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Dossier : À quel prix sauver l’euro ?

L'avenir de l'euro : qu'en pensent les eurodéputés ?

Marcalahdeff, certains droits réservés / Flickr
Marcalahdeff, certains droits réservés / Flickr
Ils ont tous la construction de l’Europe pour préoccupation quotidienne. Mais le sort de l’euro n’en préoccupe que certains, quand d’autres résument la crise à un problème de dette publique. Quant au scénario d’une Europe fédérale, l’ambition est tantôt assumée crânement, tantôt envisagée par nécessité.

Récemment, beaucoup de commentaires évoquaient la disparition de l’euro. Si le danger est moindre aujourd’hui, la fragilité de l’euro est évidente. Dans le contexte de la crise financière, comment évaluez-vous le risque actuel pour la monnaie unique ?

Ramon Tremosa – L’euro reste un projet très fort. Certes les événements actuels montrent que la crise est loin d’être terminée, mais il y a un réel engagement sur l’euro. Quoi qu’il arrive en Grèce, avec le deuxième renflouement, la zone euro se bat pour maintenir le nombre actuel de ses membres, et l’entrée de l’Estonie l’année passée montre que l’euro est toujours un projet attrayant. De plus, le taux de change élevé face au dollar montre que la confiance en l’euro de la part des investisseurs est élevée.

Jean-Paul Gauzès – C’est une erreur de penser qu’il existe une crise de l’euro. En réalité, nous devons faire face à une crise de la dette souveraine, car la plupart des États membres de l’Union européenne (UE) vivent au-dessus de leurs moyens depuis des années. Cette crise se double d’une crise du secteur bancaire, car de nombreuses banques détiennent des actifs toxiques dans lesquels elles ont investi à l’époque où les agences de notation de crédit ont donné de bonnes notes à des actifs trop risqués.

Il importe aujourd’hui de mieux organiser la gouvernance de la zone euro. C’est ce qui est engagé avec le « six-pack » et qui se poursuit avec le « two-pack » (mesures renforçant le Pacte de stabilité et de croissance et mesures de prévention).

Sylvie Goulard – Jusqu’à la fin de l’année 2011, les gens étaient véritablement inquiets. Depuis lors, il est apparu clairement qu’il y a une volonté politique pour s’assurer que l’euro ne disparaisse pas. Les outils manquent encore en partie pour sa gestion efficace, et on peut s’attendre à des turbulences supplémentaires. Mais l’Union européenne ne permettra pas la disparition de l’euro.

Philippe Lamberts – Pourtant le risque est réel d’une disparition de l’euro, s’il n’y a pas d’intégration politique, budgétaire et fiscale. Ou bien on réussit à conserver une véritable union budgétaire et fiscale, et donc une union politique (il n’y a pas de taxation sans représentation) ou bien l’euro est voué à l’échec. Ce sera la fin de la construction européenne. Une union budgétaire et fiscale suppose un budget fédéral, des règles communes bien sûr, mais aussi une capacité d’emprunt commune, et une politique de taxation commune. Or je ne vois pas aujourd’hui une volonté majoritaire en Europe (ni au niveau des gouvernements, ni chez les partis au pouvoir) de réaliser cette intégration politique.

Quelles sont les réformes les plus importantes et les plus urgentes pour restaurer la confiance dans l’euro ? Quel rôle le Parlement européen peut-il jouer pour mettre en œuvre ces réformes ?

S. Goulard – Le Parlement européen a utilisé les compétences que le traité de Lisbonne lui donne pour essayer d’améliorer les propositions faites par la Commission, par exemple dans le cas du « six-pack » de la régulation financière. Le Conseil a parfois été plus résistant aux propositions de la Commission – qui est prise entre la volonté de répondre aux problèmes internationaux et le souci de protéger l’indépendance des États membres. Dans la gestion de la crise, les États membres et les parlements nationaux ont pris les devants, à juste titre. Mais en termes de démocratie, la crise de l’euro touche tous les domaines de la vie économique (imposition, emploi, pensions, etc.) et un débat transparent au niveau international est essentiel. Le Parlement doit être le premier lieu de ce débat.

"Les réformes prioritaires sont les réformes structurelles, par exemple celles du marché de l'emploi et des retraites. Mais la plupart sont à mettre en œuvre au niveau national." Jean-Paul Gauzès, Parti populaire européen

J.-P. Gauzès – En effet, les réformes prioritaires sont les réformes structurelles, par exemple celles du marché de l’emploi et des retraites. Les recettes budgétaires étant limitées, il faut contenir les dépenses. Le levier principal est celui d’une réallocation des lignes budgétaires nationales et européennes. Il convient de donner la priorité aux politiques favorables à la croissance (notamment dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de l’innovation, des infrastructures et de l’énergie). Le Parlement européen s’est prononcé en adoptant un rapport sur la croissance 2012. Mais la plupart des réformes à mettre en œuvre relèvent des responsabilités de chaque État.

R. Tremosa – Il est fondamental de renforcer d’abord les règles de discipline budgétaire dans la législation européenne. L’automne dernier, de nouvelles règles sont entrées en vigueur pour lutter contre les déficits excessifs, les déséquilibres macro-économiques et les mensonges dans la publication de données statistiques officielles. Des sanctions seront appliquées à ceux qui ne se conforment pas aux règles, à travers un mécanisme semi-automatique, dans lequel la décision de la Commission aura un grand poids. Mais il s’agit de mettre en œuvre une législation complémentaire pour activer ce travail. Le Parlement européen en débat actuellement, autour du « two-pack ».

L’enjeu est de contrôler les déficits structurels (avant le paiement des intérêts) et d’être armé d’une comptabilité appropriée des déficits des entreprises et des infrastructures publiques. De plus, c’est une bonne opportunité pour prévoir un cadre législatif qui fasse de la Commission le responsable ultime de la supervision des déficits, y compris des déficits régionaux.

Enfin, il est temps d’introduire un nouvel instrument pour aider les États membres à réduire les taux d’intérêt qu’ils paient actuellement. L’union monétaire ne peut pas marcher sans une intégration, au moins partielle. Dans ce sens, le groupe ALDE poussera à la création d’un European Redemption Fund1. Celui-ci soulagerait les pays qui paient des taux d’intérêt plus élevés et aiderait la zone euro à retrouver le chemin de la croissance. L’existence de ce fonds serait limitée dans le temps (vingt à vingt-cinq ans) et permettrait de nettoyer toutes les dettes supérieures à 60 % du Pib dans les pays de la zone euro, en émettant des obligations communes de sauvetage. La participation au programme serait bien sûr liée à un engagement fort pour une discipline et une réforme fiscales, assurant qu’il n’y ait pas de free-riders qui utiliseraient le système pour dépenser trop et créer des déficits qu’ils ne peuvent pas payer eux-mêmes.

P. Lamberts – Pour retrouver confiance dans l’euro, tout ce qui est discipline budgétaire a été voté. La mesure la plus essentielle et la plus urgente pour retrouver la paix sur les marchés suppose de garantir la liquidité des dettes publiques. Si cette garantie existe, on trouvera toujours des repreneurs privés. Le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) est limité par les traités : elle ne peut pas souscrire à des bonds d’États. En revanche, elle peut racheter sur les marchés secondaires, et c’est ce qu’elle fait avec beaucoup de réticence aujourd’hui. Les Verts européens recommandent de transformer le Fonds européen de stabilisation financière en banque, de sorte qu’il ait accès aux facilités de liquidités illimitées de la BCE.

Le rôle de la BCE est aussi largement discuté. Pensez-vous qu’elle devrait pouvoir émettre des euro-obligations ?

S. Goulard – Aucune monnaie globale n’existe sans son marché d’obligations, il serait donc étrange de s’opposer par principe à l’émission d’euro-obligations. Cependant, un marché d’euro-obligations ne s’établit pas instantanément : il requiert la confiance entre les États membres, dont certains, précédemment, n’ont pas géré leur économie de façon efficace et transparente. Mais un marché d’obligations qui fonctionne bien, en établissant une responsabilité solidaire, serait à la fois source de confiance et récompense de la réduction des dettes nationales excessivement lourdes.

J.-P. Gauzès – Le rôle de la BCE est de limiter l’inflation. Contrairement à la Fed [la banque centrale américaine], elle n’a pas comme mission de favoriser la croissance. Tout changement nécessiterait une modification du traité, qui fait de la BCE une entité indépendante du pouvoir politique. Mais la question la plus fondamentale réside dans l’intérêt ou non d’émettre ce type d’obligations. Je n’y serai pour ma part favorable que le jour où l’intégration économique européenne sera effective… Il reste beaucoup de chemin à parcourir.

P. Lamberts – Les euro-obligations, c’est-à-dire la faculté pour les États européens de financer collectivement leur dette, me semblent être une évidence. Mais dès que l’on mutualise la dette, on crée des obligations solidaires. Il est donc tout à fait logique que cela ne puisse se faire sans un échelon de pouvoir fédéral européen. La garantie collective doit être soutenue par un ensemble politique collectif.

Je ne pense pas que ce soit à la BCE de les émettre. Pour les Verts européens, ce doit être le Fonds monétaire européen, qui remplacera le Fonds de stabilisation financière et le Mécanisme européen de stabilité : il serait une institution de gestion de crise et en même temps l’émetteur d’obligations communes. Ainsi, les rôles sont scindés entre, d’une part, la BCE, chargée de la politique monétaire (des taux d’intérêt) et assurant un rôle de surveillance systémique, et, d’autre part, le Fonds monétaire européen qui s’occuperait du financement des États.

Il est choquant de voir qu’aujourd’hui on apporte une garantie illimitée au secteur financier : les banques peuvent se refinancer auprès de la BCE à seulement 1 %. Pourquoi la BCE ne peut-elle pas refinancer la dette des États ? On avance l’argument de l’aléa moral : les États n’auraient aucune discipline, s’endetteraient à l’excès et profiteraient du système. Or que font les banques ? Le message est qu’une institution privée est digne de confiance mais pas un État. N’y a-t-il pas là un biais idéologique, caractéristique du néolibéralisme ?

Ramon Tremosa – La paralysie des États membres dans la recherche de solutions communes a été mise en évidence par l’activisme de la BCE – seule institution capable d’agir pour lutter contre la crise – qui, soit fournissait de la liquidité, soit achetait des obligations souveraines sur les marchés secondaires. Ces actions pourraient finalement mettre en danger la solvabilité de la BCE et son indépendance, mais on ne peut nier que, sans elles, la situation aurait été bien pire, et qu’elles ont probablement sauvé la zone euro à des moments critiques.

En un sens, la BCE est bien devenue le prêteur indirect en dernier ressort pour les pays européens. Avec son opération de refinancement à long terme en décembre, la banque centrale a prêté 500 milliards d’euros à des banques européennes, qu’elles ont utilisés principalement pour se refinancer et pour acheter des obligations souveraines. Ce qui a permis de diminuer les taux d’intérêt. Mais cette solution est de court terme. La BCE a lancé une deuxième opération et on dit qu’elle va prêter à hauteur de 1 000 milliards d’euros (l’équivalent du Pib de l’Espagne). Mais elle ne pourra recourir à ce type d’opération de manière continue.

Je suis favorable aux euro-obligations, pour autant qu’elles soient liées à une discipline fiscale. Cependant, je comprends tout à fait les craintes des pays d’Europe centrale ou du Nord. Mais le climat public n’est pour le moment pas en faveur d’une telle proposition. Aussi sera-t-il plus judicieux de pousser des propositions plus consensuelles comme le European Redemption Fund.

La France a approuvé une taxe sur les transactions financières (TTF). L’Union européenne devrait-elle promouvoir une telle taxe ? Cela affecterait-il la position concurrentielle du secteur financier européen ?

J.-P. Gauzès – La Commission européenne a déjà proposé un texte (actuellement débattu par le Parlement européen et le Conseil) pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. La Grande-Bretagne a indiqué qu’elle n’y participerait pas par crainte de voir son industrie financière quitter la City. Mais cette crainte est-elle justifiée si l’Union européenne dans son ensemble appliquait cette taxe ? L’idéal certes serait que cela se passe au niveau mondial. Et, au sein du G20, l’Europe peut y contribuer.

P. Lamberts – Cela fait quinze ans que les Verts européens demandent de mettre sur pied une telle taxe. L’objectif est double. D’une part, diminuer la taille des marchés des produits dérivés, qui dépasse parfois de 10 à 30 fois la taille de l’économie réelle et réduire le recours à ce type de transactions nuisibles.

D’autre part, lever de nouvelles recettes et faire ainsi que le secteur financier contribue à remédier aux torts qu’il a causés. Mais ce n’est qu’une des formes de la fiscalité à appliquer au secteur financier. Il faut également une taxe sur les activités financières, une sorte de TVA qui serait une recette permanente.

Mais cette taxe sur les transactions financières ne se traduira pas par des délocalisations, hormis celles d’activités nuisibles. Car il n’est pas vrai que ces produits dérivés apportent de la liquidité : quand tout le monde en a besoin, vu le comportement moutonnier des marchés, ils retirent tous leurs liquidités. Ces activités financières doivent quitter l’Europe, et si elles se font en euros à Londres, on les attrapera également. Les Britanniques devront décider : rester ou partir. Et s’ils décident de quitter l’UE, il est vraisemblable que Londres s’effondrera comme place financière. C’est bien cela qui serait dangereux pour eux, et non une TTF.

S. Goulard – Je ne suis pas purement et simplement en faveur de cette taxe. La réalité est plus complexe. D’un côté, il est raisonnable de dire qu’un secteur aussi influent que le secteur financier, qui réussit généralement à éviter la taxation, devrait contribuer comme les autres secteurs de l’industrie et du commerce : de nouveaux instruments doivent être trouvés. Mais dans un marché, dont on ne peut nier qu’il est mondial, comment introduire des taxes qui ne sont pas elles-mêmes mondiales ?

La proposition de M. Sarkozy de créer une forme de TTF, de manière unilatérale si nécessaire, est-elle plus qu’un stratagème électoral ? Une TTF au niveau de la seule zone euro pourra-t-elle marcher ? Elle avantagerait l’industrie de la City. Mais il existe d’autres pistes : par exemple, quand des banques européennes profitent de prêts à des taux favorables de la BCE, en n’utilisant pas toujours ces fonds pour l’objectif prévu – c’est-à-dire en prêtant à nouveau ou en injectant des liquidités dans les marchés. Si ces fonds sont réinvestis en spéculant, une taxe est tout à fait appropriée. À long terme, une régulation plus adéquate et une taxation du secteur financier sont souhaitables, mais nous ne devrions pas mettre tous nos espoirs sur cette seule mesure sans considérer d’autres possibilités.

R. Tremosa – Anders Borg, le ministre suédois des Finances, a récemment expliqué la mauvaise expérience de la Suède au début des années 1990. L’établissement d’une taxe de ce type n’a pas eu d’effets significatifs car une grande partie de l’industrie financière suédoise a déménagé à Londres. De même, Mario Draghi a jugé qu’une TTF qui ne s’appliquerait pas à un niveau mondial affecterait l’industrie financière européenne, les compagnies financières quittant l’Europe pour s’installer dans des parties du monde moins régulées. Propos recueillis par Claire Brandeleer et Frédéric Rottier du Centre Avec (centre de recherche social jésuite situé à Bruxelles) et Frank Turner et Jose Ignacio García du Jesuit European Social Centre.


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1 / Le European (Debt) Redemption Fund, souvent traduit par Caisse européenne d’amortissement de la dette est une idée lancée par le Conseil allemand des experts économiques et consiste à mettre en commun les dettes des États membres jusqu’à un niveau de 60 % du Pib. Au-delà, les États membres doivent financer leurs dettes séparément [ndlr].


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