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Dossier : Extrême droite : écouter, comprendre, agir

Quand bénévoles et SDF évoquent le vote frontiste

© Luca Traversa/Flickr/CC
© Luca Traversa/Flickr/CC
Dans le cadre de notre numéro « Extrême droite : écouter, comprendre, agir », la journaliste Ayann Koudou est partie en reportage dans un centre d’accueil de jour du Secours catholique, à Avignon. Une façon de tendre l’oreille, sans tabou, pour comprendre comment les idées de l’extrême droite sont entendues et comprises par des SDF et les bénévoles qui les accompagnent.

À Avignon, depuis plusieurs mois, les réfugiés, venus de la Corne de l’Afrique ou du Moyen-Orient, sont arrivés. Ils ont trouvé de l’aide auprès du Secours catholique : ici, on offre à qui en a besoin, sans domicile ou isolé, la possibilité de prendre un repas ou une douche, de faire une lessive ou une partie de ping-pong. Et à l’heure de la « crise des migrants », les étrangers sont les bienvenus. Mais cela peut créer des tensions avec les Français en difficulté ou en très grande précarité, éveillant des sentiments nouveaux chez les uns et les autres. Alors, depuis quelques années, selon les bénévoles, nombreux seraient les accueillis français ou d’origine étrangère à être réceptifs au discours du Front national. Certains bénévoles eux-mêmes y seraient sensibles. Ce que confirme l’un d’entre eux : « Je reçois régulièrement des emails militants de la part d’autres bénévoles. Ils contiennent le plus souvent des montages photos appuyés de slogans politiques reprenant les thèses du FN sur l’invasion de la France par les immigrés. » Une pratique qui, selon lui, s’est accélérée après les victoires du FN aux élections municipales de 2014.

Lorsque les accueillis ont fini de se sustenter ou de se détendre, la conversation se noue. Le débat d’aujourd’hui a été organisé pour ma venue, grâce aux bénévoles. D’après l’un d’eux, Christian, retraité, auteur d’une thèse sur la percée du nazisme dans les années 1940, il n’est pas difficile de lancer des discussions politiques ici : « Les personnes en difficulté présentes le matin à l’accueil de jour se sentent concernées par la vie de la cité et elles ont un avis à partager. Nombre d’entre elles votent ».

À peine posée la question du vote frontiste, Albert*1 prend la parole : « Une fois, j’étais dans une rue d’Avignon, quand j’ai vu quatre gros bras, crânes rasés, tomber sur un Maghrébin un peu éméché pour lui taper dessus », raconte cet ancien chef d’entreprise, « je ne suis absolument pas d’accord avec ça ! » « Mais comment peux-tu être certain que c’étaient des électeurs du Front national ? », rebondit un homme d’une cinquantaine d’années, bénévole depuis un an. « Il ne faut pas tout mélanger. » Renaud*, vieux rockeur aux cheveux longs, aujourd’hui à la rue, questionne : « Alors tu penses qu’autour de cette table personne ne vote Front national ? Tu te trompes : moi, depuis un an, je vote FN et je n’en ai pas honte », lance-t-il, presque le poing sur la table. Lorsqu’on creuse un peu, on se rend compte qu’il s’agit plus d’un vote de contestation que d’adhésion : « J’ai commencé lors des élections régionales, lorsqu’on avait le choix entre Estrosi et Maréchal-Le Pen… Et comme l’un ne vaut pas mieux que l’autre, j’ai décidé de voter FN, comme pour mettre un grand coup de pied dans la fourmilière. » Mais si Renaud ose le dire, dans la salle, presque personne ne revendique le vote frontiste. Le thème de la discussion avait été annoncé à l’avance : « Les sympathisants du parti, sans doute plus nombreux, ont préféré ne pas participer », affirme Christian.

C’est au tour d’un bénévole de s’exprimer : « J’ai un ami qui était inscrit sur une liste du Front national. Je sais que, s’il avait été élu, le Secours catholique aurait gardé toutes ses subventions », argue-t-il. « Il faut comprendre les gens : quand des Français attendent des années des logements sociaux et que des étrangers leur passent devant, c’est injuste ! » poursuit-il, un brin gêné par ses propres paroles… qui font bondir Christian : « C’est totalement faux ! », lance-t-il, presque en colère. « J’ai été élu à la Mairie de Paris, on n’a jamais favorisé qui que ce soit pour les logements ! » Cathy, retraitée isolée, livre son analyse : « On dit que les étrangers viennent pour le RSA, mais peut-on vivre avec 500 euros par mois ? » Une autre renchérit : « Le Front national est peut-être plus à l’écoute, mais ça ne veut pas dire qu’il a les réponses. »

Omar, un jeune d’origine maghrébine, à la rue lui aussi, observe la discussion avec amusement. Lui qui, d’après ses camarades, a toujours son mot à dire, reste inhabituellement muet. Mais il n’en pense pas moins : « Ça fait des années qu’on parle du Front national, ils ne gagnent jamais. Ils ne me font pas peur ». Le constat est le même pour Mohammed. Il revient du Maroc, où il passe plusieurs mois dans l’année. Habitué des petits boulots, cela fait quarante ans qu’il vit en France. Le FN ne l’inquiète pas non plus : « S’ils passent et qu’ils ne veulent plus de moi, je partirai », conclut-il, sans la moindre amertume.



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