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Peindre pour s’exprimer, pour partager, pour conjurer un passé douloureux, pour cultiver sa joie de vivre… Tous les mercredis, Dominique, Ginette et Pauline se retrouvent dans les locaux du Secours Catholique-Caritas France, à Rosny-sous-Bois. Au printemps prochain, elles exposeront leurs oeuvres.
« La semaine dernière, explique Ginette, une femme est venue à l’atelier peinture. Elle m’a dit : “Je ne sais pas dessiner.” J’ai voulu l’encourager : “Moi non plus, je ne sais pas dessiner !” Elle a fait une fleur. Ça lui a fait énormément de bien. Si les gens commencent à se juger, ça ne marche pas. Il n’y a pas de jugement dans la peinture, pas d’agressivité, pas de violence. Il n’y a que du partage. »
Depuis trois ans, Ginette, 70 ans, anime bénévolement un atelier peinture au local du Secours Catholique-Caritas France de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. En ce mercredi d’été, la plupart des habitués sont absents. Dominique, elle, est une irréductible. Quand on l’interroge pour savoir ce que signifie pour elle la culture, elle virevolte dans la salle : « J’apprends à jardiner, à chanter, à danser, à peindre ! J’aime les danses Louis XIV ! L’art, c’est la joie de vivre. Si je ne chante pas, je suis comme un oiseau en cage. » Dominique approche de la soixantaine. Son sourire ne la quitte pas. Même quand elle évoque des parties plus sombres de son existence. « Avant, je m’occupais de personnes âgées, c’était dur. Aujourd’hui, je suis au RSA. On m’a traité de tous les noms, on m’a traité de feignasse. Au Pôle emploi, quand je dis que je veux être comédienne, on ne me prend pas au sérieux. » Pourtant, depuis une dizaine d’années, Dominique fait de la figuration dans des films et des séries télévisées. « Je suis populaire, donc je fais le peuple ! » Elle évoque films, séries, les acteurs et réalisateurs qu’elle a côtoyés, les rôles qu’elle a incarnés. Elle a joué une SDF dans la série Vernon subutex ; une autre fois, « une folle dingue dans un asile » ; dans un film de Kad Merah, une ouvrière sur le point d’être licenciée. « Il faut des sentiments pour jouer. Je vis entourée de gens comme ça, alors je joue ce que je vois. »
« J’apprends à jardiner, à chanter, à danser, à peindre ! J’aime les danses Louis XIV ! L’art, c’est la joie de vivre. »
Le téléphone de Dominique vibre. Elle le consulte. Et saute de sa chaise, les yeux pétillants : « Pauline arrive ! » La femme entre, timidement. Sa parole et ses gestes sont aussi mesurés que ceux de Dominique tourbillonnent. « Quand on dessine, explique Pauline, on fait sortir ce qu’on a dans la tête et le corps est au calme. Je regarde un dessin et j’essaie de le reproduire. Je me concentre et, si je suis bien au calme, je vais bien le reproduire. Quand il y a quelque chose que je ne comprends pas, je demande à Ginette et elle fait comme un cours. Elle explique les différents pinceaux, le mélange des couleurs. Ça donne envie d’aller plus loin. Et de se retrouver à plusieurs, concentrées et motivées, ça donne du courage. »
Pauline (à gauche) et Ginette se retrouvent le mercredi lors d’un atelier peinture au local du Secours Catholique de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). © Aurore Chaillou/Revue Projet
Au printemps prochain, les participants à l’atelier exposeront dans un bar-restaurant de Rosny. « Ce sera la première fois de ma vie ! » exulte Dominique. Ginette, elle, a exposé dans une galerie parisienne il y a quelques mois. Mais elle est un peu amère. « Aucun des salariés du Secours Catholique n’est venu. » Peindre est pour elle une manière de conjurer son passé, une thérapie. Exposer son travail l’aide à entrer en relation. « C’est un moyen de partager. Les gens qui viennent à l’exposition se rendent compte du travail qui est fait. Ça nous rapproche. Exposer, c’est aussi s’exposer, accepter que les gens puissent critiquer. » Pour les participants à l’atelier, la perspective de l’exposition, « c’est l’occasion de progresser, analyse Ginette. Je vais leur mettre un peu la pression, je vais les faire sortir d’elles ! Et les gens du Secours Catholique ont intérêt à venir ! »
Ginette peint depuis plus de vingt ans. Récemment, pour la première fois, elle a accroché un de ses tableaux chez elle. Auparavant, il en était hors de question. « Ce qui a changé ? C’est que maintenant, j’existe. J’existe parce que je me suis tournée vers les gens et j’assume davantage mon passé. Avant, je pensais qu’on n’allait pas m’accepter telle que j’étais, à cause de mes émotions. Mais un jour, quelqu’un m’a dit : “Reste telle que tu es.” » Maintenant, c’est elle qui encourage Pauline, Dominique et les autres, à travers la peinture. « C’est comme un ricochet. Aujourd’hui, j’ose le dire, je suis fière de cet atelier. Cette année, j’ai eu un déclencheur. J’ai dit aux gens : “Je suis fière de vous, mais vous aussi, vous pouvez être fiers de vous !” »
Ginette anime un atelier peinture au local du Secours Catholique de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). © Aurore Chaillou/Revue Projet
« Maintenant, j’existe. J’existe parce que je me suis tournée vers les gens et j’assume davantage mon passé. »
Pour Ginette, retrouver les participants de l’atelier les mercredis, « c’est du bonheur. Je sais que je vais partager, communiquer, transmettre. Dans le respect. Chacun a un style et je l’encourage. Créer, c’est aussi s’occuper de son enfant intérieur. » « Ici, on oublie tout ce qui nous tue, s’exclame Dominique. Le système est difficile, ça nous protège. » Assise à côté d’elle, Pauline poursuit : « Quand je sors d’ici, je sors avec une bonne humeur. » Ginette écoute attentivement les deux femmes. « D’habitude, on ne parle pas de nos émotions. De les entendre dire ça, ça me fait chaud là », confie-t-elle les yeux brillants, une main sur le cœur.