Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Comment est né le Conseil des migrants ?
Vincent De Coninck - Une des premières choses que les migrants nous ont dite, à nous associations, c’est : « Pourquoi le préfet parle aux associations et pas à nous ? » Avec d’autres militants associatifs, nous nous sommes inspirés du conseil des migrants subsahariens, mis en place au Maroc. Avec une équipe du Secours catholique, nous avons pu échanger avec eux. Cela nous a conforté dans l’idée de mettre en place une instance représentative à Calais et nous a permis de nous appuyer sur leur expérience.
Parler en leur nom propre, faire porter leur voix directement.
L’enjeu du Conseil des relais communautaires, pour les migrants, était de parler en leur nom propre, de faire porter leur voix directement. Les relais communautaires étaient délégués par leur communauté – ils étaient afghans, érythréens, soudanais, kurdes... Ils se rassemblaient une fois par semaine, sous une toile de bâche – dans les conditions rudimentaires du camp, pour discuter et prendre des décisions ensemble. Bien sûr, les relais communautaires n’étaient pas élus, ce qui pose une question de légitimité à représenter leur communauté.... Mais tous se portaient volontaires et prenaient sur leur temps pour venir à la réunion. C’était souvent des gens qui parlaient mieux anglais, mais pas uniquement : des traducteurs traduisaient de l’arabe à l’anglais, du pachtoune à l’anglais, du kurde à l’anglais...
Quel type de revendications émergeait de ce Conseil ?
Vincent De Coninck - Certaines portaient sur des choses très concrètes. Les prises de parole reflétaient la violence du risque encouru par les migrants sur la route de l’Angleterre : « Comment va-t-on rapatrier les corps de ceux qui sont morts à Calais ? » « Est-ce qu’on fait une célébration symbolique à côté de l’autoroute ? » L’espace du Conseil permettait un dialogue entre des communautés pour évoquer les conditions très spartiates et traiter de sujets comme celui des toilettes ou du seul point d’eau sur 18 hectares.
Sur certains aspects, le Conseil a contribué à changer l’organisation de cette mini-ville1. Les migrants ont demandé une campagne de dératisation du bidonville. Ils ont aussi fait évoluer notre façon de distribuer les repas : « Vous croyez que c’est digne de se mettre tous en rang ? La moitié des repas se retrouve en vente dans le bidonville le soir-même. » Par la suite, nous nous sommes davantage appuyés sur les personnes relais pour la distribution. Médecins du Monde a aussi formé les migrants aux premiers secours. Bien sûr, toutes ces mesures n’ont pas été mises en œuvre uniquement grâce au Conseil, mais il y a contribué.
Le Conseil des relais communautaires était comme un conseil municipal.
L’éloignement du centre-ville – le bidonville était situé à 6 kilomètres du centre de Calais – obligeait les migrants à marcher beaucoup, pour se rendre à la préfecture ou acheter de la nourriture. Était alors revendiqué le droit à ne pas être relégué à la périphérie urbaine. Dans bidonville, il y a le mot ville : le Conseil des relais communautaires était comme un conseil municipal. S’il pouvait discuter de choses très quotidiennes, d’autres revendications portaient sur le traitement juridique des migrants : la possibilité d’une voie légale de passage en Grande-Bretagne, ou la révision des textes de loi (notamment les accords de Dublin) qui obligent les migrants à faire leur demande d’asile dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne.
Qu’est-ce que ce Conseil a changé pour les associations ? Et en termes de représentation politique des migrants ?
Vincent De Coninck - Les associations étaient présentes depuis le début, mais l’objectif était qu’elles ne prennent pas trop de place. Au début, il y avait plus de militants que de migrants. Alors une règle a été fixée par les associations elles-mêmes : pas plus de militants associatifs que de migrants ! À chaque réunion, c’était toujours, d’abord, les relais communautaires qui parlaient des problèmes. C’était très ritualisé. Nous commencions par lire la charte du conseil, écrite tous ensemble pour fixer le cadre de nos discussions. Une fragilité cependant tenait au turn-over important sur le lieu : parfois nous étions une trentaine, d’autres fois seulement une petite dizaine. Les migrants étaient de passage et il est arrivé que nous perdions trois relais communautaires en une semaine ! Ça avançait, ça reculait, ça avançait de nouveau : il n’y avait pas de progression linéaire... De fait, les associations jouaient un rôle de médiateur car il fallait aider à la recherche de nouveaux relais communautaires.
Nous les avons accompagnés aussi à préparer une rencontre avec le sous-préfet de Calais, à qui nous avions proposé de venir échanger directement avec les exilés. Nous avons fait un jeu de rôle pour préparer ce rendez-vous. C’était une avancée : ils n’étaient plus invisibles et les associations ne parlaient pas à leur place. À l’issue de ces réunions de préparation, les migrants ont écrit un texte pour les médias. Une autre fois, en septembre 2015, nous avons organisé, tous ensemble, une manifestation de rue. Ils étaient plus de 1000. Bien sûr, il y avait aussi des militants d’association, mais ça partait des exilés.
L’expérience continue de nourrir la façon d’apporter notre aide : en travaillant à partir des exilés et avec eux.
Avec le Conseil, les migrants ont été impliqués davantage dans les activités d’accueil qui les concernaient. Nous-mêmes, au Secours catholique, nous avons beaucoup évolué. Nous avons pris en compte leurs revendications pour nourrir notre plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Et l’expérience continue de nourrir la façon d’apporter notre aide : en travaillant à partir des exilés et avec eux. Enfin, le Conseil a participé à l’évolution des relations entre associations. Elles sont de sensibilités différentes et leur travail n’est pas toujours fait en commun. Avec le Conseil, j’ai été en contact avec des militants qui m’ont beaucoup appris.
Qu’est devenu ce Conseil, depuis l’évacuation du bidonville à Calais, à l’automne 2016 ?
Vincent De Coninck - Toutes les communautés sont éparpillées. Les réunions ont cessé. Après avoir toléré le bidonville, les autorités locales nous interdisent aujourd’hui d’accueillir, même pour offrir le strict minimum. En février dernier, la mairie a empêché l’installation de douches dans les locaux du Secours Catholique2. L’urgence à laquelle nous faisons face à présent pousse à reléguer au second plan la construction politique. Les migrants sont dispersés dans des squats informels, ils vivent comme des rats. Quand ils arrivent à l’accueil de jour, ils sont épuisés. Nous avons constaté deux cas de gale parmi les adolescents que nous accueillons. Il y a atteinte à la dignité des personnes. Il faut poursuivre le combat.
Propos recueillis à Calais par Lucile Leclair, le 1er février 2017.
1 Sur un terrain de 18 hectares, 9016 personnes vivaient en août 2016, selon Help Refugee et L’Auberge des migrants.
2 En envoyant une benne à ordures devant les locaux de la délégation pour empêcher la livraison des douches, ce qui a été jugé illégal par le tribunal de Lille [NDLR].