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À Bussy-Saint-Georges, commune de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, le vote d’extrême droite était de 17 % aux dernières élections régionales, contre 25 % dans les communes alentour. Une des principales explications me semble liée aux religions. Depuis 2012, un dialogue interreligieux très vivant s’est noué à Bussy. L’église Notre-Dame du Val est proche d’une mosquée, de deux pagodes bouddhistes, chinoise et lao. Une synagogue, encore en préfabriqué, doit être construite juste à côté de la mosquée ! Le diocèse va aussi édifier à proximité, avec l’Église protestante unie de France, un centre pastoral pour les jeunes, ainsi qu’une maison des familles. Les liens sont étonnamment fraternels, grâce aux relations de voisinage et à un projet commun, « l’esplanade des religions ». Rien à voir avec un « supermarché des religions » où chacun viendrait bricoler sa religion par syncrétisme. Tous ont appris à se connaître, à s’inviter pour les fêtes, à prier pour les autres communautés. Toutes les religions sont présentes aux grands événements municipaux.
Ces relations fraternelles nous ont permis d’agir ensemble après les attentats. En janvier 2015, le responsable de la mosquée a parlé au nom de tous et a invité les habitants à venir discuter à la mosquée. En novembre 2015, un concert interreligieux pour la paix et la sauvegarde de la planète fut organisé. Rassemblant dans l’église 1 200 personnes de toutes religions, des jeunes en particulier, il était préparé depuis un an, mais a pris alors une dimension symbolique très forte. Le dimanche après l’assassinat du père Jacques Hamel à St-Étienne-du-Rouvray, en juillet 2016, musulmans, juifs, protestants et bouddhistes sont venus à la messe et nous avons vécu un grand moment de recueillement en nous donnant la main, avant de chanter ensemble « L’hymne à la joie », l’hymne européen. Farid, le responsable de la mosquée, a proposé qu’une délégation aille à St-Étienne-du-Rouvray se recueillir et exprimer notre solidarité aux paroissiens et aux musulmans1. Nous avons organisé ensuite, lors des Journées du patrimoine, des portes ouvertes des lieux de culte avec un jeu de piste et la lecture de poèmes pour la paix.
Quand les religions sont unies et interviennent ensemble de façon visible et pacifique dans la vie publique, elles représentent une vraie force sociale.
Quand les religions interviennent ensemble de façon visible et pacifique dans la vie publique, elles représentent une vraie force sociale. Moins soumis à la peur, les habitants peuvent résister aux jugements simplistes. Il y a quelques mois, le préfet, en visite dans notre ville, a voulu rencontrer les responsables des religions pour comprendre comment pouvait se réaliser cette fraternité exemplaire. Dans la conversation, j’ai glissé : « Vous voyez, la laïcité ne doit pas se vivre contre les religions, elle ne doit pas se vivre sans les religions, mais avec elles. Sans ce changement de culture, la cohésion sociale restera fragile. »
Dans le projet du Secours catholique, plusieurs critères sont avancés pour faire vivre cette cohésion sociale dans notre pays. Les institutions, quelles qu’elles soient, ne seront crédibles et légitimes qu’à trois conditions : qu’elles renforcent la capacité d’agir des gens, qu’elles travaillent en partenariat et en réseau et qu’elles prennent en compte la dimension spirituelle de la vie des personnes, croyantes ou non. Ce que nous essayons de vivre à Bussy-Saint-Georges peut être vécu ailleurs, comme cela s’est révélé après l’assassinat du père Hamel. Apprendre aux jeunes à découvrir et cultiver cette dimension spirituelle qu’ils portent en eux, à en parler avec des camarades d’autres convictions, voilà un vrai remède contre les idées de l’extrême droite.
1 Voir les reportages de ces événements sur le site www.notredameduval.fr.