Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
« Notre désir est d’aider les enfants, surtout les plus pauvres, à avoir une chance égale aux autres de devenir des citoyens dignes, heureux et réussissant dans la vie, inspirés par un idéal de service du prochain : ce qui dans leur passé, leur a été trop souvent refusé ».
Robert Baden Powell
A Grenoble, dans le quartier de mon enfance, j’ai passé pas mal de temps à traîner car j’ai arrêté l’école assez tôt. La seule chose qu’on me proposait était une formation de jardinier, alors que je n’avais aucune envie d’exercer ce métier. Un jour, un chef scout m’a demandé si je voulais faire de l’animation dans la rue pour les enfants. C’est ainsi que je suis entré dans le mouvement. Et je suis aujourd’hui responsable national au sein du service « Scoutisme pour tous », où je coordonne les différents projets mis en place dans toute la France. Mon parcours me permet de parler de ce que vivent les jeunes venant des « quartiers » et d’évoquer la pertinence de la proposition scoute.
Il est difficile pour un enfant issu d’une famille d’origine culturelle différente de se positionner entre sa famille et la société. Je suis d’origine algérienne. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les valeurs et les manières de vivre dans ma famille ne sont pas toujours les mêmes que celles partagées communément dans leur environnement. Pour moi, l’école est emblématique de ce décalage ! Enfant, j’ai vécu entre les exigences de l’école et celles de mes parents. À l’école, l’objectif était d’apprendre à travailler, de faire de son mieux. À la maison, l’objectif était d’avoir des bonnes notes. Si je n’avais pas de bonnes notes, j’avais une correction. Dans ces conditions, les enfants se donnent une priorité et ramènent des bonnes notes, quitte à tricher. Mais on risque d’arriver vite dans une logique de l’échec : échec scolaire, donc échec vis-à-vis de la société française, et échec vis-à-vis de la culture familiale.
Pour moi, c’est parce que les jeunes se trouvent en porte-à-faux entre la société française et notre culture familiale que se crée une culture alternative, la culture de quartier. C’est une société de jeunes conçue par des jeunes. La loi du plus fort y est la règle et la projection dans l’avenir n’existe pas. Il est d’ailleurs facile de constater qu’un certain nombre d’enfants passent beaucoup plus de temps dans la rue que dans leur famille. On aurait tort de penser que les parents sont tous démissionnaires. Il faut comprendre que, bien souvent, dans la culture d’origine de ces familles issues de l’immigration, la rue est un espace de vie à part entière.
Si on veut que ces enfants rencontrent le scoutisme, il faut que les chefs scouts aient l’audace d’aller à la rencontre des jeunes sur leur terrain : dans la rue. Il est nécessaire d’adapter la méthode d’implantation traditionnelle utilisée dans le mouvement. On ne fera jamais rêver des jeunes de quartier en leur proposant de se retrouver dans les locaux du groupe scout !
Comment croiser culture familiale des jeunes en monde populaire, microculture de quartier et valeurs communément partagées dans notre société ? Pour en avoir bénéficié et pour œuvrer aujourd’hui à son développement, j’ai la conviction que le scoutisme peut être un tel carrefour. En effet, la pédagogie n’a plus à faire la preuve de sa capacité d’inculturation. La présence du mouvement scout dans plus de 150 pays du monde en est la plus belle démonstration.
Reste à proposer concrètement aux jeunes des activités du scoutisme. Une fois les chefs scouts présents et acceptés dans le quartier, les enfants peuvent vivre « l’aventure » 1. C’est là qu’on se rappelle que, quelle que soit son origine sociale ou culturelle, un enfant reste un enfant et l’imaginaire est un outil idéal pour mettre des enfants en projet. Tout l’enjeu pour eux est de passer d’une logique de « bizness » à une logique de projet. Et pour cela, le scoutisme s’adapte particulièrement bien à leurs envies et aux contraintes du quartier. Les enfants se passionnent pour le foot ? Alors les scouts vont partir de cette passion pour proposer une activité de camp originale ! Lors d’un camp en Bourgogne en 2005, les enfants ont ainsi fabriqué un véritable terrain de foot au milieu d’un champ. Il a fallu défricher le terrain, le délimiter, construire des buts et des tribunes en bois : un vrai projet scout !
C’est à partir de tels événements que l’enfant grandit dans le scoutisme. Il découvre qu’il n’est plus obligé d’imposer sa loi. Comme tous les jeunes qui participent aux animations, il apprend qu’il doit respecter des règles simples pour jouer et faire équipe : ne pas s’insulter, se respecter, rester poli… Le scoutisme éduque à la Loi : toutes ces règles, l’enfant est invité à les produire avec ses copains en rédigeant une Charte de vie.
L’action des scouts dans les quartiers, c’est aussi de vivre la mixité culturelle et sociale. Je suis toujours frappé du décalage entre les chefs scouts et les animateurs issus des quartiers quand je participe aux animations ou visite les camps d’été. Le chef scout fait directement confiance, alors que c’est suspect pour l’animateur de quartier. Par exemple, lors de mon premier camp scout, j’ai été sidéré de voir les chefs et cheftaines laisser leurs affaires en vue. Pour moi, c’était fondamental de ne pas laisser traîner ses affaires car trop risqué : dans la rue, on m’a appris que ce qui n’est à personne est à moi. Le décalage, lorsqu’un chef scout rencontre un animateur de quartier, vient de là ! À la méfiance, au besoin de s’affirmer, au réflexe de repli sur son groupe ou son territoire, le scoutisme préfère la confiance, le dépassement de soi, la fierté.
En relisant mon expérience, je ne peux pas m’empêcher de penser à la facilité avec laquelle le scoutisme m’a proposé d’être responsable. Quand on est venu me chercher sur le quartier pour être animateur, on m’a fait confiance. J’ai été responsabilisé dès le début avec une proposition de formation. Mon Bafa chez les scouts, c’était un peu la porte d’entrée pour mes projets d’adulte. Finalement, en partant de ce que j’ai appris dans le quartier et par le scoutisme, je suis entré dans une véritable logique de projet personnel.
Bien sûr, le scoutisme n’est pas la solution miracle à tous les problèmes des quartiers sensibles. En France, le mouvement a cependant fait la preuve que le scoutisme a une vraie capacité d’adaptation à la situation particulière de chaque quartier avec un objectif simple : tout enfant, tout jeune qui souhaite faire du scoutisme et développer son projet personnel doit pouvoir le faire.
1 / . L’aventure est un projet construit par et pour les enfants autour d’un imaginaire (une histoire ou un thème qui sert de support aux animations).