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Parmi les sorties culturelles proposées aux personnes accueillies par le Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (Cedre), antenne du Secours Catholique-Caritas France, il en est une qui impressionne et émeut : celle qui conduit au jardin du musée Rodin.
« Victor Hugo ? Balzac ? Non, je ne connais pas. » Yaya, Malien de 29 ans, n’est pas le seul à ignorer qui furent ces hommes immortalisés par Auguste Rodin. Nous sommes rue de Varennes, au cœur du très sélect 7e arrondissement de Paris, dans le musée parisien du sculpteur disparu il y a un siècle. À part Ashraf, Bangladais de 35 ans, qui a lu quelques pages de Victor Hugo en anglais, aucun des réfugiés visitant le musée en ce début d’été n’a entendu parler de ces Français illustres.
« J’initie les demandeurs d’asile à la culture française. En retour, ils m’apprennent beaucoup sur eux-mêmes et leurs cultures. »
Kenza, 22 ans, volontaire en service civique depuis septembre 2015, est l’organisatrice de cette visite. « Depuis un an, j’organise les sorties culturelles et les événements du Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (Cedre), dit-elle. Après ma licence, j’avais envie de me rendre utile. J’initie les demandeurs d’asile à la culture française. En retour, ils m’apprennent beaucoup sur eux-mêmes et leurs cultures. »
Comme de nombreux autres bénévoles ou salariés d’associations, Kenza a été formée gratuitement par le réseau “Vivre ensemble” d’Île-de-France. Une centaine de lieux culturels, tel le musée Rodin, ouvrent gracieusement leurs portes à ces guides récemment formés pour conduire des groupes composés d’enfants, de personnes handicapées, de personnes atteintes d’Alzheimer. Ou de migrants comme aujourd’hui.
Les trois hectares de jardin qui entourent l’hôtel particulier où Rodin a vécu et travaillé à la fin de sa vie servent d’écrin à des statues de bronze. Au centre d’une roseraie, le monumental Penseur nous surplombe. « Il a l’air déprimé », ose l’un des membres du groupe après de longues secondes silencieuses au pied du colosse vert-de-gris. « Comme nous, il est traversé par des idées noires. » Un autre réplique : « Non. Il réfléchit. Comme nous le faisons tous. »
Devant la statue de Balzac, Kenza présente l’écrivain né en 1799, mort en 1850, son œuvre, son époque. « Il a froid », dit l’un des visiteurs en touchant le lourd drapé de bronze qui l’habille. « Il a un visage un peu vilain », dit un second. « Comment deviner que c’est un écrivain ? Il n’a ni livre ni stylo dans les mains », dit en souriant un troisième.
Ainsi vont les commentaires devant les statues qui scandent la promenade dans ce jardin à la française. Halte devant la statue d’Ève nue et en pleurs, devant laquelle le silence se fait. Rodin contorsionne les corps pour exprimer l’angoisse des Bourgeois de Calais, la douleur des damnés en bas-relief émergeant de la porte de l’Enfer, autant d’œuvres que Kenza continue d’expliquer et de replacer dans leur contexte historique.
« Au Soudan, il n’est pas facile d’aller au musée. D’ailleurs, c’est la première fois que j’entre dans un musée. »
Le Soudanais Mohamed s’attarde devant la statue d’un peintre, ami de Rodin, représenté sa palette de couleurs à la main. Son compatriote Mogahid lui préfère les visages de la galerie des marbres. « Au Soudan, dit Abdulla Kalifa, 37 ans, il n’est pas facile d’aller au musée. D’ailleurs, c’est la première fois que j’entre dans un musée. » « Moi aussi, ajoute Yaya. Cela me donne envie d’en visiter d’autres. J’ai appris beaucoup de choses ici. On a évoqué Picasso tout à l’heure et je veux aussi découvrir cet artiste. »
« Je vivais dans la campagne en Mauritanie et je n’avais jamais vu des choses pareilles, dit à son tour Omar. Je commence à comprendre un peu l’histoire. » « Moi non plus, je n’ai jamais vu des choses aussi… » Madou, jeune Guinéen, ne trouve pas de qualificatif mais ajoute : « J’ai pris des photos. Je vais les envoyer à mes amis et à ma famille et les poster sur Facebook. »
Dans le groupe, certains sont francophones, d’autres ne comprennent ni le français ni l’anglais. Ils ont du mal à communiquer. Mais les sculptures n’ont pas nécessairement besoin d’être expliquées, les corps vrillés, par exemple, crient une souffrance intérieure qu’il est impossible de ne pas entendre.
« Parmi les sorties que nous proposons », explique Grégoire Valadié, 35 ans, coordinateur du service socioculturel et chargé de mission pour l’apprentissage du français au Cedre, « il y a aussi des concerts. Cela va de la musique traditionnelle chinoise à de la musique classique en l’église de la Madeleine. » Art abstrait par excellence, la musique rassemble tout le monde.
Art abstrait par excellence, la musique rassemble tout le monde.
Proche du Cedre, la Cité de la musique à La Villette rencontre un franc succès. « De nombreux demandeurs d’asile y reconnaissent des instruments de leur pays, commente Grégoire Valadié. C’est précieux pour eux. Ils peuvent se raccrocher à ces instruments pour construire un pont entre leur culture et la nôtre. »
Cet article a été publié le 16/10/2016 sur le site du Secours Catholique-Caritas France : www.secours-catholique.org.