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Dossier : Inégalités, un défi écologique ?

Inégalités & écologie [1/5] Qu'en dit Emmanuel Macron ?

©Francis Merckaert
©Francis Merckaert
Que proposent les candidats à l'élection présidentielle pour que les habitants de notre pays et de notre monde « vivent bien dans les limites de notre maison commune » ? Pour Emmanuel Macron, c'est l'eurodéputée Sylvie Goulard qui répond à nos questions.

Ce samedi 18 février 2017, 350 personnes étaient réunies la clôture du colloque « Réduire les inégalités, une exigence écologique et sociale ». C’est une fanfare qui ouvre les débats : les associations voulant signifier par-là que la perspective d’une transformation écologique et sociale, pour être profonde et réussie, doit être joyeuse.

La règle est simple : tous les représentants des principaux candidats à la présidentielle ont 8 minutes chacun pour réagir au texte Repenser les inégalités face au défi écologique, signé par 15 associations rassemblées par la Revue Projet. Avant qu’un trio composé de Stéphanie Gallet (RCF), Philippe Frémeaux (Alternatives économiques /président de l'Institut Veblen) et Jean Merckaert (Revue Projet) ne les interrogent sur les propositions débattues lors des deux premiers jours de colloque.

Sylvie Goulard soutient Emmanuel Macron. Elle est eurodéputée depuis 2009 de l’Alde (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe). Elle préside l’intergroupe de lutte contre la pauvreté au Parlement européen et siège à la commission des Affaires économiques et monétaires.

Les 8 minutes introductives

J’aborderai cette question en insistant sur le niveau européen – si Emmanuel Macron était là, il le ferait différemment – parce que j’ai beaucoup apprécié dans votre document qui est très stimulant que vous vous placiez résolument dans une perspective globale. L’élection présidentielle ne pouvant plus se concevoir indépendamment des enjeux internationaux. Parmi les points que vous avez abordés, je souhaiterais centrer ma réflexion sur quatre éléments : le champ large que vous avez choisi, la dimension globale, la gouvernance – et montrer ensuite ce qu’on peut faire à chaque niveau – et finir par une réflexion sur le rapport entre les politiques et les questions économiques et financières.

Toutes ces questions devraient nous rendre extrêmement modestes. Je ne viens pas devant vous aujourd’hui avec la solution, notamment parce que quand on intègre dans son raisonnement l’interdépendance internationale, on se rend compte à quel point il est difficile de prétendre que l’élection présidentielle sera le moment où un individu, avec un programme élaboré à Paris, aura l’intention de faire des choses. Il ne s’agit pas de faire un constat d’impuissance non plus, mais il faut comprendre qu’aujourd’hui le travail avec les associations, les syndicats ainsi que le dialogue direct entre les décideurs et les personnes en situation de pauvreté ou en précarité – énergétique ou autre – est quelque chose d’important. Ce champ large que vous avez choisi couvre, à la fois, les questions d’inégalité et de défi écologique – inégalités elles-mêmes à concevoir au sens large. De tous mes contacts de terrain, c’est ce que je ressens : il y a des problèmes matériels énormes quand vous n’avez pas de toit ou d’accès à la santé, c’est quelque chose de vital. Mais il y a aussi l’accès à la citoyenneté, le fait d’être reconnu, le fait que ces millions de personnes qui sont définies comme pauvres parce qu’elles sont en dessous d’un critère relatif (60 % du revenu médian) sont des personnes qui ont du talent et qui peuvent contribuer à la société. Donc, je trouve votre idée de plancher social et de plafond environnemental extrêmement intéressante, le doughnut2 aussi. Mais j’ajouterai la révolution numérique : en quoi cette révolution va changer notre manière de mesurer la croissance ? Cela renvoie à la question des indicateurs. Sommes-nous capables de mesurer la croissance de ce secteur ? Dans un discours récent, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France parlait de « stagnation séculaire »3. Les indicateurs sont-ils conçus pour une économie numérique ? Beaucoup de gens en doutent. Tout ça est assez vertigineux. Donc pour résumer : accord sur la gravité du constat, sur son urgence, sentiment de responsabilité énorme et importance de la dimension globale. Ce sera mon deuxième point.

«  L’illusion souverainiste qui consiste à dire que nous parviendrons tout seul à faire des choses par des moyens nationaux, c’est faux. »

Il y a deux dénis dans le débat de la présidentielle en France à mon avis : l’illusion souverainiste qui consiste à dire que nous parviendrons tout seul à faire des choses par des moyens nationaux, c’est faux. La lutte contre la fraude fiscale, par exemple, appelle une coopération internationale. Si vous voulez des normes plus respectueuses de l’environnement, vous ne pouvez pas les prendre à une échelle qui enferme vos entreprises dans un carcan. En revanche, quand on les adopte à un niveau européen (comme la directive Reach4 et les obligations mises sur un certain nombre de produits), ça peut faire partie de la normalisation mondiale. Le contexte mondial s’est considérablement détérioré en 2016, avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis, un président qui ne reconnaît pas la réalité du réchauffement climatique, qui propose de baisser les impôts des plus riches, partisan d’un dumping fiscal, qui envisage le démantèlement de la loi Volker en matière financière et surtout son slogan « America first » qui s’apparente chez nous à la préférence nationale. Je ne mets pas tous les Américains dans le même panier, la société civile américaine ne partage pas cette approche. Le Brexit pourrait aussi valoir à nos portes, pour un pays [le Royaume-Uni, NDLR] qui était un partenaire dans le même ordre de droit et qui pourrait être tenté par des mesures d’offshore.

Je voudrais insister sur cette idée d’une gouvernance à plusieurs niveaux. Il y a des choses à faire au niveau des collectivités locales, des associations, des entreprises, de l’économie sociale et solidaire… Il y a les élus locaux, la société et le niveau français. Emmanuel Macron a fait un certain nombre de propositions : sur l’école, sur la discrimination positive dans les quartiers qui en ont le plus besoin, sur la formation professionnelle – qui ne forme pas les gens qui en ont besoin –, sur la rénovation de certains logements et sur l’utilisation différente de certains dispositifs comme le crédit d’impôt pour la transition énergétique, mais aussi sur la lutte contre l’augmentation des déficits et de la dette parce que la solidarité intergénérationnelle a été rompue. On ne peut pas se désintéresser d’une dette qui atteint 100 % du Pib et qui risque de nous mettre à la merci de nos créanciers si les taux d’intérêt remontent. Une augmentation des taux c’est, sur plusieurs années, des pertes de plusieurs dizaines de milliards. Il faut une action européenne sur la fiscalité et il a fallu les scandales de Luxleaks et des Panama papers pour qu’on prenne conscience que, de ce point de vue, l’Europe ne fonctionnait pas bien. Mais je tiens à dire que ce sont les États qui ont perpétué ce phénomène, ce sont eux qui conçoivent le marché intérieur. L’Europe ne peut pas s’emparer de sujets qui requièrent l’unanimité si certains pays s’accrochent à leur business model. Des progrès ont été faits en termes d’impôts sur les sociétés, de lutte contre la fraude et l’évasion. En matière de finance et de régulation, la prise de conscience est en cours. La finance et la régulation doivent aussi se faire au niveau européen.

Dans votre socle commun, vous dénoncez le lobbyisme au Parlement européen. C’est vrai qu’il faut contrôler les lobbies. Mais ce qui est extraordinaire, en Europe, c’est qu’on est un Parlement : une enceinte supranationale, dont la légitimité est à améliorer, mais ça n’existe pas dans d’autres enceinte globale. Il faut donc raison garder : l’Europe a beaucoup de défauts mais elle a un budget de solidarité et de cohésion transfrontière, elle permet d’agir à un certain niveau, de peser dans la norme mondiale.

«  Méfiez-vous des politiques. Parce que si notre dette est aussi élevée, si notre école va aussi mal, c’est peut-être parce que de mauvaises décisions ont été prises. »

Et je conclus par un mot sur les politiques. On dit toujours le rapport entre le politique et l’économie. Peut-être parce que je viens de la société civile (j’étais présidente du Mouvement européen avant), méfiez-vous des politiques. Parce que si notre dette est aussi élevée, si notre école va aussi mal, c’est peut-être parce que de mauvaises décisions ont été prises. Il y a le politique et la politique. La politique politicienne qui consiste à promettre des choses sans les tenir, ce n’est pas ce qui nous fera sortir de la situation actuelle.

Les échanges avec les journalistes

Philippe Frémeaux – Vous avez fait un plaidoyer en faveur de l’Europe, ce qui ne me surprend pas vue votre carrière politique. Notre sujet est aussi dans le lien entre deux notions. D’un côté, nous sommes confrontés enjeux de la transition écologique pour créer les conditions institutionnelles nécessaires pour toutes les personnes qui, aujourd’hui, se sentent rejetées par le système politique et les institutions – on le voit avec le niveau d’abstention et les attitudes de révolte ou de retraits face aux institutions politiques. De l’autre côté, le temps politique reste un temps de court terme : les élections se succèdent à un rythme rapide, on essaie de satisfaire les électeurs au pire par des effets d’annonce, au mieux par des mesures qui ont des effets relativement rapides. Les enjeux actuels sont sur le long terme mais à traiter tout de suite, si on veut éviter que la catastrophe ne se produise dans dix ou quinze ans. Est-ce que cela ne suppose pas, aussi, des réformes institutionnelles pour « courtermiser » ces enjeux de long terme et redonner de la vitalité à la démocratie ? Pour que tout le monde se sentent intégré par les institutions ?

Sylvie Goulard – Sincèrement, je souhaite ardemment qu’on ait les meilleurs outils possibles et dans un monde idéal je vous répondrais oui. Mais dans tout ce qui a été dit depuis ce matin – et c’est ma conviction profonde – on est dans une situation d’urgence. On a déjà passé près de dix ans, au début du siècle, à essayer de réformer les institutions. Moi, j’ai envie de vous dire simplement que dans le traité de Lisbonne, beaucoup d’instruments ne sont pas utilisés. Essayons de les utiliser et j’aurais même envie d’aller plus loin : soyons beaucoup plus pratiques. Regardez le Royaume-Uni…

Philippe Frémeaux – Ma question ne porte pas uniquement sur les institutions européennes, elle porte sur les institutions nationales, sur les parlements, sur la façon dont on intègre ou non le long terme dans la politique avec une assemblée du long terme à imaginer.

Sylvie Goulard – À En marche, il y a beaucoup de jeunes. Et si vous voulez vous occuper du long terme, il vaut mieux renouveler, avoir des gens qui arrivent avec des idées nouvelles et qui se projettent dans un avenir plus long. Je ne crois pas, qu’en ce moment, la création d’une institution nouvelle soit ce que l’opinion attend. En revanche, elle attend que les gens qui sont aux commandes s’attaquent à un certain nombre de sujets… Il y a un aspect de l’Europe que j’aime beaucoup : c’est ce qu’on appelle « l’Europe horizontale » : ce n’est pas ce qui vient de Bruxelles mais ce qu’on apprend les uns des autres. J’ai énormément appris de collègues finlandais sur ce qu’on appelle housing first. Quand on a fait un événement sur le revenu universel, c’est aussi du Nord de l’Europe que sont venus certains éléments. J’ai vu que dans votre doughnut, il y avait la situation des femmes ; là aussi, l’échange avec les Nordiques est particulièrement fécond.

«  Je ne crois pas, qu’en ce moment, la création d’une institution nouvelle soit ce que l’opinion attend. »

Ce que je voulais dire sur le Royaume-Uni tout à l’heure, c’est une des démocraties les plus vivantes du monde – même si elle est déchirée actuellement par le référendaire et le parlementaire – construite sans texte écrit. Le président de la BCE [la Banque centrale européenne, NDLR] vient tous les trois mois devant le Parlement : petit à petit, l’idée s’est installée qu’il doit rendre des comptes au Parlement. Cette pratique n’est dans aucun traité, elle a été inventée par l’usage. Lors de la crise grecque, je me suis battue pour qu’on contrôle la Troïka, pour qu’on fasse un rapport sur ce qu’elle racontait, pour qu’on fasse venir un représentant du FMI afin qu’il rende des comptes régulièrement, alors qu’on aurait pu attendre la réforme institutionnelle qui nous en donnait les pouvoirs. C’est très modeste, ça n’a pas changé la face de la terre, mais ça a permis d’avoir des débats publics sur ces questions. Pour répondre à votre question : nous avons besoin, aussi bien en France qu’au niveau européen, d’institutions meilleures, il y a beaucoup de choses à réformer en Europe, je ne le nie pas. Dans la Ve République aussi, il y a un déficit démocratique. Par exemple, quand vous pensez que le représentant de la France au Conseil européen n’a pas de mandat de l’Assemblée et peut y aller ni avant, ni après. Donc, des déficits, il y en a partout. Ce qui m’intéresse, c’est de voir où il y a de bonnes idées, comment on peut travailler, avec qui, peut-être à quelques-uns (dans les traités, il y a la possibilité d’avancer avec quelques-uns), il y a la zone euro, qu’il faut doter de nouveaux moyens, il y a de la solidarité à reconstruire… Je ne crois pas que le grand chantier institutionnel nous aidera énormément.

Jean Merckaert – Aujourd’hui, les marchés financiers conduisent par leur fonctionnement à l’enrichissement financier de certains mais font courir des risques énormes à d’autres. Si l’on en croit Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement, il faudrait parallèlement un grand plan de 80 000 milliards d’euros d’investissement pour les infrastructures vertes dans les années qui viennent. Si l’Europe en assume le quart – c’est son poids dans l’économie mondiale – ça fait 20 000 milliards. Comment pensez-vous orienter les capitaux vers les besoins de la transition écologique et sociale ?

Sylvie Goulard – D’abord, à propos de ces chiffres vertigineux, c’est bien que des chercheurs les calculent de manière théorique, mais j’observe – et c’était très visible lors de la Cop 21 – que la finance peut être un des instruments pour le verdissement de l’économie. Entre la commission précédente et l’actuelle, il y a eu l’initiative de Jean-Claude Juncker qui propose un effet de levier. L’argent, il faut bien le trouver quelque part. Je ne diabolise pas les marchés, même si je reconnais qu’il y a des abus et de la spéculation à combattre, mais vous avez aussi des fonds de pension…

Jean Merckaert – Concrètement, ça veut dire quoi qu’il y a de la spéculation à combattre ?

Sylvie Goulard – Ça veut dire que la finance doit être encadrée. Par exemple, si les Américains renoncent à Dodd Franck, il est hors de question que la France revienne, dans l’UE, sur les mesures prises pour encadrer les exigences en capital des banques ou la solvabilité des assurances… L’Europe est partie de quasiment rien, il n’y avait pas de supervision des banques dans la zone euro. Elle a été confiée à la BCE, il n’y avait pas d’autorité de supervision des banques, des marchés, des assurances. On leur a donné des pouvoirs de supervision directe des agences de notation. Des choses ont donc été faites, peut-être modestes, peut-être insuffisantes, mais il est certain qu’on ne reviendra en aucun cas dessus, alors même que nous allons être confrontés à une concurrence mondiale, de la part des États-Unis ou de la Grande-Bretagne – qui souhaite revenir en arrière. La question, c’est vraiment de préserver ce qu’on a. Concernant le fléchage des investissements, quand vous regardez comment ont été distribués depuis deux ans les 70 milliards du plan Juncker, vous avez de la transition énergétique, de la R & D, des aides aux transports… Est-ce suffisant ? Non. Mais tout ça représente un changement considérable par rapport à la logique d’hier qui n’était pas une logique d’investissement.

Jean Merckaert – Sur la régulation des marchés financiers, vous avez répondu qu’il fallait préserver l’existant. Est-ce que sur le trading à haute fréquence ou sur le dégonflement de cette énorme bulle des produits dérivés, Emmanuel Macron prévoit des mesures ?

Sylvie Goulard – Prenons l’exemple d’une entreprise qui vend des avions, qui a un contrat à honorer et qui veut se couvrir contre le risque que représentera le change en dollar à la date à laquelle il livre... On en a besoin…

Philippe Frémeaux – On n’est pas contre le principe d’une couverture face au risque de change ou de montée de taux d’intérêt. La question, c’est que le volume des liquidités sur ces marchés est sans commune mesure avec les besoins de l’économie réelle.

Sylvie Goulard – Tout à fait. Quand Pascal Canfin était avec nous au Parlement européen, nous avons pris des mesures pour encadrer le trading à haute fréquence. Par exemple, on a obligé un certain nombre d’opérations à passer par des chambres de compensation, et en ce moment l’une de nos préoccupations c’est que, avec le Brexit, on ne se retrouve pas avec des chambres de compensation, qui font l’essentiel de l’activité dont nos entreprises ont besoin, à l’extérieur de la zone que nous pouvons réguler. C’est une question extrêmement délicate qui va nous occuper et sur laquelle je me battrai pour qu’il y ait adéquation entre les gens qui contrôlent et la souveraineté de la zone euro. Mais je tiens à dire (et on l’oublie souvent en France) que lorsque vous avez des pays comme les Pays-Bas, dont les retraites des gens dépendent des fonds de pension, vous ne pouvez pas non plus dire que vous allez empêcher des Européens de continuer à financer leurs retraites. Il y a donc un équilibre à trouver entre la spéculation de ceux qui veulent s’enrichir par certains hedge funds qu’on avait encadrés d’ailleurs aussi au début de la mandature précédente et le maintien…

Stéphanie Gallet – Emmanuel Macron insiste sur le couplage entre liberté et protection sans avoir à choisir l’un ou l’autre. Comment compte-t-il lutter contre ces inégalités sociales dont nous parlons depuis deux jours ?

Sylvie Goulard – Il y a une mesure très concrète qui me paraît judicieuse quand vous voyez les études de l’OCDE. Elle consiste à donner beaucoup plus de moyens à l’école primaire dans les zones où il y a plus d’enfants défavorisés notamment en dédoublant les classes à l’âge où on apprend à lire. Il y a également l’idée de sortir d’une égalité affirmée à l’échelon nationale, loin d’être effective dans les territoires. Oser avoir des règles qui peuvent varier en fonction des publics auxquels on s’adresse, cela ne fait pas partie de la tradition française. Celle-ci consiste à s’abriter derrière une affirmation législative d’égalité, et à ne pas aller voir que l’impact est différent.

« Oser avoir des règles qui peuvent varier en fonction des publics auxquels on s’adresse, cela ne fait pas partie de la tradition française. »

Philipe Frémeaux – Une des raisons pour lesquelles la politique est rejetée par un grand nombre de personnes en France – ou que certains sont tentés d’aller voter pour l’extrême droite – c’est que, en dépit de tout ce qu’on a dit, les conséquences de la mondialisation sur l’emploi ou le creusement des inégalités n’ont été compensés ni par des mesures de redistribution ni par des politiques proactives, qui nous mettraient à l’abri de ce rejet. Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’une révolution numérique qui est déjà engagée et de mesures en faveur de la transition écologique qui vont nous conduire encore à une redéfinition des emplois. Quel type de mesure comptez-vous prendre pour imposer une sécurisation des parcours professionnels pour que ces mutations ne soient pas vécues comme une menace, mais au contraire comme une opportunité pour les salariés et plus généralement pour l’ensemble des travailleurs de ce pays ?

Sylvie Goulard – On a parfois l’impression en France que tout va mal en Europe et que tout le monde va aussi mal. Avec le même euro, les mêmes règles, la même mondialisation, vous avez l’Italie, pour ne pas citer l’Allemagne. L’Italie est en excédent commercial ce qui prouve qu’elle a gardé une industrie et des services compétitifs capables, dans la compétition mondiale, de trouver des clients à l’extérieur. Il est intéressant de regarder ce qu’il se passe ; on a eu tendance à protéger les postes de travail et non les personnes. L’idée qui n’est pas neuve, c’est celle de la « flexi-sécurité » des Danois : de parcours personnels dans lesquels c’est l’individu qui est protégé et pas son emploi. Je ne crois pas qu’on peut maintenir des emplois publics par de l’argent, ça n’a aucun sens.

Philippe Frémeaux – C’est un discours que j’entends depuis quinze ans, mais que fait-on de plus que ce qu’on a fait jusqu’à présent pour que les effets pervers constatés disparaissent ? Pour que les gens se sentent sécurisés ? Pour qu’on puisse, par exemple, fermer la centrale de Fessenheim sans que tout le monde descende dans la rue ?

Sylvie Goulard – La garantie que les Français ne descendront pas dans la rue, je ne vous la donnerai pas. En France, on dépense environ 32 milliards pour la formation qui ne vont pas forcément vers les individus qui perdent leur emploi et qui ont besoin d’être reconvertis. Emmanuel Macron a dit, par exemple, qu’une personne qui ne savait pas lire aurait du mal à retrouver un emploi. Que des bilans soient faits au moment des plans sociaux et des bilans de suivi des personnes et qu’on s’attaque à un certain nombre de maux, aux conditions de santé liées à la dégradation de la qualité de l’emploi, aux pertes d’emploi. Quelqu’un qui a sombré dans les addictions aura du mal à retrouver du travail.

Questions courtes pour réponses courtes

Stéphanie Gallet – Emmanuel Macron reste comme le ministre qui a voulu libérer la croissance en assouplissant, entre autres, la réglementation sur la publicité, l’ouverture des magasins le dimanche… Infléchira-t-il cette démarche en prenant en compte un peu plus la sobriété pour notre planète ?

Sylvie Goulard – La sobriété, je crois qu’il va falloir l’appliquer d’abord à l’État, aux collectivités locales et à l’ensemble des institutions qui contribuent, par la dépense, à rendre le pays pauvre. La sobriété, ça me gêne quand on a une conception à géométrie variable. La vraie difficulté est de savoir comment on peut réduire le gaspillage alimentaire que ce soit au stade de la production, des écoles, de la restauration collective. Attention, c’est l’élection présidentielle : il y a des actions à mener à d’autres niveaux.

«  La sobriété, je crois qu’il va falloir l’appliquer d’abord à l’État, aux collectivités locales et à l’ensemble des institutions qui contribuent, par la dépense, à rendre le pays pauvre. »

Jean Merckaert – Au sein des entreprises, on atteint aujourd’hui des écarts de rémunération qui vont de 1 à 10005. Seriez-vous favorable, avec Emmanuel Macron, pour plafonner ces écarts de revenu ?

Sylvie Goulard – Personnellement, j’ai voté la limitation des bonus des traders dans la directive CRD 4. Je n’ai aucun problème avec l’idée d’une limitation des écarts de revenu. Après, il faut voir comment on le fait. Est-ce qu’on l’impose aux conseils d’administration ? Faut-il imposer des limites ? Personnellement, je n’y suis pas défavorable. Doit-on le faire seul ? Je pense qu’il faut que ce soit fait au niveau européen, parce que sinon que se passera-t-il ? Des personnes basées à Londres travailleront à Paris, prendront l’Eurostar et la législation ne servira à rien.

Philippe Frémeaux – Vous avez souvent dit que des choses devaient être traitées au niveau européen, parce qu’au niveau national, il y a des limites à l’efficacité de l’action. C’est un argument qui est parfois utilisé pour ne pas mettre en œuvre des politiques. Je prendrai l’exemple de l’écotaxe : la Suède a réussi à mettre en place un prix du carbone beaucoup plus élevé que la France. Or il me semble que la Suède est en excédent commercial, que c’est un pays dont l’économie est dynamique…

Sylvie Goulard – L’Europe offre la possibilité de s’adosser à un marché de taille suffisante qui donne plus de chance d’être efficace. C’est pour cette raison que j’ai insisté sur le global : ne nous berçons pas d’illusions, il n’y a pas de parade absolue à des gens qui vont ailleurs faire des turpitudes. L’exemple que vous prenez avec la Suède est intéressant parce que c’est un pays qui est beaucoup plus ouvert que le nôtre et qui a maintenu une protection sociale extrêmement élevée. Les Suédois prennent en considération la dimension environnementale. Je reconnais qu’il y a un environnement culturel luthérien favorable mais difficilement transférable dans un pays latin.

Jean Merckaert – S’il est élu, Emmanuel Macron fera-t-il appliquer la loi sur le devoir de vigilance ?

Sylvie Goulard – La question à se poser est quel est l’impact d’une telle loi sur le marché intérieur si la France l’adopte seule ?

Jean Merckaert – Vous faites partie des eurodéputés français qui ont voté en faveur du Ceta. Comment concilier le respect des limites de la planète quand on sait que ce traité contribue à l’exportation du pétrole issu des sables bitumineux canadiens et à exploser les deux degrés de l’accord de Paris ?

Sylvie Goulard – Il y a eu beaucoup trop de simplifications autour de ce traité. Le fait d’adopter le Ceta n’implique pas que l’accord de Paris ne s’applique pas. Si vous me demandez si l’accord est parfait, la réponse est non, ce n’est pas une raison pour rejeter un texte de 600 pages qui comporte par ailleurs des points positifs. Par exemple, le respect des indications géographiques protégées, c’est bon pour une agriculture de qualité, beaucoup moins intensive chez nous, donc les deux aspects doivent être mis dans la balance. Vous avez l’accès aux marchés publics. À l’heure actuelle, les marchés publics européens sont ouverts aux Canadiens et leurs marchés ne nous sont pas ouverts. Vous ne signez pas le Ceta, quel est le bénéfice ? Vous perdez la possibilité d’aller construire, par exemple, des trains, d’exporter la technologie d’Alstom ou de Siemens au Canada. Personnellement, j’ai voté pour le Ceta parce que, dans le contexte géopolitique grave que nous connaissons actuellement, il y a un partenariat stratégique à nouer avec un pays comme le Canada.

Propos recueillis par Patrice Le Roué.


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1 Le texte Repenser les inégalités face au défi écologique, cosigné par 15 associations en février 2017 est à lire sur Revue-Projet.com.

2 C’est la théorie développée et présentée lors de ce colloque par Kate Raworth. Cf. « Un espace sûr et juste pour l’humanité », Revue Projet 356, février 2017.

3 Une théorie introduite à la fin des années 30 par l’économiste américain Alvin Hansen.

4 « Reach est un règlement de l’Union européenne adopté pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant la compétitivité de l’industrie chimique de l’UE. Il encourage également des méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances afin de réduire le nombre d’essais sur animaux. » Source : l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).

5 Cf. à ce sujet, Lucile Leclair et Jean Merckaert, « Vers un plafonnement des écarts de revenus », Revue Projet 356.


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