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ASaint-Fons, dans cette banlieue qui jouxte les Minguettes, la synagogue, la mosquée, le temple réformé et l’église Père Chevrier se trouvent dans un même rayon de cent mètres. Je l’ai découvert en y arrivant en 2004. Catholiques et protestants y travaillent ensemble depuis longtemps. Grâce aux amitiés nouées depuis longtemps par Christian Delorme quand il était jeune prêtre, la paroisse avait accepté de prêter des salles pour l’école coranique pendant la construction de la mosquée, et ce dans un environnement de méfiance de la municipalité et d’une partie de la population. Cela avait nécessité en outre une longue discussion en conseil pastoral. Cette attitude positive et courageuse a permis des liens d’amitié et une reconnaissance souvent exprimée par les musulmans vis-à-vis de la paroisse catholique. Avec la synagogue par contre, les contacts étaient rares, sauf dans des relations individuelles. Laïcs et prêtres de la Mission de France, nous souhaitions concrétiser les liens créés par le voisinage et la vie associative (les parents d’élèves). L’occasion nous en fut donnée par la communauté Sant’ Egidio, qui organisait une rencontre interreligieuse à Lyon en septembre 2005. Lors de la mort de Jean Paul II, des amis musulmans sont présents à une veillée de prière en mémoire du pape. Nous parlons de Sant’ Egidio. Abdelkader, le responsable de la mosquée, fait part de son intérêt : « il faudrait associer les juifs. ». Mais il compte sur nous pour les contacter.
Une autre occasion se présente : en juin, une stèle est inaugurée dans une école pour les enfants juifs morts dans les camps. Nous nous retrouvons dans la cour de l’école avec les responsables de la synagogue, l’imam et le maire. Autour du vin d’honneur, l’idée est lancée d’une rencontre interreligieuse à Saint-Fons pendant la rencontre internationale. La mairie prête le hall des fêtes.
Après une première réunion début septembre, la rencontre est organisée en quelques jours. Le Mouvement pour une alternative non-violente nous a aidés à organiser des jeux interactifs permettant aux gens de se connaître et des carrefours sur la paix à vivre dans nos quartiers. Plus de 250 personnes sont présentes, heureuses de se retrouver ou de faire connaissance.
Lors du bilan, les responsables de la synagogue proposent de ne pas en rester là et d’organiser une journée portes ouvertes des quatre lieux de culte : « nous n’avions jamais pensé à ouvrir nos portes, mais la rencontre de septembre nous en a donné l’idée ». Enthousiasme général.
Et voici que survient « la crise ». Début novembre, quelques voitures brûlent. Cette fois, c’est le responsable de la mosquée qui propose d’agir. Nous nous retrouvons rapidement et, en une heure, nous rédigeons un « appel pour la paix dans nos quartiers », dans un langage direct et sans langue de bois : « Aux jeunes qui sont tentés par la violence destructrice, nous disons : la violence n’est pas un langage pour exprimer vos difficultés, elle ne peut aboutir qu’à des impasses et ne donne qu’une image dévalorisante de vous-mêmes. Aux autres jeunes et à toutes les personnes qui subissent les conséquences de ces violences et de cette situation, nous disons notre solidarité et notre compassion. Aux membres de nos communautés, nous disons : méditons le message de nos religions respectives sur la dignité de l’homme, n’entrons pas dans des réactions de rejet et de violence. À tous les habitants de notre ville, nous disons : ne cédons pas aux réflexes de peur : dialoguons ensemble pour comprendre les causes de la situation actuelle de nos banlieues, mobilisons-nous pour une société plus solidaire et pour le mieux-vivre de nos quartiers. Écoutons-nous, écoutons nos jeunes et nos enfants. Prenons nos responsabilités pour construire un avenir plus fraternel. »
Cet appel, signé par les responsables des quatre cultes, est publié dans la presse et lu aux prières du vendredi, du shabbat et du dimanche. Il aura un impact assez fort sur les habitants, y compris les jeunes que je rencontre à cette occasion. Certains me disent d’ailleurs : « C’est bien ce que vous écrivez, mais pourquoi vous n’êtes pas venus parler avec nous avant ? » J’en prends pour mon grade ! Invités à la prière du vendredi avec la responsable de la paroisse réformée, nous gardons en mémoire l’émotion ressentie à la lecture du texte par l’imam, dans la mosquée pleine de fidèles.
Cet événement imprévu renforce les énergies pour préparer la journée portes ouvertes du 12 février 2006. Près de 500 personnes vont déambuler ce jour-là d’un lieu de culte à l’autre. On sent beaucoup de curiosité et de respect. Certains découvrent autrement leurs voisins et parlent religion avec eux pour la première fois. Stupéfaits, nous voyons arriver à l’église un groupe de jeunes filles voilées. Elles vont ensuite à la synagogue. Le soir au journal de France3, une de ces filles dit au journaliste à l’intérieur de la synagogue : « Aujourd’hui, j’ai découvert les juifs, je ne pensais pas qu’ils étaient autant ouverts d’esprit. » Le correspondant de la Croix titrera : « Une journée qui gomme toutes les caricatures » (nous étions en plein dans l’affaire des caricatures du prophète).
À l’issue de la journée, les responsables de la synagogue reconnaissent avoir été « étonnés de toutes les questions que les gens nous ont posées. Cela va nous obliger à approfondir notre propre religion. » Et les responsables de la mosquée d’acquiescer. Ceux-ci, dans l’après midi, sont venus visiter l’église. Nous avons dû trouver un langage adapté pour répondre à leurs questions sur la messe. Ils ont été surpris de voir que nous lisions des textes de la Bible juive avant l’Évangile. Comment pourraient-ils comprendre le cœur de notre foi ? Cela nous a amenés à leur poser en retour des questions plus profondes sur leur foi musulmane.
Depuis lors, un certain nombre d’écoles de la région sont venues visiter nos lieux de culte. D’autres vont le faire dans les mois qui viennent. Les questions directes des enfants et des collégiens renforcent la nécessité d’approfondir chacun notre propre religion pour en parler en vérité. C’est certainement un des fruits de ces rencontres. Un autre fruit est un lien social qui en sort renforcé. Le maire lui-même l’a souligné dans une lettre adressée aux responsables des quatre cultes. Lors d’une audience qu’il nous a accordée, il reconnaissait que la laïcité ne devait pas se vivre contre les religions, ni même sans les religions, mais avec elles.
On dit que les religions peuvent conduire à des « identités meurtrières ». C’est vrai. Mais les communautés religieuses des banlieues peuvent être au contraire un facteur humble de renforcement d’un lien social fragile. C’est du moins ce que nous avons le sentiment de vivre dans cette ville, qui compte le plus fort pourcentage d’allocataires du Rmi dans le Rhône. L’expérience de Saint-Fons peut paraître irénique, pourtant elle n’est pas isolée en région lyonnaise.
Sans être un facteur déterminant dans la résolution des problèmes sociaux que connaissent les banlieues, la coexistence pacifique des religions peut cependant créer un climat plus apaisé pour l’action citoyenne, politique et économique. C’est sur ce terrain que nous sommes attendus.
Dominique Fontaine