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Dossier : Banlieues, cités dans la cité

Parcours d'obstacles à l'embauche


Table ronde avec Ommar Benfaïd, Secrétaire confédéral Cfdt chargé de l’immigration et des libertés, Mustapha Bouras président du Cefir, association de Dunkerque, Inès Minin présidente de la Joc et Hughes Challan Belval, administrateur de l’association « Nos quartiers ont des talents » et du Medef 93.

Ommar Benfaïd

Face aux inégalités de traitement devant l’emploi, il y a urgence. Les organisations syndicales sont appelées à faire preuve d’inventivité pour mobiliser leurs partenaires du monde du travail.

Je voudrais rendre compte modestement d’une douzaine d’années de mobilisation de la Cfdt autour de la question des inégalités à l’embauche. Dans les années 90, nous constations que les équipes syndicales, largement mobilisées sur les droits de l’homme et le racisme, éprouvaient des difficultés à le faire à propos des inégalités liées aux origines. La confédération s’est alors préoccupée de procurer aux équipes syndicales des outils sur ce problème. Une recherche/action est lancée alors avec le Cadis 1. Le racisme est présent dans le monde du travail, qui n’est pas à l’abri des phénomènes de discrimination présents dans la société. Mais il ne s’agit pas des formes classiques de racisme. Les discriminations ne sont pas forcément attribuables à une idéologie, ni exclusivement au comportement de l’employeur. Elles nécessitent aussi une certaine forme de « tolérance » de la part des salariés. Quand on en arrive à trouver une entreprise de 400 salariés où il n’y a aucune personne d’origine étrangère, cette situation est le fait d’une responsabilité collective. La Cfdt s’est interrogée sur des réponses concrètes qui mettent en mouvement l’ensemble des acteurs pour créer une nouvelle dynamique. Notre première démarche est de libérer la parole pour permettre l’émergence des questions et des problèmes à résoudre. Dans le traitement des discriminations, on a tort d’enfermer les gens dans des catégories auxquelles on croit qu’elles appartiennent. En tant qu’organisation syndicale, notre rôle n’est pas de faire entrer Mohammed dans l’entreprise, mais de veiller à ce que lui, ou François ou Sarah, ne rencontrent pas d’obstacle pour y accéder. Les politiques publiques multiplient les genres d’action dans tous les sens et on se retrouve avec de la gestion des publics au lieu d’une politique de levée des obstacles à l’émancipation et à l’accès au droit commun. Mais de telles actions pour lever les obstacles ne pourront se faire qu’à un échelon local et non national et virtuel à travers des recettes type CV anonyme. Ce qu’il faut, c’est aborder la place de « l’autre », « l’étranger » d’une autre manière, et sortir de notre frilosité.

La question du travail, pour une organisation syndicale, concerne aussi bien l’accès à l’emploi que l’évolution professionnelle ou la formation. On rencontre ici plusieurs sortes d’obstacles, mais il est fondamental pour mener des actions efficaces d’éviter la confusion entre eux :

Le premier vient de l’ensemble des philosophies excluantes (sexisme, racisme, homophobie…). Ces expressions idéologiques aboutissent à l’exclusion de personnes de façon affichée, visible.

Le deuxième type de difficultés est davantage une conséquence. Se présentent sur le marché du travail des personnes qui, dans leur parcours, ont déjà rencontré des discriminations. Au moment de présenter leur candidature, elles ne sont donc pas forcément employables par rapport au poste qui leur est offert. Le reconnaître, ce n’est pas nier le côté discriminatoire de leur parcours antérieur. Nous avons donc une responsabilité pour intervenir et rééquilibrer les choses. Tout cela relève de l’égalité des chances.

Le troisième type d’obstacle concerne l’égalité de traitement. Toutes choses égales par ailleurs, certains diplômés Bac + 4 et plus se heurtent à des barrières qui sont bien de l’ordre des discriminations systémiques. Pour la Cfdt, cela relève d’un travail particulier autour de l’égalité de traitement : l’entreprise a l’habitude de recruter dans telle ou telle école, de sélectionner des personnes en fonction de critères. Il y a des expériences, notamment dans le service public de l’emploi, en matière de recrutement sur tests, sur simulation, sur habileté, qui révèlent les écarts entre un recrutement traditionnel et un recrutement dans lequel on objectivise les compétences dont on a besoin.

À ces trois types d’obstacles à l’égalité au travail, il existe trois modes de réponse complètement différents, hélas souvent mélangés. On propose à des personnes qui n’ont aucune difficulté intrinsèque particulière de les aider et parfois on ne propose rien à des personnes en butte à des « déficits d’employabilité ». La confusion est complète : les politiques s’adressent à des publics en difficulté d’accès à l’emploi qui sont, soit surdiplômés, soit sous-diplômés, et on ne sait plus de qui on parle véritablement.

Il n’y a pas 36 manières de traiter le racisme. Certes, c’est un problème que l’on rencontre peu dans l’entreprise sous une forme visible, explicite. Pendant très longtemps, le nombre d’affaires venues en justice chaque année était de quatre en moyenne. Les chiffres ont augmenté ces derniers temps. Le phénomène est grave, mais ce n’est pas, quantitativement, le cœur de l’activité en matière de discrimination. En cas de racisme, on dispose d’un arsenal juridique bien constitué, d’une sensibilité assez claire dans la société française, le monde syndical et le monde du travail face à ces questions.

Sur l’égalité des chances, il y va de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Il s’agit de trouver une articulation avec d’autres partenaires parce que cela relève aussi de la formation, de l’éducation, de la vie dans la cité. Il y a un ensemble d’actions à mener en partenariat mais qui reposent sur la mobilisation, pas sur la pression. Pour être efficace, il y faut un vrai volontarisme, qui permet d’aboutir à des conclusions sur un territoire dans la proximité.

L’égalité de traitement est à notre sens la question la plus difficile, sur laquelle s’est penché l’Accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise. Comment travailler, à travers les institutions et en mobilisant tous les partenaires sociaux, à la déconstruction des processus de recrutement ? Il faudra maintenir une veille permanente sur les discriminations raciales, qui ont été considérées comme une priorité en raison de l’absence de traitement de cette thématique dans les négociations précédentes, sans nier pour autant les autres inégalités : on peut très bien, à partir de discriminations raciales, faire émerger et traiter des questions qui relèvent d’autres discriminations. À la Cfdt, nous voulons utiliser l’accord comme un levier, et annoncer un objectif de 1000 accords pour l’égalité : la transformation passera par la mise en mouvement. Au-delà de la lettre de l’accord, importe aussi la manière dont on s’oblige les uns et les autres pour mieux maîtriser le sujet. Cela s’est passé au niveau national et interprofessionnel, il n’y a pas de raison que cela ne se passe pas dans les entreprises. Plusieurs de ces accords ont été signés (chez Peugeot, chez Axa…), qui restent imparfaits mais constituent une base sérieuse pour qu’on s’implique dans les entreprises. Ces avancées doivent reposer, à notre sens, sur une déclinaison territoriale ou de proximité, afin de concilier les problématiques d’emploi avec les intermédiaires et les services publics de l’emploi, de s’appuyer sur des diagnostics et de comparer la situation de sa propre entreprise avec l’environnement professionnel ou territorial.

Mustapha Bouras

Une action associative autour de trois axes : éducation et communication interculturelle, pépinière de créateurs d’entreprises, valorisation de l’autre par le co-développement.

Venu de l’émigration, j’ai toujours privilégié le travail sur le terrain. Pour cela, j’ai bénéficié de trois chances personnelles. La première c’est d’avoir compris très vite grâce à la rencontre d’une religieuse, l’importance de l’action associative. L’association Rencontre, devenue Cefir (Centre d’Éducation et de Formation Interculturel Rencontre), a été lancée il y a 30 ans. La deuxième est que j’avais émigré à Dunkerque, chez les gens du Nord, très travailleurs. La troisième est d’avoir été amené à collaborer avec des hommes et des femmes dans une école d’ingénieurs, l’Icam de Lille, qui m’ont appris à faire et à finir.

Aborder la question des discriminations à partir d’indicateurs de gestion publique ou privée de celles-ci, me gêne. J’ai baigné dans une culture islamo-chrétienne, qui valorise une démarche d’humanité et de charité. Les nombreuses discriminations touchent des gens qui sont uniques. On ne peut « formater » les douleurs personnelles. Ma manière de lutter contre la discrimination faite à des gens qui sont pauvres, c’est une démarche humaine normale. Je ne vois pas pourquoi on en est arrivé à faire des lois pour officialiser la discrimination. Après les Trente Glorieuses, on a eu la lutte contre l’exclusion et maintenant la lutte contre la discrimination. Quelle vision du développement ! Je suis convaincu que l’émergence de leaders économiques et sociaux permettra de régler ces tensions discriminatoires.

Pour le moment, on construit des réseaux plutôt sur la pauvreté et les difficultés, mais il faut inventer une ingénierie de mise en réseau des réussites des jeunes issus de l’immigration. Eux-mêmes, lorsqu’ils veulent monter un orchestre, ne se valorisent pas. Trouver du travail sur un marché de l’emploi qui a une dimension mondialisée, c’est plus difficile, les repères changent. Comment contribuer à les aider ?

Parmi les projets lancés par le Cefir, il y a d’abord « Cré’action ». De plus en plus de jeunes sont diplômés (bac + 4, voire + 6…) et représentent une richesse humaine inemployée : c’est un gâchis. Les années passent et le RMI reste le RMI, le chômeur reste chômeur. L’expérience de Cré’action est financée par le Programme d’initiative communautaire Equal. Fils d’un petit patron algérien, je suis plutôt porté sur l’entreprise et j’essaie d’aider à ce que vive une culture d’entreprise, sans qu’il y ait à l’interpréter idéologiquement (« patronat », etc.). Nous embauchons avec un petit salaire, dans une sorte de « nursery », des gens qui ont des idées. Notre stratégie est celle d’un accompagnement pour les aider à monter des projets spécifiques. Cela ne se fait pas en deux ou trois mois. Toute une équipe accompagne la création et la reprise d’entreprise dans le cadre de notre centre de formation. Depuis six ans, sur dix personnes que nous prenons en pépinière, six ou sept réussissent.

La deuxième expérience dont je veux parler pour lutter contre les discriminations, c’est la communication. Louise La Fay, sœur de l’Assomption, qui m’a interpellé il y a 35 ans, parlait à des femmes arabes en arabe pour leur donner des explications (c’était l’époque des regroupements familiaux à Dunkerque). Elle m’a sensibilisé à ce fait qu’il faut comprendre les gens pour les aider et il faut aimer quelqu’un pour le comprendre. L’enseignement de la langue arabe, la connaissance de la culture musulmane (Avicenne, Averroès, Omar Khayyam, Ibn Arabi…) sont plus que nécessaires. Or il y a une carence de connaissances entre les peuples (même quand on a un haut niveau d’études), qui entraîne un défaut de dialogue des cultures. Notre association a accompli un travail de communication interculturelle et elle a pris le nom de Centre d’éducation et de formation interculturelles. Une radio a été créée, qui émet en arabe à Dunkerque, mais en flamand aussi. Une revue est publiée et nous éditons un certain nombre d’informations sur toutes les cultures. Il y a vingt ans, la colonie la plus importante sur les chantiers était portugaise. Depuis, nous avons réalisé des dossiers sur l’Algérie, ou sur la ville de Fès au Maroc. Le travail de terrain passe par un travail éducatif.

Notre troisième action est une manière de valoriser l’autre. Il faut discuter, tendre la main et se comprendre. Et cela concerne à la fois celui qui vient et celui qui reçoit. Les deux doivent faire un effort de compréhension. Une dernière expérience, que je considère comme la plus importante, concerne les jeunes immigrés du Maghreb. Sur le plan du développement macroéconomique, il y a d’un côté de la Méditerranée un manque d’encadrement et, de l’autre, un problème de chômage. Il faut que les pouvoirs publics, de part et d’autre, se décident à coopérer ensemble à ce que l’on appelle le co-développement. Il y a tellement de choses à faire de l’autre côté qu’il faut les aider à se développer en bénéficiant du soutien des Français d’origine maghrébine ; cela pourra même éviter à certains d’immigrer. Concrètement, le Cefir a financé la création d’une maison de l’Euro-Méditerranée dans la médina de Fès, et nous sommes en négociation pour une expérience similaire en Algérie, à Tiaret.

Notre manière de faire, c’est d’avoir d’abord un projet associatif – de rencontre –, ensuite de s’engager sur le terrain, et d’être dans une dynamique territoriale et non pas de se noyer dans des dispositifs ou des démarches venant « d’en haut ».

Inès Minin

Montrer aux jeunes que l’injustice du chômage n’est pas une fatalité : eux-mêmes peuvent se mobiliser. La Joc a mis en route une dynamique en proposant une Charte pour l’emploi des jeunes.

En janvier 2006, 29 % des demandeurs d’emploi en France se sentaient victimes de discriminations, selon les résultats de l’enquête Joc/CSA réalisée auprès de 31000 jeunes. En Seine-Saint-Denis, le chiffre est de 57 %. Ces discriminations se manifestent à l’embauche, lors de l’entretien, ou face au CV, en raison de la couleur de peau, de l’adresse, du sexe ou de l’âge. Elles touchent, sans distinction, diplômés et non diplômés. Certains diront que « c’est moins qu’on ne croyait ». Pour nous, jocistes, c’est encore trop ! En effet, depuis deux ans la Joc lance sa campagne nationale « Emploi : Atout Jeunes ». Les jeunes éprouvent comme une fatalité cette injustice récurrente. Montrés du doigt, ils doivent se prouver à eux-mêmes et à la société qu’ils sont capables de réussir. Ils ne doivent pas rester uniquement victimes. Le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et sur la société dans laquelle ils vivent est très important pour avancer. Mais ce regard est fonction de celui des autres. Ils ont besoin d’un réseau, d’un parrainage pour les soutenir dans leur effort d’insertion. Un exemple ? Patrick, en recherche d’emploi dans la restauration, dispose d’un bon CV : plusieurs stages dans des restaurants divers attestent de ses capacités et de ses compétences. Malheureusement, il habite Clichy-sous-Bois et, après les émeutes de l’automne 2005, il lui est difficile d’obtenir un entretien, sauf chez Mac Do. Nous lui avions proposé un test : mettre sur son CV l’adresse de la Joc, à Courbevoie. Et, de fait, la situation s’est débloquée et il a pu obtenir d’autres entretiens. Comment lui expliquer qu’il s’agit juste d’une coïncidence ? Il y a aussi le témoignage de ce jeune dont le père est cadre. Arrivé tôt un matin dans son entreprise, cet homme était seul pour accueillir un client et celui-ci l’a pris pour l’agent d’entretien des surfaces. Pour ces jeunes, une telle réaction est le signe des difficultés auxquelles ils seront eux-mêmes confrontés : ils devront faire plus d’efforts que d’autres pour réussir par les circuits normaux.

À la Joc, on croit au potentiel de chacun. « Chaque jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde car il est fils de Dieu ». Avec lui/elle, on veut construire l’homme ou la femme en devenir. Cela passe par un travail pour lui redonner confiance en ses capacités, le sortir de la victimisation, et l’aider à prendre conscience de ses capacités, ses compétences et à en développer de nouvelles avec lui. C’est un apprentissage avec lui de longue haleine qui remet les jeunes en route et leur permet de dépasser les conditions dans lesquelles la société les enferme. Un jeune qui vit dans une banlieue difficile voit, autour de lui, ses copains qui n’ont pas fait beaucoup d’études, les parents non plus. Ils ne peuvent l’aider à aller loin dans l’enseignement public ou privé : payer 6000 € par an pour poursuivre des études est problématique. À un moment, il ne pourra compter que sur lui-même. Et s’ils s’en sortent malgré cela, ils resteront ceux qui auront le plus de chance d’être victime du chômage.

Pour lutter contre cette injustice, la Joc offre à ces jeunes de se mettre en relation avec un réseau de jeunes, d’adultes, d’associations, de leur faire découvrir leurs droits et les dispositifs existants. Ils vont ainsi rencontrer élus et entrepreneurs, et obtenir de nouvelles possibilités pour leur vie à travers la découverte, le dialogue, l’action et la mobilisation. Car trop de jeunes restent démunis face aux blocages auxquels ils se heurtent parce qu’il n’y a personne autour d’eux pour les aider à rebondir. Selon notre enquête, 80 % d’entre eux estiment en 2006 que la formation scolaire doit leur faire connaître leurs droits en tant que citoyen et travailleur et 55 % disent regretter leur choix d’orientation, jugeant qu’ils ont été mal conseillés ou mal informés. Ils ne connaissent ni leurs droits, ni les structures (comme la Halde) ni les dispositifs d’insertion, et n’en profitent pas.

Lors des États généraux pour l’emploi des jeunes organisés en septembre 2006, les jeunes se sont engagés à faire vivre la Charte de la diversité, charte proposée par le gouvernement et le Medef. Cette charte engage les entreprises signataires à refléter la diversité culturelle et ethnique de la société française dans leurs effectifs, aux différents niveaux de qualification. Plus de 260 entreprises l’ont signée. Mais comment le savoir, comment alerter le public et les jeunes ? Cette Charte devrait être visible dans les Anpe et les Missions locales, pour que les jeunes demandeurs d’emploi puissent la faire appliquer en interpellant les entreprises signataires qui ne la respectent pas. Lors de ces mêmes États généraux, les jeunes présents ont voté une Charte pour l’emploi des jeunes qui appelle à se mettre tous ensemble au travail : jeunes, élus, employeurs, société civile. Pendant la première année de notre campagne, les jeunes ont fait l’expérience que c’était possible au travers de tables rondes partout en France, qui ont réuni localement des responsables syndicaux, des jeunes, des élus, des employeurs. Elles ont permis de mettre en commun les idées, les moyens, même petits, pour avancer. Des jeunes ont découvert ou redécouvert le sens de se syndiquer, de rencontrer des associations qui parlent des discriminations, etc.

Il faut aussi changer le regard que porte la société sur la jeunesse. Dans une entreprise, un jeune qui arrive peut avoir besoin d’être accompagné pour trouver sa place. Ce n’est pas en faire un assisté, mais c’est l’aider à devenir autonome, à prendre toute son envergure et à pouvoir reproduire ce geste pour ceux qui arriveront ensuite. C’est le message que veulent faire passer les jeunes aujourd’hui, ils sont prêts à prendre des responsabilités, à s’investir, à participer à la construction de cette société mais pour cela ils ont besoin qu’on leur fasse confiance et qu’on leur donne les moyens de prendre toute leur place.

À la Joc, les jeunes sont responsabilisés à tous les niveaux et invités à réfléchir sur leur propre attitude. Sur les questions de discrimination et de racisme, l’an dernier, la Joc a réalisé un kit pour accompagner la réflexion des jeunes : que dit la loi sur le racisme, et que faire ? Quelles sont les associations qui agissent contre le racisme et que proposent-elles ? Que faut-il changer dans nos attitudes, nos blagues ?

Plusieurs des réponses avancées dernièrement en France, celle du CV anonyme, par exemple, ont fait peur aux jeunes. Ils posent la question suivante : « Cela n’équivaut-il pas à accepter une situation injuste, que la société tente de contourner par ce biais ? » Nous ne sommes pas d’accord avec cette proposition parce que cela remet en cause les valeurs d’égalité et de fraternité de la République. C’est comme un aveu de renoncement à les défendre. De même, la surmédiatisation des jeunes de quartier qui s’en sont sortis, après les émeutes des banlieues, renvoie une image étrange : n’est-on pas en train de pointer du doigt ceux qui ne réussiront pas en sous-entendant qu’ils seraient feignants ? Quelle France construit-on ainsi ? Quelle société française sommes-nous en train de créer ?

Hughes Challan Belval

Très diplômés, ils sont pourtant ignorés des entreprises qui pourraient les recruter ; des jeunes issus de l’immigration sont parrainés et soutenus grâce à des initiatives comme celles de l’association Nos quartiers ont des talents.

Les Medef territoriaux, très proches des problèmes opérationnels des entreprises, agissent sur le terrain, alors que l’organisation patonale aborde plus globalement les problèmes de société et des entreprises. Je suis administrateur trésorier du Medef 93, présidé par Yazid Chir, issu de l’immigration. C’est le seul président d’un Medef territorial dans ce cas. Laurence Parisot, qui fait de la diversité un axe fort de son action, le cite souvent comme exemple.

L’équipe du Medef de Seine-Saint-Denis est confrontée bien sûr aux problèmes de logement, de sécurité, d’emploi. Nous avons cherché à y apporter quelques réponses. Pour le logement et la sécurité, il nous semble important de dépasser les coupures avec les habitants des villes dans lesquelles les entreprises sont installées. Ainsi, nous avons pris des initiatives pour permettre aux jeunes de connaître les entreprises, par exemple en organisant des matchs de foot équipes de jeunes des quartiers contre équipes des entreprises (maintenant organisé avec le mythique « Red Star » installé à Saint-Ouen) ; le pot, offert après le match dans une entreprise, est l’occasion de montrer aux jeunes ce qu’est une entreprise autrement que comme un immeuble en verre, totalement inconnu. Grandes et petites entreprises ont participé à cette action (l’Oréal, Manpower et Danone par exemple, qui sont présents sur notre territoire).

Pour l’emploi, nous considérons que la réussite de la mixité sera là quand les cadres et les recruteurs seront eux-mêmes issus de l’immigration. Nous avons souhaité donner aux jeunes diplômés (Bac + 4 et plus) pour lesquels il n’existe aucun dispositif (car ils n’auraient pas de problèmes du fait de leurs diplômes !) la chance de trouver un premier emploi correspondant à leurs compétences. L’an dernier, avec nos propres moyens, nous avons réussi à mettre en relation avec l’ensemble des entreprises de notre réseau, 200 jeunes des quartiers populaires, qui s’engageaient à aller au bout de ce qu’on leur demandait : arriver à l’heure, aller aux réunions auxquelles ils sont conviés, respecter les codes de l’entreprise...

Une telle opération se déroule sur toute une année scolaire. De son côté, chaque entreprise participante essaie de comprendre les codes des jeunes et s’engage, pour tout poste ouvert selon le diplôme correspondant, à recevoir le jeune pour un entretien. Ensuite, que le meilleur gagne ! En parallèle, nous avons mis en place une réunion mensuelle de coaching, afin d’aider les jeunes à ne pas rester repliés sur eux-mêmes.

Certains cadres supérieurs ou des chefs d’entreprise ont accepté de parrainer quelques jeunes, qu’ils reçoivent et à qui ils donnent leur numéro de téléphone portable. Quand les jeunes ont des doutes ou rencontrent un problème pour un entretien (la pression est forte pour eux !), ils peuvent appeler ces parrains qui les rassurent, les conseillent et peuvent faire jouer leur réseau. Parmi eux, le directeur marketing de TF1, un directeur commercial d’une division de Danone, la DRH du groupe Accor, etc.

Nous avons commencé avec 200 jeunes ; 130 environ ont joué le jeu. Mais nous avons dû exclure ceux qui venaient en dilettante, parce que la rigueur est nécessaire pour trouver un emploi. Ceux qui se sont mobilisés ont eu au moins un entretien et 80 d’entre eux ont trouvé un job. Parmi ceux-là, certains avaient déjà un job alimentaire : par exemple, un jeune détenteur d’un DEA de droit, qui a été embauché chez SVP, était auparavant gardien au Stade de France. On n’est pas gardien au stade de France avec un DEA sans que remonte dans les banlieues l’image que les études ne servent à rien. L’exemplarité est très importante, les jeunes sont fiers des grands frères qui ont réussi… Ces jeunes sont formidables, ils se sont donné beaucoup de mal, et il faut leur permettre d’avoir des entretiens. Quand ils en obtiennent, ils savent se vendre. Réciproquement, on explique aux entreprises ce qu’est la diversité, on essaie par exemple de les sensibiliser à la Charte de la diversité. Cette diversité est aussi bien ethnique que relative à l’âge.

L’Accord sur la Diversité en cours de signature entre le Medef et l’ensemble des syndicats a donné lieu à des discussions très ouvertes et très positives. C’est en travaillant sur le terrain qu’on peut créer l’exemplarité : montrer des gens qui réussissent donne envie aux autres de réussir. L’association aide les jeunes à prendre des responsabilités et à les assumer dans la suite de leur parcours et de leur vie.

Après le succès de notre opération en 2005-2006, Laurence Parisot nous a demandé de la reprendre à grande échelle, en créant l’association « nos quartiers ont des talents » (la présidente d’honneur en est Laurence Parisot). Avec le soutien de l’État (Directions régionale et départementale du Travail et de l’Emploi, des préfets, en particulier des préfets à l’égalité des chances, l’Anpe et l’Apec), nous avons recommencé, avec cette année l’Île de France comme objectif : 1000 jeunes pris en charge dans la Seine-Saint-Denis, et 1500 jeunes dans l’Essonne, le Val d’Oise, les Yvelines, le Val de Marne et bien sûr Paris. Ces opérations mobilisent tout notre réseau. L’objectif signé avec l’État est de donner un job à 40 % des jeunes pris en charge, qui dans quelques années seront eux-mêmes des recruteurs et qui le feront dans la diversité, avec un effet multiplicateur.



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1 / . Elle aboutira à l’ouvrage de Philippe Bataille, Le racisme au travail, La Découverte, 1997, qui fait aujourd’hui référence.


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