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Dossier : La société civile en première ligne

Social-démocratie Un renouveau possible ?

Allée Pierre Mendès-France à Bourg-en-Bresse. L'ancien président du Conseil (1907-1982) fut l'une des grandes figures de la social-démocratie en France. © Chabe01/Wikimedia
Allée Pierre Mendès-France à Bourg-en-Bresse. L'ancien président du Conseil (1907-1982) fut l'une des grandes figures de la social-démocratie en France. © Chabe01/Wikimedia

Face aux crises démocratique, sociale et écologique, la social-démocratie peut-elle encore servir de boussole pour l’avenir ? Si la France a longtemps tourné le dos à ce modèle, le Pacte du pouvoir de vivre esquisse une forme inédite de renouveau. 


Le Pacte du pouvoir de vivre (PVV), regroupant plus de 60 organisations et 40 groupes locaux, est né en 2019. Il veut répondre à la nécessité de rassembler un large collectif d’acteurs pour contribuer à faire évoluer le débat public sur les enjeux sociaux, écologiques et démocratiques auxquels nous sommes confrontés, en exprimant auprès des politiques les propositions communes de la société civile organisée. Mais avant de parler d’avenir et des espoirs qu’on peut nourrir à propos de la naissance de cette nouvelle « alliance », il est nécessaire de faire un petit retour sur le passé et le présent de la social-démocratie.

Aujourd’hui, à gauche, la social-démocratie est de nouveau à la mode. Dans et autour du Parti socialiste, tout le monde s’en revendique. C’est le moyen de marquer une rupture avec La France insoumise et les alliances conclues avec ce parti. Mais quel contenu contient la bouteille portant l’étiquette de la social-démocratie ?

Le terme de social-démocratie a pu, dans l’histoire, désigner des courants aussi bien réformistes que révolutionnaires : avec le temps, le sens du mot a évolué, jusqu’à désigner aujourd’hui, de manière quasi exclusive, une forme réformiste et modérée du socialisme. « Si les sociaux-démocrates d’aujourd’hui sont les héritiers du réformisme d’Eduard Bernstein ou de Paul Brousse, s’ils ont en commun un refus de la stratégie insurrectionnelle ou révolutionnaire, ils ne défendent pas pour autant le même modèle », écrit Anne Chemin dans Le Monde du 9 octobre 2024, en introduction à un article résumant remarquablement les différents points de vue sur la social-démocratie.

En France, en dehors des crises politiques majeures (1936, 1945 et 1968), le politique dominait et la société civile pesait peu.

Comme le rappelait Michel Noblecourt dans Le Monde du 3 mai 2025 : « Le Parti [socialiste] n’a jamais été social-démocrate. Historiquement, la social-démocratie repose sur un lien organique entre un syndicat en position dominante et un parti, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne. » On pourrait bien sûr y ajouter les pays scandinaves… voire, par extension, un peu les États-Unis, au regard du lien très fort entre syndicats et Parti démocrate, notamment dans l’entre-deux-guerres. Dans ces pays, à travers les syndicats, quand les partis sociaux-démocrates étaient au pouvoir, le poids de la société civile était très fort.

La France n’a jamais connu la social-démocratie. En 1906, la Confédération générale du travail (CGT) a refusé d’être la courroie de transmission de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). En 1920, le congrès de Tours donne un poids dominant au Parti communiste français (PCF), impliquant le retour du concept de « courroie de transmission » pour caractériser son lien avec le syndicat CGT. Par la suite, c’est l’extrême division qui caractérise, à de rares exceptions près, le paysage politique et syndical français. Autre caractéristique : en dehors des crises politiques majeures (1936, 1945 et 1968), le politique dominait et la société civile pesait peu.

Dans les pays qui en furent le berceau, le courant social-démocrate ne fonctionne plus vraiment. 

De grands hommes politiques peuvent être qualifiés d’inspiration social-démocrate – Pierre Mendès France, Michel Rocard, Jacques Delors, voire François Mitterrand – mais le fonctionnement et la gouvernance de la société française ne l’ont jamais été.

Dans les pays qui en furent le berceau, il ne fonctionne plus vraiment non plus, soit que les syndicats aient été cassés par des gouvernements néolibéraux dans les années 1980, comme en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher ou aux États-Unis par Ronald Reagan, soit que le Parti social-démocrate ait perdu la majorité après des décennies de pouvoir, comme en Suède.

Anne Chemin, dans l’article déjà cité conclut ainsi : « Si la social-démocratie connaît son âge d’or pendant les décennies d’après-guerre, elle entre en crise dans les années 1990. Affaibli par le déclin du plein-emploi, l’ampleur des déficits publics et une polarisation du marché du travail alimentant la crainte du déclassement, le compromis social-démocrate est contesté, dès les années 1980, par les tenants du néolibéralisme, puis, au cours des décennies suivantes, par les populistes d’extrême droite adeptes de la rhétorique du welfare chauvinism (« chauvinisme social »). La social-démocratie vit son “crépuscule”, affirmait, en 2018, l’historien suédois Tomas Lindbom sur la plateforme de débats Telos. Sauf, bien sûr, si elle parvient à se réinventer. »

Comment se réinventer ?

Face à ce constat, faut-il renoncer à un projet social-démocrate pour la France, un vrai, fondé sur un pacte solide, durable, voire, rêvons un peu, quasi organique, en tout cas inscrit dans des règles et des habitudes, entre un parti social-démocrate et la société civile organisée, regroupée au sein d’un pacte ?

De nombreux éléments nous poussent au contraire à penser que c’est la bonne voie pour éviter le chaos et ne pas succomber à la tentation d’un populisme autoritaire, de droite ou de gauche : toutes les enquêtes d’opinion indiquent une décrédibilisation du monde politique qui atteint des sommets ; les mouvements populaires de type Gilets jaunes ont montré leur incapacité à être autre chose qu’un feu de paille, impuissant à construire une autre voie dans la durée, objet potentiel de toutes les manipulations.

C’est aussi la bonne voie pour construire les compromis si difficiles à trouver entre le social et l’écologique, entre le monde du travail et les victimes de toutes les fractures de la société. Le dialogue entre les organisations de la société civile est sans enjeu de pouvoir, ni d’échéance électorale.

Alors comment la social-démocratie peut-elle « parvenir à se réinventer » ? Pour nous la clé de la réinvention de la social-démocratie tient dans la capacité à reconstruire le lien entre démocratie politique et démocratie sociale, c’est-à-dire entre partis politiques et société civile organisée. Nous sommes conscients que cette dimension n’épuise pas, et de loin, la question de la réappropriation du politique par les citoyens.

Le débat sur l’articulation entre démocratie représentative et démocratie participative reste parfaitement pertinent : les conventions citoyennes, par exemple, en sont une bonne illustration et peuvent contribuer, si leurs conclusions sont suivies, à une réhabilitation du politique. Pour parler de lien, il faut d’abord parler de chacun des deux pôles à relier.

Parlons d’abord de la société civile

Lorsque la social-démocratie a vu le jour et s’est développée, la question majeure, en dehors de celle de la guerre et de la paix sur laquelle précisément elle a échoué, était la question sociale, celle de la condition des travailleurs, des conditions de travail et de sa rémunération, d’où l’appellation de travailliste qu’ont prise, comme en Grande-Bretagne, certains partis sociaux-démocrates. L’alliance entre ces partis et les organisations de défense des travailleurs, les syndicats, était plus que naturelle, consubstantielle dans beaucoup de cas.

Aujourd’hui, si la dimension sociale garde toute sa prégnance, même si la problématique dans laquelle elle se pose s’est profondément transformée, la société s’est considérablement complexifiée. De nouveaux enjeux sont apparus, en premier lieu celui de l’environnement, mais pas seulement.

Ces problèmes, dits « sociétaux », le terme est révélateur du changement, dépassent aujourd’hui ceux du périmètre des organisations syndicales, même quand elles en ont une vision aussi large que celle de la CFDT. Seule une union de toutes les organisations progressistes de la société civile – syndicales, humanitaires, d’éducation populaire, de défense de l’environnement, de l’économie sociale et solidaire – a la légitimité de les traiter ensemble et de trouver les compromis gagnants, notamment entre le social et l’écologique.

Au moment du conflit sur la réforme des retraites, les rapports ont changé entre le pôle syndical « réformiste » et le pôle plus protestataire. 

● Première difficulté, les divisions syndicales. Au sein de certaines organisations, les polarisations politiques sont telles, on pense à l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) ou à FO (Force ouvrière), que se hasarder sur le terrain sociétal, voire politique, paraît quasiment impossible. Et pourtant l’UNSA, par exemple, adhère au PVV. Côté FO, cela paraît aujourd’hui impossible. Le fait que la CFDT soit devenue majoritaire a également permis de poser en d’autres termes la rivalité avec la CGT. Non pas qu’elle n’existe plus, mais on a pu constater, notamment au moment du conflit sur la réforme des retraites, que les rapports avaient changé entre le pôle syndical « réformiste » et le pôle plus protestataire autour de la CGT.

● Deuxième difficulté, celle de l’identité. À juste raison, chacune des soixante organisations membres du PVV a le souci, on ne peut plus légitime, de conserver et de faire vivre sa propre identité : quels sont les thèmes qui peuvent faire l’objet d’un plaidoyer commun et ceux qui doivent rester du domaine propre à une organisation ou plusieurs d’entre elles ? Il a, par exemple, été convenu que la question des retraites restait du domaine propre des organisations syndicales.

● Troisième difficulté, l’approche globale et la responsabilité financière. Dans un premier temps, le PVV a élaboré des catalogues de « propositions » (90 en 2019), puis un nombre plus restreint de priorités à l’occasion de différentes échéances électorales. Grande est alors la tentation de demander la perfection sur chacune d’elles, sans préoccupation d’une cohérence financière globale.

À l’occasion du débat budgétaire de l’automne 2024, dans le contexte politique et financier que l’on connaît, le PPV a procédé à ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler une rupture épistémologique. Une étape décisive à mon sens est franchie : le PPV a fait des propositions pour « réduire le déficit tout en préparant l’avenir », des pistes pour le projet de loi de finances de 2025. Il les réitère en avril 2025, en appelant à un débat global et ouvert sur le projet de budget pour 2026. Il devient un interlocuteur politique à part entière.

Du coup, le terme de « plaidoyer » est-il toujours adapté pour qualifier son action ? Il est en tout cas rassurant pour les organisations membres. Chaque chose en son temps !

Venons-en à l’autre pôle, le politique

Le temps est révolu de la bipolarisation, dans lequel l’interlocuteur naturel de la société civile organisée était « la gauche de gouvernement ». Le PVV se donne comme interlocuteurs politiques tous les partis « démocratiques ». Il n’exclut de fait que le Rassemblement national et ses alliés, et encore certains en son sein se posent la question de savoir si l’on peut exclure du dialogue un quart à un tiers des électeurs, dont un nombre non négligeable sont membres de certaines organisations adhérentes du PPV.

On est loin du schéma traditionnel de la social-démocratie, très loin, un schéma qui, comme nous l’avons vu, n’est de toute façon pas dans la culture politique française. Mais si on croit indispensable un renforcement majeur du poids de la société civile organisée dans les décisions politiques, il faut en trouver des formes nouvelles.

Les sociaux-démocrates doivent prendre conscience de l’atout que peut constituer un lien fort avec la société civile organisée.

Une première condition en est la renaissance d’un pôle social-démocrate digne de ce nom et puissant. Ni l’extrême droite, ni la gauche radicale, ni même la droite n’ont envie d’une société civile qui pèse. Quant au centre, il est traversé par des courants idéologiques tellement divers qu’il est impossible d’identifier une tendance vis-à-vis de la société civile.

Cette condition nécessaire n’est pas suffisante : encore faudrait-il aussi que les sociaux-démocrates prennent conscience de l’atout que peut constituer pour eux un lien fort, un dialogue et une écoute constante et outillée avec la société civile organisée. Mais ne désespérons pas : les temps sont si difficiles et les périls si menaçants qu’un sursaut de lucidité n’est pas à exclure.

Avec sa capacité à former un premier niveau de confrontation et de dépassement des contradictions sociétales, le social et l’environnemental en premier lieu, le PVV constitue bien une préfiguration de ce qui pourrait devenir un modèle de fonctionnement social-démocrate. Si la France, au XXe siècle, avait raté la première marche, ne pourrait-elle pas préfigurer ce que pourrait être la deuxième au XXIe dans les pays, à commencer par l’Europe, qui aspirent encore à la démocratie. Saluons ce motif d’espérer.

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