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Dossier : Banlieues, cités dans la cité

Banlieues, cités dans la Cité (introduction)


Cités, dans la cité ! Elles n’y seraient plus vraiment ? Quand une vague de violence enflamme toute une partie des banlieues, l’opinion s’interroge sur la place qu’elles occupent : des zones de non-droit ? Des ghettos ? Des grands ensembles dont les habitants se voient barrées les routes qui permettent de partager une même cité : celles d’un parcours de formation, d’un parcours résidentiel, d’un parcours d’utilité dans l’emploi, d’engagement citoyen au-delà des appartenances communautaires ?

Au fil du temps, les cités des périphéries ont rassemblé une population cumulant les difficultés, issue surtout d’immigrations diverses. Elles apparaissent comme un monde « à part » : à part dans l’espace, à part dans les conditions de vie, à part dans les attentes et les possibilités de mobilité sociale. Mais la société n'a-t-elle pas renvoyé à la périphérie la réponse à des problèmes cruciaux, l’urgence de la construction de logements, l’immigration ? Les problèmes ont été externalisés.

Les cités ont répondu à des schémas d’aménagement, certes efficaces voire généreux, mais conçus de façon déliée par rapport à la ville. On les a installées là où il y avait de la place, on a fait une cité distendue, sous la contrainte d’un foncier mal maîtrisé. Les tours ont traduit des choix de densités ponctuelles, faute de chercher la densité d’ensemble d’un vrai quartier dans son environnement, avec des services et des commerces. Au lieu de la ville, on a choisi des Zac. Et dans une perspective moderne, qui privilégie l’individualisme de consommation et de mobilité (l’automobile), c’est un espace divisé que l’on produit.

C’est bien d’un manque de liaison que souffrent les cités. Et il ne suffira pas d’ouvrir des axes de circulation, de casser des barrières, pour retisser des liens qui se sont brisés.

On parle de conjuguer rénovation urbaine et développement social dans les quartiers. Le fait-on vraiment ? Le premier lien est celui que les habitants nouent eux-mêmes entre eux. Ils n’ont pas attendu qu’on mette en route des dispositifs publics pour le faire vivre ! Mais compte-t-on sur celui-ci pour bâtir le vivre ensemble dans la cité ? Les initiatives associatives, les solidarités urbaines, les expressions de citoyenneté sont multiples dans les cités, plus peut-être que dans les centres ville ! Mais notre société libérale et républicaine demeure méfiante à leur égard. Elle a créé de grands ensembles, mais elle craint les dérives du vivre ensemble – elles existent –, sans valoriser ni soutenir les conditions d’une inventivité et d’une solidarité.

Un groupe de jeunes au bas des immeubles peut être une bande, mais il peut être aussi un arbre à palabres, où la reconnaissance réciproque sera porteuse de projets, si elle est accompagnée. Une association d’immigrés peut être un lieu de repli, mais aussi une aide dans un itinéraire pour se situer dans la société avec ses racines, et choisir, à partir de là, de nouer d’autres liens.

Une association de quartier peut se limiter à la revendication, mais dans la négociation elle peut être aussi porteuse de suggestions pour un autre aménagement. C’est à partir de liens de proximité, non plus subis ni imposés mais vécus comme des choix que la participation à la société est heureuse et féconde.

Ils sont l’occasion de valeurs partagées, d’actions, d’itinéraires. La citoyenneté est émancipation mais aussi reconnaissance, lorsque l’on sait que l’on compte pour d’autres.

Mais cette citoyenneté est souvent impossible parce que la première liaison qui est atteinte est celle avec soi-même. Pour les jeunes des quartiers, quand l’avenir vers l’emploi est fermé, quand il se sentent déclassés dans l’orientation qu’on leur propose, quand au collège eux-mêmes et leurs parents se perdent dans les arcanes d’un système éducatif dont ils ne possèdent pas les clés, quand leurs codes sont en complet décalage, quand ils doivent vivre entre plusieurs cultures, on mesure combien l’espace est étroit pour se construire une identité inévitablement fragile. On somme les habitants des cités de banlieue d’être des citoyens. Mais cette citoyenneté est pour eux bien abstraite ! Elle supposerait d’être adossée au socle du respect redonné à eux-mêmes, parce qu’ils sauraient que les droits et les devoirs de chacun ne sont pas de simples mots, mais s’apprennent dans la place réellement donnée pour les exercer.

Il est vrai qu’il y a des irresponsabilités, des incivilités. On casse par plaisir, par défi. Mais le rappel de la loi ne se fera pas par une simple imposition, par la répression. La découverte de règles partagées passe par un apprentissage qui permet d’échapper à un autisme devant l’arbitraire et à l’opacité des institutions. Ce n’est pas pour rien si la requête de respect est tellement présente dans la bouche des jeunes.

La liaison des cités à la Cité est alors l’exigence qui conforte les deux premiers liens, à soi-même et dans la proximité (associative, de voisinage, culturelle…). Ce qui est vécu dans un quartier s’inscrit dans une société à laquelle il importe de participer, où il importe d’être représenté pour orienter des choix publics. Le lien renoué est la reconnaissance d’une capacité, d’une contribution à une construction collective, d’une fécondité pour d’autres.

Des liens fragiles demeurent, qu’il est urgent de conforter, si l’on veut éviter que l’on se raccroche à d’autres, plus tentants : la rigidité d’une identité refuge, l’appartenance imposée, un rapport aux autres qui n’est que subi. Relier les cités demande d’agir dans les trois sphères, pas seulement sur l’une d’entre elles, pas seulement par l’accompagnement des individus, pas seulement par l’écoute des groupes et des communautés, pas seulement par des contrats d’engagement citoyen.

Ces trois registres se mêlent dans les trois domaines abordés dans les trois parties de ce numéro : quelle urbanité, quelles institutions, quelle représentation de soi avec les autres ?

Rénover des quartiers, c’est travailler à redonner un espace aux habitants pour se construire eux-mêmes, pour permettre un développement social qui débouche sur une ouverture de la Cité.

Refuser les discriminations, c’est vouloir que chacun puisse mettre en œuvre ses capacités par la formation et l’emploi… Des capacités qui seront éprouvées mais aussi estimées, et qui feront découvrir réellement une fécondité possible dans la société.

Donner la parole aux gens des cités pour interpréter leurs itinéraires, leurs expériences, avec le soutien de relais actifs sur le terrain, c’est faire émerger de vrais représentants pour que cette parole soit audible dans le débat public. Faisons un rêve ! Que les cités ne soient plus la périphérie de nos villes, mais le creuset de la Cité de demain.

Bertrand Cassaigne


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