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Située au nord du département des Hauts-de-Seine, en banlieue parisienne, Villeneuve-la-Garenne est une commune récente, qui a connu une croissance rapide de sa population, à la suite de constructions massives de logements sociaux sur de grandes parcelles privées, entre les années 1950 et 1970, essentiellement pour des raisons historiques de solidarité (appel de l’abbé Pierre en 1954, retour des rapatriés d’Algérie en 1962).
Aujourd’hui, la commune accumule un grand nombre de handicaps : un taux de chômage qui avoisine 18 %, et s’élève à plus de 40 % pour les jeunes des quartiers de la Caravelle et des quartiers sud, une forte précarisation de la population et une concentration de ménages à faibles revenus, ainsi qu’une spécialisation ethnique certaine. L’enclavement de la ville dans une boucle de la Seine sans maillage satisfaisant de transports publics accentue l’enfermement de certains quartiers sur eux-mêmes.
Ces spécificités ont justifié l’inscription de Villeneuve-la-Garenne, en partenariat avec l’État, avec le Conseil général, le Conseil régional et l’Union européenne, dans les différents dispositifs prioritaires de la politique de la ville depuis le début des années 1990 : Zus, Contrat de ville, Grand projet de ville, projet Anru, dispositifs de Réussite éducative, Contrat local de sécurité, Contrat urbain de cohésion sociale (Cucs), Plan local pour l’insertion et l’emploi…
La situation a surtout incité à repenser la ville dans son ensemble : ses quartiers, son patrimoine industriel, qui doit être reconverti et modernisé pour permettre la création d’emplois, ses équipements publics, dont la plupart nécessitent une réhabilitation, les services aux habitants, pour mieux répondre aux besoins d’une population qui évolue. Cette politique, qui se veut globale et cohérente, repose à Villeneuve sur trois piliers principaux : les projets de rénovation urbaine ; le développement économique et la création d’emplois ; les projets de développement social et de renforcement des services publics.
Deux quartiers sont concernés par la rénovation urbaine : celui de la Caravelle, et les quartiers sud : environ 13000 habitants, soit plus de la moitié de la commune. Le projet de la Caravelle, qui a débuté en 1994 avec l’architecte Roland Castro, est en cours d’achèvement. Il a permis de désenclaver le quartier et d’en améliorer la fonctionnalité, de réhabiliter les logements, de modifier la perception visuelle et psychologique du « grand ensemble » que représentait la Caravelle, de réorganiser et requalifier les espaces extérieurs, et de développer dans le quartier un pôle commercial, de nouveaux équipements publics, associatifs et culturels. Alors que de nombreux logements restaient vacants faute de personnes acceptant de venir y vivre, le quartier arrive à nouveau à attirer des locataires prêts à y demeurer…
Dans le prolongement de la Caravelle, un projet de rénovation urbaine dans les quartiers sud (près de 7000 personnes) entre dans sa phase opérationnelle. Il prévoit :
une refonte complète du plan de circulation, afin d’ouvrir le quartier sur la ville, et favoriser le passage des transports collectifs ;
la recomposition du schéma d’aménagement urbain et paysager, afin de revaloriser le quartier ;
le renouvellement et la diversification de l’offre de logements. Avec, notamment, la réhabilitation de 780 logements, la démolition d’environ 300, et la construction de 492 logements neufs, à la fois sociaux et intermédiaires. Le relogement des familles concernées est en cours, sur la commune pour l’essentiel ;
l’amélioration de la gestion urbaine de proximité, par les bailleurs sociaux et les services de la ville, pour un meilleur service aux habitants et une plus grande réactivité face aux « problèmes quotidiens » qui marquent le quartier : problèmes d’encombrants, de tags, de dégradations des entrées d’immeubles, des contrôles d’accès, du stationnement sauvage et des voitures épaves, etc. ;
l’accompagnement du développement social et économique. Celui-ci passe par la réhabilitation d’équipements (groupe scolaire élémentaire, construction d’une nouvelle MJC et d’un gymnase…). Mais il implique aussi le développement d’un projet social cohérent avec les associations et les acteurs locaux, la création de nouveaux commerces de proximité, et la mise en œuvre de mesures d’insertion par l’économie. La Charte locale d’insertion prévoit d’introduire des clauses d’insertion dans tous les marchés de BTP qui seront passés pour la réalisation du projet, et de favoriser l’embauche des personnes en parcours d’insertion professionnelle du quartier.
Les projets de rénovation urbaine représentent une concentration de moyens financiers très importants, et se fixent des objectifs très ambitieux. Il ne faudrait pas croire, cependant, comme on le présente parfois, qu’ils suffisent à transformer les conditions de vie dans ces quartiers et à résoudre tous les problèmes auxquels font face leurs habitants !
La rénovation urbaine doit s’inscrire dans une perspective locale plus globale, qui à Villeneuve-la-Garenne se traduit par un projet ambitieux pour l’emploi et le développement économique, mais aussi le développement social.
En ce qui concerne l’emploi et l’économie, la ville a engagé deux programmes spécifiques : le projet des Chanteraines, en cours de construction, vise à aménager et à requalifier une zone à vocation d’activités et de bureaux. Celui de Bongarde prévoit l’implantation d’un grand centre commercial, d’ici 2010, ce qui permettra la création à terme de près de 4 000 emplois, notamment dans le secteur de la petite et grande distribution, dont pourraient bénéficier des demandeurs d’emplois de la ville, même peu qualifiés.
Dès à présent, la ville négocie très en amont des « Chartes emplois » avec les entreprises dont on prévoit l’installation, pour favoriser l’embauche locale, et travaille avec l’ensemble des acteurs de l’emploi (Anpe, Mission locale, IFOC…) pour la formation professionnelle de ceux qui le souhaitent.
Au niveau social, la ville vient de signer un Contrat urbain de cohésion sociale (Cucs) avec l’État et le Conseil général, dans le but de renforcer les moyens financiers et la cohérence du projet social de territoire, que nous essayons d’adapter au mieux aux besoins des habitants. Les porteurs de projet, associatifs ou institutionnels, développent ainsi des actions tournées vers la lutte contre les discriminations, l’accès au droit, la santé et l’accès aux soins… Une plateforme linguistique locale, permettant d’accueillir et d’orienter toutes les personnes souhaitant apprendre le français vers les structures adaptées, est par exemple née de la mise en réseau de tous les acteurs concernés par ce domaine, qui ne cesse d’être bouleversé par les transferts de compétence d’une collectivité territoriale à une autre, pour simplifier les démarches pour les personnes concernées et optimiser les moyens financiers dont nous disposons.
Naturellement, la cohérence entre ces différents « piliers » – économique, urbain et social – ne sera assurée que s’il existe un portage politique fort de la part des élus locaux. Celui-ci doit garantir une continuité des projets (qui prennent du temps pour donner des résultats réels !), malgré les changements permanents des différents dispositifs de la politique de la ville. Il doit veiller à une meilleure cohérence des services et des acteurs impliqués. À Villeneuve-la-Garenne par exemple, une Direction unique, située dans les quartiers sud et ouverte au public, pilote la mise en œuvre à la fois des projets de rénovation urbaine et du Cucs. Il est essentiel de faire un lien permanent entre les différentes facettes du projet.
Pour autant, il ne faudrait pas attendre de la rénovation urbaine et, plus largement, de la politique de la ville ce qu’elle ne peut pas proposer ! Cela est d’ailleurs très frustrant pour les professionnels, qui voudraient pouvoir « faire plus », et se sont sentis très démunis, en novembre 2005 par exemple… Bien des problèmes ne peuvent être traités au niveau local, sinon de manière périphérique et interrogent directement les politiques nationales : le problème de la « ghettoïsation » des collèges, l’intériorisation du manque de reconnaissance par la société française des jeunes de 3e génération, ou encore la mauvaise répartition du logement social entre les communes d’Ile-de-France.
Joëlle Boneu-Merckaert