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Dossier : À quel prix sauver l’euro ?

Crise de l’euro : qui va payer ?

Manifestation de soutien à la Grèce, Paris, février 2012 © Aurore Chaillou
Manifestation de soutien à la Grèce, Paris, février 2012 © Aurore Chaillou
De la manière dont l’Europe abordera la crise grecque dépend l’avenir de l’Espagne, du l’Italie, du Portugal et de la zone euro dans son ensemble. C’est pourquoi il est urgent d’envisager des alternatives au prolongement du calvaire. Gaël Giraud en examine ici quelques-unes : défaut partiel, sortie de l'euro, création monétaire, fédéralisme européen, etc.

L’été 2012, riche en rebondissements, présage d’un tournant dans la crise des dettes publiques européennes. La Grèce fera certainement défaut une seconde fois1, après la restructuration partielle de sa dette en février 2012. Tant que d’autres solutions ne seront pas mises en œuvre que l’octroi de prêts conditionnels à des plans d’austérité, ce défaut souverain sera le prélude à d’autres, susceptibles de survenir en Espagne, au Portugal, en Italie. Mais qui va payer ? De la réponse des Européens dépend le sort de l’euro.

Le sommet de Bruxelles (28 juin 2012)

Le sommet a accouché de trois mesures principales. Le fonds de stabilisation financière (FESF) pourra désormais renflouer directement les banques privées, après accord de la Banque centrale européenne (BCE). Au sein des pays qui demanderont à bénéficier de son aide, il pourra aussi acheter de la dette publique afin de détendre le marché sans intervention de la Troïka : Union européenne, BCE, Fonds monétaire international (FMI). L’argent avancé aura été emprunté auprès des États ou sur les marchés (avec la garantie des pays de la zone euro, surtout l’Allemagne et la France).

Que la Troïka ne soirt pas systématiquement invitée à intervenir signale la prise de conscience par les gouvernements européens de ce qu’elle est déjà honnie par les citoyens. Son intervention consiste invariablement à exiger démantèlement du service public, réduction des salaires des fonctionnaires, suppression de tout ou partie des allocations qui servent « d’amortisseurs » en cas de crise, privatisation des biens publics. Cette politique avait été préconisée pour la première fois de manière systématique par Milton Friedman et les Chicago boys, au moment de conseiller le général Pinochet. Ces recettes furent mises en œuvre par le gouvernement Thatcher en Grande-Bretagne (lequel ne parvint à assurer sa survie électorale que grâce à la guerre des Malouines), par nombre de pays en développement sous la houlette du FMI, puis en Russie par Boris Eltsine. Comme le montre Naomi Klein2, à chaque fois, le « choc » provoqué par la guerre, un coup d’État, un drame comme le 11-septembre ou l’explosion de la dette publique, sert d’alibi pour dilapider les ressources du pays sous forme de privatisations hâtives, dissoudre les forces syndicales, réduire, sinon détruire, l’État-providence. Ces politiques ont conduit la plupart des pays concernés au désastre macro-économique. Mais à chaque occasion, une toute petite minorité s’est considérablement enrichie : songeons aux oligarques russes ou à la clientèle fortunée de la dictature Pinochet... Il est à craindre que, appliquées en Europe, ces mêmes recettes conduisent au même résultat. Les premières conséquences sont déjà visibles en Grèce, un pays pauvre mais qui n’avait jamais connu la misère depuis la Seconde Guerre mondiale. Que les prêts du FESF ne soient plus conditionnés aux exigences de la Troïka est une concession. Mais celle-ci est mince, lesdits prêts demeurant soumis à l’accord de la BCE.

La deuxième décision prise à Bruxelles, confier à la BCE la supervision du système bancaire de la zone euro, est ambiguë. Elle peut être saluée comme une première étape vers une régulation européenne du secteur bancaire. Confier ce rôle à la BCE (prêteur en dernier ressort des banques) peut être une manière, apparemment habile, de régler de façon déconnectée la crise bancaire et celle des États (survenue après que ceux-ci ont volé au secours des banques, en 2009)3. Était-ce cependant à la seule BCE – dépourvue du moindre mandat démocratique – qu’il convenait de confier pareille fonction ? Lui conférer la supervision du secteur bancaire européen, c’est retirer cette tâche des mains des États membres. Et poursuivre la privatisation des instances régulatrices, déjà entamée avec l’indépendance de la BCE. En ce sens, la résistance opposée par l’Angleterre est plutôt bienvenue, même si elle n’est pas dépourvue d’arrière-pensées : les Britanniques cherchent à protéger la City de l’inquisition de la BCE, préconisant que celle-ci intervienne en coopération avec les autorités nationales de régulation.

La troisième décision d’importance, elle, ne souffre aucune ambiguïté d’interprétation : les prêts du futur Mécanisme européen de stabilité (MES), appelés à compléter ceux du FESF, n’auront plus la priorité de remboursement sur les créances privées. Autrement dit, les contribuables européens, dont l’argent aura été prêté par les États via le MES, ne seront plus remboursés en priorité face aux investisseurs privés. Sur les places boursières et le marché obligataire, les investisseurs ont salué avec enthousiasme cette dernière décision4. Il ne s’agit de rien moins que d’une étape supplémentaire dans la logique de socialisation des pertes et de privatisation des profits qui gouverne nombre des décisions depuis 2007.

Il était prévisible que les plans imposés à la Grèce ne contribueraient pas à rétablir ses comptes publics.

Ce sommet n’aidera aucunement la Grèce à sortir de l’impasse. Un pays qui emprunte à un taux d’intérêt réel supérieur à son taux de croissance voit sa dette augmenter automatiquement, sauf à accumuler des excédents budgétaires qui ne sont à l’ordre du jour d’aucun pays de la zone, pas même de l’Allemagne. Il était donc prévisible, depuis deux ans, que les plans imposés à la Grèce ne contribueraient pas à rétablir ses comptes publics5. L’ajustement imposé actuellement à l’Espagne et à l’Italie contribuera aussi à leur défaut, en accentuant leur récession, alors que ces deux pays doivent se refinancer à des taux supérieurs à 6 %.

Un premier pas vers la sortie de la Grèce ?

Plusieurs signaux témoignent d’un changement de ton dans les prises de parole « autorisées ». Le 2 août, le président de la BCE, Mario Draghi, déclare que tout sera mis en œuvre pour sauvegarder l’euro, tout en faisant allusion au risque de convertibilité de certains pays de la zone. Qu’est-ce à dire sinon que la BCE interprète les taux très élevés auxquels les investisseurs prêtent à l’Espagne et à l’Italie comme provenant d’une nouvelle prime de risque, qui s’ajoute au risque de défaut et au risque de liquidité, correspondant au risque que le pays ne sorte de la zone euro et ne dévalue la monnaie dans laquelle sa dette sera libellée. Par cette allusion – une première –, M. Draghi lance un signal aux marchés : sans donner du reste aucune indication sur la manière dont elle « fera tout » pour sauver l’euro, la BCE n’envisage plus comme impossible qu’un pays sorte de la zone.

La seule décision concrète prise, depuis début août, par l’institut d’émission monétaire européen, a consisté à autoriser la Banque centrale de Grèce à acheter pour 4 milliards d’euros d’obligations émises par l’État grec. Le revirement pourrait sembler majeur de la part de la BCE : n’avance-t-elle pas vers une monétisation des dettes souveraines ? Avant peut-être de racheter elle-même de la dette publique sur le marché primaire ? Mais cette monétisation – créer de la monnaie pour prêter directement aux États –, interdite par l’article 123 du traité de Lisbonne, est considérée par l’Union chrétienne-démocrate allemande (CDU) comme un casus belli. D’où l’opposition d’Angela Merkel à l’octroi d’une licence bancaire au MES, qui pourrait alors se refinancer automatiquement auprès de la BCE et prêter cet argent aux États. On voit implicitement qu’au sein de la zone euro, une banque vaut davantage qu’un État... La BCE n’a donc nullement autorisé la Banque centrale d’Athènes à créer de la monnaie pour acheter de la dette publique, à l’instar de la réserve fédérale aux États-Unis (Fed) et des banques centrales d’Angleterre et du Japon, mais à puiser dans ses fonds propres pour venir en aide à l’État grec. N’est-ce pas dangereux ? Si, puisque la dette publique grecque va continuer d’augmenter. Ses fonds propres étant limités, la Banque centrale grecque ne pourra pas longtemps acheter la dette de l’État sauf à faire défaut elle-même. Le plus vraisemblable est que la BCE anticipe une sortie prochaine de la Grèce hors de l’euro, qui permettrait enfin à sa Banque centrale de créer des drachmes pour maintenir l’État hors de l’eau.

Au sein de la zone euro, une banque vaut davantage qu’un État.

Pour l’heure, sortir de l’euro serait la moins mauvaise solution acceptable aux yeux de la CDU : dispensée de s’infliger la « thérapie de choc » suicidaire qui lui est administrée depuis deux ans, la Grèce pourrait enfin dévaluer et recouvrer le pouvoir régalien de frapper monnaie. Toutefois, une bien meilleure solution, permettant de conserver l’euro tout en résolvant le problème des déséquilibres commerciaux, consisterait à mettre en œuvre un « euro comme monnaie commune6 » : la Grèce conserverait l’euro pour ses transactions hors zone et renouerait avec une drachme dévaluée pour ses transactions intra-zone. Mais elle n’est pas envisagée par les autorités européennes : l’Allemagne perdrait instantanément le bénéfice de vingt années de déflation salariale, ses partenaires européens (qui ne tarderaient pas à imiter la Grèce) récupérant une partie de leur compétitivité par la dévaluation. Quand la classe politique et la haute fonction publique françaises comprendront-elles que cette solution (revenir à un serpent monétaire européen) avantagerait aussi la France, qui a déjà beaucoup perdu à s’entêter à demeurer au sein d’une zone-mark déguisée ?

Qui va payer la facture ?

Si la sortie de la Grèce était prévisible, à quoi auront servi les multiples « plans de sauvetage » depuis deux ans ? À permettre aux banques des pays « du centre » (l’Allemagne et la France, surtout) de se débarrasser des titres de dette publique grecs qu’elles détenaient dans leur bilan (transférés aux banques centrales) et d’ajuster leurs positions en termes de Credit Default Swaps7 sur la Grèce. Désormais, cette dernière peut faire défaut, « nos » banques n’en souffriront que marginalement. Qui donc payera la note ? Si l’on s’en tient aux traités, c’est pour l’essentiel aux contribuables des pays du « centre » qu’il incombera de recapitaliser les banques centrales européennes. En devenant la « bad bank »8 que l’Union européenne a refusé de constituer au sortir de 2008, le système des banques centrales est menacé de se retrouver grandement fragilisé par le prochain défaut souverain grec (à la manière dont le serait la Banque centrale de Grèce si elle poursuivait sa politique d’achat des dettes grecques sans sortir de la zone euro).

À ce jour, la BCE a racheté sur les marchés secondaires pour 40 milliards d’euros de dette grecque. Si Athènes devait renoncer à 50 % de sa dette (une estimation jugée raisonnable par la plupart des observateurs), la Banque de Francfort y perdrait 20 milliards, soit un quart de ses fonds propres. Paris aurait à recapitaliser la BCE à hauteur de 4 à 5 milliards, mais aussi à refinancer le réseau des banques centrales de la zone euro. Or, selon l’agence Fitch, la Banque centrale grecque a accumulé 106 milliards d’euros de contreparties financières auprès de ses consœurs européennes. Un défaut de 50 % coûterait donc environ 12 milliards supplémentaires à la France. À ces 17 milliards s’adjoindra encore le montant des prêts bilatéraux accordés dans le cadre des plans de secours9 – au total 26,4 milliards d’exposition directe de la France et donc une perte potentielle de 13,2 milliards en cas de défaut. Finalement, la « facture grecque » représenterait 30,2 milliards d’euros pour la France.

De la manière dont nous résoudrons le cas grec dépend celle dont nous aborderons les défauts espagnol, portugais et italien.

La justice exigerait que les contribuables européens ne soient pas mis à contribution pour éviter à « nos » banques, à leurs dirigeants, à leurs actionnaires, de payer le prix de leurs propres erreurs – ici, leurs prêts à des gouvernements grecs impécunieux. La France doit refuser de financer ces pertes. C’est la survie de la zone euro qui est en jeu. Car, de la manière dont nous résoudrons le cas grec dépend celle dont nous aborderons les défauts espagnol, portugais et italien. La BCE et les banques centrales nationales ont déjà dans leur bilan 211 milliards d’euros de dettes souveraines risquées (grecques, espagnoles, italiennes, portugaises). S’y additionneront les engagements que devra prendre l’Union européenne en faveur des pays d’Europe du Sud pour éviter leur défaut dans les six prochains mois : pour l’Espagne, le gouvernement de Mariano Rajoy a chiffré ses besoins à 300 milliards d’ici à la fin 2012. Pour la Grèce : entre 60 et 80 milliards. L’Italie : entre 500 et 700 milliards. Total de la somme que devront débourser la BCE ou le FESF dans les six mois sous forme de rachat de dettes publiques ou de prêts : 860 à 1 080 milliards. Le montant final des dettes détenues par le système européen des banques centrales et le FESF sera compris entre 1 071 ( = 860 + 211) et 1 291 ( = 1 080 + 211) milliards. Le bas de la fourchette des pertes à venir (30 % de 1 071) donne environ 330 milliards, le haut de la fourchette (50 % de 1 291), 645 milliards. La contribution française s’élèverait entre 65 et 129 milliards.

On change bien d’échelle par rapport au coût de la seule facture grecque ! Si les pays du « centre » de la zone euro tentent de s’acquitter de telles sommes, la contagion tant redoutée10 de la crise ne manquera pas de survenir. Qui doute que la zone euro sera alors condamnée ?

Beaucoup soulignent l’urgence de construire une (con-)fédération européenne. L’idée, séduisante, a peu de chances de voir le jour prochainement, à moins qu’A. Merkel ne perde les élections de septembre 2013. Dès lors, le seul moyen d’éviter la contagion suppose de refuser de mettre les contribuables du « centre » à contribution, ni pour refinancer les banques centrales, ni pour continuer à prêter, via le FESF ou le MES, des sommes dont on sait qu’elles ne pourront pas être remboursées en totalité. Manque de solidarité ? Au contraire : parce qu’ils sont conditionnels à des plans d’ajustement structurel qui aggravent la récession (et augmentent la dette publique), ces prêts constituent une double peine pour ces pays. La véritable solidarité demande de refuser cet engrenage et de les encourager à faire défaut sur une partie de leur dette le plus tôt possible.

La véritable solidarité demande de les encourager à faire défaut le plus tôt possible.

Recapitaliser la Banque centrale ?

Les défauts des pays « périphériques » pourraient provoquer à leur tour le défaut de la BCE, dont les fonds propres ne sont que de 80 milliards. Mais pour les mêmes raisons, il convient de refuser de la recapitaliser. Elle n’a pas d’autre issue que la création monétaire. Certains objectent que ce serait le pire moyen de sortir l’Europe de l’impasse. La monétisation ne réglera certes pas le problème structurel des déficits de balances commerciales au sein de la zone euro, lié à l’imposition d’une monnaie unique sur une zone non-optimale11 où les critères de Maastricht rendent impossible la résorption des différentiels de compétitivité entre pays. Mais face aux défauts souverains prévisibles (et déjà trop tardifs), elle représente un moindre mal, compte tenu des sommes en jeu et du risque de contagion.

Certes, le financement des pertes de la BCE et des banques centrales par la création monétaire est contraire à la Constitution allemande. Nul doute que la CDU, la CSU bavaroise (démocrates-chrétiens), le FDP (parti libéral allemand) et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe protesteront avec véhémence, voire accuseront la France de contribuer à l’éclatement de la zone. Mais quel sera le bénéfice, pour la France et pour la zone euro, si respecter les traités mène à son tour Paris dans la spirale du surendettement puis des plans d’ajustement structurel ? À terme, la France connaîtrait la sortie de la zone euro et un défaut souverain : la solution actuellement préconisée par la Troïka pour sauver l’euro constitue sa plus sûre condamnation.

Si la France emprunte aujourd’hui à des taux négatifs, c’est que les investisseurs obéissent à des stratégies de diversification de portefeuilles.

On s’étonnera peut-être qu’un scénario aussi noir puisse être envisagé, si la France emprunte aujourd’hui sur les marchés à des taux réels négatifs. Ces derniers ne doivent pas faire illusion : simplement, les investisseurs institutionnels (les fonds de pension notamment) obéissent à des stratégies de diversification de portefeuilles et placent, en moyenne, environ un neuvième de leurs avoirs en titres de dette publique libellés en euro. Or il ne reste qu’un petit nombre de pays, dont fait encore partie la France (été 2012), à qui ces investisseurs sont prêts à prêter « gratuitement ». Reste que la dette publique française atteindra 90 % de son Pib à la fin 2012 (plus de 1 700 milliards). Et une facture entre 100 et 160 milliards pour refinancer ses partenaires lui ferait faire un bond au-delà de 95 % du Pib. Restera-t-elle alors un pays refuge de la zone euro ?

La création monétaire par la BCE serait inflationniste ? D’un montant de 500 à 800 milliards d’euros, cet argent ne sortirait pas du bilan des banques centrales nationales, puisqu’il servirait uniquement à les recapitaliser. Entre décembre 2011 et février 2012, l’opération de refinancement sur trois ans (LTRO) de la BCE a consisté à créer 1 000 milliards d’euros mis à disposition des banques. Environ la moitié a effectivement quitté le bilan de la BCE pour celui des banques de second rang. Or aucune poussée inflationniste n’a été observée. Au contraire, les plans d’ajustement structurel enfoncent le Sud de l’Europe dans la déflation : en Grèce, comme en Catalogne aujourd’hui, le niveau général des prix diminue.

Pour un sursaut démocratique

La France pourrait plaider pour un défaut partiel de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal ; la recapitalisation du système européen des banques centrales par voie de création monétaire ; l’adoption par la Grèce d’une drachme pour ses transactions intra-zone, tout en se maintenant dans la zone euro ; l’articulation de la BCE aux autorités nationales pour la supervision du secteur bancaire ; l’octroi de prêts du MES non conditionnés à des plans d’ajustement structurel.

Les autorités européennes choisiront-elles cette voie ? Peu probable dans les mois qui viennent. En août cependant, la rumeur a couru selon laquelle la BCE envisagerait d’étendre aux États la politique pratiquée en faveur des banques entre décembre 2011 et février 2012. La BCE pourra arguer qu’elle ne fait pas de création monétaire dans la mesure où il s’agirait uniquement de prêts de court terme (trois ans maximum), consentis à des taux plus avantageux que ceux des marchés, et qui devront donc être remboursés rapidement. Mais comme la plupart des banques qui ont emprunté à ce guichet seront incapables de rembourser dans trois ans, la BCE envisage déjà de rouler la dette en accordant un nouveau prêt en 2015 (ou en restructurant le premier). S’il en allait de même pour les États, on pourrait bel et bien parler de création monétaire (augmentation de la masse de monnaie externe en circulation).

La BCE pourra-t-elle passer à l’acte, si la CDU a toujours fait savoir qu’elle considérait ce Rubicon comme infranchissable ? Et si la France ne se montre pas plus audacieuse, dans sa responsabilité de proposer une alternative crédible au dogmatisme suicidaire de la CDU allemande, que ne le laisse présager l’adoption par le gouvernement de François Hollande de la « règle d’or » contre des concessions purement formelles en matière de croissance ? La règle d’or, qui durcit encore les exigences de Maastricht (pourtant violées par tous les pays, Allemagne comprise), impliquera la mise en œuvre de l’austérité budgétaire sans même que la Troïka n’ait besoin d’intervenir ! Une méprise tragique, quand le risque principal qui guette l’Europe ne provient nullement de l’excès de ses dettes publiques (la zone euro est moins endettée que les États-Unis, l’Angleterre ou le Japon) mais de la déflation dans laquelle elle s’enfonce déjà partiellement. Surenchérira-t-on dans l’austérité, et le Pib des pays européens se réduira encore, de même que leurs recettes fiscales, tandis que les dettes publiques continueront d’augmenter. Répétons-le12 : la véritable alternative à l’austérité passe par le lancement d’un vaste programme de transition écologique en Europe.

Fera-t-on entendre raison aux instances qui gouvernent l’Europe ? Plusieurs gouvernements (Irlande, Grèce, Italie) ont déjà été « remplacés » par des équipes « techniques » (issues du milieu de la finance de marchés). Face à ces élites prêtes à passer outre la volonté de leurs citoyens, la voie référendaire peut s’avérer un recours puissant. Et dans différents pays, les propositions en ce sens se succèdent : en Allemagne, en Italie, en Espagne, ou encore en France. Des sursauts démocratiques qui pourraient s’avérer salutaires.



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1 « La dette grecque interroge la zone euro », Projet, n° 315, mars 2010, pp. 72-79.

2 Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Léméac/Actes Sud, 2008.

3 Gaël Giraud, L’illusion financière. Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire, L’Atelier, à paraître à l’automne 2012.

4 Elle réduit leur incertitude d’être remboursé. Une alternative existe : le recours à un mécanisme d’arbitrage, voire la création d’un tribunal international de la dette, qui rendrait plus prévisible le traitement des crises de dette tout en permettant d’octroyer un statut préférentiel à certains créanciers. Cf. Jurgen Kaiser, « Dette : vrais maux et mauvais traitements », Revue Projet, n°327, avril 2012, pp. 5-11.

5 Cf. « Après le krach des dettes publiques, reconstruire », Études, vol. 415/4, octobre 2011, pp. 317-328.

6 Cf. André-Jacques Holbecq, « La monnaie commune, contre l’éclatement de la zone euro », Revue Projet, n°328, juin 2012, pp. 38-44.

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9 11,4 milliards entre 2010 et 2011 puis 15 milliards début 2012 via le FESF.

10 En juillet, Moody’s plaçait pour la première fois l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas sous surveillance négative.

11 En économie, une zone monétaire optimale est une région où il serait avantageux d’instaurer une monnaie unique.

12 G. Giraud, « Dette : que nous réserve 2012 ? », Revue Projet, n°326, février 2012, pp. 79-86 ; G. Giraud et Cécile Renouard, Le facteur 12. Pourquoi il faut plafonner les revenus, Carnets nord, 2012.


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