en décréter la fin tout seul. Cela n’aurait pas de sens : nous avons besoin d’organisation au niveau européen, pas de désordre. À l’inverse, depuis quelques semaines, on voit arriver en France des personnes qui ont fait l’objet d’un rejet de leur demande d’asile en Allemagne ou en Suède. Dans ces cas-là, Dublin devrait fonctionner et l’Ofpra ne devrait pas avoir à réexaminer ces demandes d’asile. Ces éléments de perturbation ne sont pas compréhensibles ; ils appellent un vrai fonctionnement européen, respectueux du droit et efficace.

On met trop souvent les demandeurs d’asile dans des situations impossibles.

Tout demandeur d’asile doit être accueilli et hébergé dignement, obtenir une réponse rapide. En ce domaine, l’amélioration est réelle depuis quelques années dans notre pays. La capacité d’hébergement a doublé, le nombre des agents de l’Ofpra aussi et les durées d’instruction ont été fortement réduites. Mais resurgit de temps en temps un vieux fond de peur de « l’appel d’air ». Ce réflexe, qui repose sur l’idée que plus on fait attendre les gens dans les rues moins leurs compatriotes viendront, est une erreur profonde. C’est d’abord une atteinte à leur dignité. Et cela incite plutôt à venir celles et ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile mais ne cherchent qu’une durée du séjour. L’effort est donc à poursuivre pour accueillir dignement, statuer rapidement sur les demandes d’asile et en tirer les conséquences rapidement. À Calais, le droit d’asile n’existait pas. Nous nous sommes battus, avec l’aide d’associations comme Salam ou le Secours Catholique, pour qu’il y ait droit de cité. Je ne souhaite pas retourner, comme je l’ai fait chaque semaine pendant deux ans, dans un bidonville ; pas pour moi mais pour celles et ceux qui j’y ai vus survivre. Ce n’est dans l’intérêt de personne qu’il se reconstitue. Encore faut-il que les personnes qui y arrivent encore soient prises en charge. Au-delà de Calais vient ensuite, pour les pouvoirs publics et la mobilisation citoyenne, la question de l’intégration de celles et ceux qui sont réfugiés reconnus par l’Ofpra. Ils sont 36 000 en 2016, un record historique qui fait de leur intégration un enjeu majeur pour l’apprentissage de la langue, la formation, le logement, l’emploi, le partage des valeurs républicaines etc.

Séparer les politiques du droit d'asile

La troisième exigence c’est, pour les responsables politiques, à un moment donné, de ne plus s’occuper du droit d’asile. Il est indispensable que l’Ofpra et la CNDA continuent à statuer en toute indépendance selon des critères exclusivement liés au droit d’asile et non à la politique migratoire ou à d’autres considérations. Depuis 2015, la loi française interdit au directeur général de l’Ofpra de recevoir quelque instruction que ce soit dans l’exercice de ses missions. C’est une grande avancée. Malheureusement, cette indépendance-là n’existe pas ailleurs en Europe. À titre personnel, je suis favorable à la création d’une agence européenne de l’asile, envisagée par la Commission. Mais si cette agence voyait le jour, elle devrait être indépendante des pouvoirs politiques nationaux et européens, ce qui n’est pas prévu. Statuer sur une demande d’asile, c’est une affaire de droit, ce n’est pas une affaire politique.

25 mars 2017, colloque Confrontations «  Accueillir l’étranger – le défi ».



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