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L’attraction d’une partie de la jeunesse pour le Front national n’est pas nouvelle. En 2002, 18 % des 18-24 ans avaient déjà donné leur voix à Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle, à l’instar de l’ensemble des votants1. Depuis une quinzaine d’années, ce parti connaît une forte dynamique électorale, qui ne laisse pas en reste les jeunes générations. Et contrairement à bien des idées reçues, ce ne sont pas les électeurs les plus âgés qui donnent leurs suffrages au Front national. Ceux-ci demeurent les plus en retrait de ce type de vote et ce sont toutes les autres classes d’âge, en dessous de 65 ans, qui entretiennent et favorisent la dynamique frontiste. Le vote jeune, lui, a perdu de sa spécificité. Avec, certes, quelques inflexions selon les circonstances de l’offre politique et les contextes électoraux, il suit globalement les réalignements qui opèrent dans l’ensemble du corps électoral. Ce constat invite à nuancer l’attractivité du Front national au sein de la jeunesse. Toutefois, on ne peut éviter de considérer la spécificité de cet attrait, dans le cadre singulier et hautement symbolique du premier vote et des premiers choix politiques.
Interrogés sur leurs intentions de vote lors de l’élection présidentielle de 2017, les « primo-votants » créditent Marine Le Pen de 30 % de leurs voix : un peu plus encore que dans l’ensemble de l’électorat (27 %)2. Ce choix s’enracine dans la capacité qu’a Marine Le Pen de servir d’exutoire à de multiples malaises et demandes de reconnaissance exprimés par la jeunesse (scolarisée ou non). Des attentes plus spécifiques sont visibles de la part de la population masculine (35 % des primo-votants hommes s’apprêteraient à donner leur voix à la candidate frontiste, contre 26 % des femmes), mais aussi des signes évidents de fractures sociales et politiques (37 % des jeunes issus du milieu ouvrier, contre 17 % des jeunes issus des catégories cadres et professions intellectuelles supérieures). L’impact du chômage des jeunes est majeur : 60 % des primo-votants chômeurs ou à la recherche d’un premier emploi sont disposés à voter pour la candidate frontiste (36 % des chômeurs dans le reste de la population). Pour autant, l’attrait électoral de Marine Le Pen touche aussi des segments de la jeunesse moins directement exposés par la crise sociale et économique et les difficultés d’insertion socioprofessionnelle : 27 % des « étudiants » sont aussi tentés par ce débouché politique.
Nombre de raisons ont été évoquées et analysées pour expliquer cette dynamique : crise de la représentation politique et du système partisan, rejet des élites et protestation antisystème, désenchantement et déception politiques, repli protectionniste, souverainisme et peur de la mondialisation, rejet de l’immigration et retour du nationalisme, montée des populismes. Les jeunes comme leurs aînés trouvent dans la situation politique, économique et sociale actuelle, les ferments d’une grogne et d’un mécontentement que le Front national instrumentalise et dont il se fait le porte-voix. Mais certaines raisons invoquées ont une incidence encore plus marquée dans le cas des jeunes générations. J’en pointerai six.
La défiance politique concerne toute la population mais revêt une signification particulière et plus problématique pour des jeunes qui découvrent la politique et y font leurs premiers choix.
La première est la défiance politique. Elle concerne toute la population mais revêt une signification particulière et plus problématique pour des jeunes qui découvrent la politique et y font leurs premiers choix. Dans une période de vif désenchantement, Marine Le Pen se présente comme une figure nouvelle, en rupture par rapport à une classe politique usée et dont on n’attend plus rien. La dénonciation des élites, renforcée par la culture de la dérision au travers de laquelle nombre de jeunes décryptent les informations, fait particulièrement recette. La deuxième raison relève d’un désir de reconnaissance, personnelle mais aussi sociale, plus intense qu’à d’autres âges de la vie : dans un contexte peu favorable à de bonnes conditions d’insertion professionnelle et économique, la candidate du Front national redouble les attentes et mêmes les invectives envers la responsabilité de la société. Elle est habile pour établir une forme d’empathie qui permet de surseoir aux éléments de programme concrets et vient combler les manques et les frustrations de tous ordres. La troisième raison relève de l’incarnation et de la personnalisation de la politique. Marine Le Pen, de par sa personnalité, tranche avec le reste de la classe politique. C’est une femme, ce qui n’est pas négligeable dans la perception positive que peuvent en avoir les jeunes, associée à des qualités telles que le courage, la volonté, l’autorité. Elle est aussi relativement jeune (48 ans) ainsi que nombre des leaders qui l’entourent (Marion Maréchal-Le Pen a 27 ans, Florian Philippot en a 35). La quatrième raison concerne une demande de repères et de repérage. Face à une offre politique décrédibilisée, parfois peu lisible et brouillée, le Front national met en avant des enjeux qui rabattent nombre de problèmes complexes sur une vision manichéenne et simplifiée des conflits qui traversent la société. La cinquième renvoie au changement et à la visée révolutionnaire que Marine Le Pen n’hésite pas à mobiliser, suscitant une espérance radicale de transformation de la société qui est souvent l’apanage de la jeunesse. Enfin, la sixième convoque la perspective d’une alternance politique en appui de cette forte demande de changement et de renouvellement. L’alternative du Front national est d’autant plus séduisante qu’elle redouble la demande d’une alternance politique, non plus entre le camp de la gauche et le camp de la droite, mais celle qui verrait l’arrivée d’une force politique non encore entachée par l’expérience du pouvoir.
1 Cevipof, enquête post-électorale, 2002. Voir Anne Muxel, « La participation politique des jeunes : soubresauts, fractures et ajustements », dans Revue française de science politique, n° 5-6, vol. 52, octobre-décembre 2002, pp. 521-544.
2 Anne Muxel, « L’entrée des primo-votants dans l’arène électorale de la présidentielle 2017 », note 19, vague 3 de « L’enquête électorale française : comprendre 2017 » (Sciences Po/Cevipof), <www.enef.fr/les-notes>, mai 2016.