Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Toutes les méthodes contraceptives, à l’exception de la méthode naturelle dite méthode Billings, sont contraires à la loi divine et les chrétiens ne sont pas autorisés à les utiliser pour réguler les naissances. Tel est un des messages essentiels de l’encyclique Humanae Vitae, sur le Mariage et la régulation des naissances, du pape Paul VI, publiée en 1968. Dans le monde catholique, comme ailleurs, on en a dit beaucoup de bien et autant de mal, selon que la parole papale était reçue comme la parole de Dieu ou celle d’un homme. Dans les terres de vieille chrétienté, les débats furent houleux. En terre de mission, et particulièrement en Afrique, les quelques évêques que comptaient le continent en ce moment-là (la plupart missionnaires) et les prêtres qui y officiaient ont avalé la pilule sans difficulté. Ils sortaient à peine du Concile Vatican II dont ils n’avaient pas encore véritablement digéré les changements de perspective. Ils vivaient sur un continent dont la réalité et la mentalité épousaient l’idée générale de l’encyclique : « On ne doit pas limiter le nombre d’enfants que le Bon Dieu veut nous donner. Ce serait aller contre sa volonté ». Statu quo donc.
En ces temps reculés, les méthodes de régulation des naissances étaient plus ou moins naturelles : préservatifs, pilules contraceptives et abortives et autres techniques n’étaient pas encore courants. Les épidémies, le paludisme et toutes ces maladies liées à la malnutrition se chargeaient d’une sorte de régulation et obligeaient les parents à avoir plus d’enfants qu’ils ne pouvaient réellement en entretenir. D’autres méthodes consistaient, entre autres, à éloigner la maman avec le bébé pendant quelques mois, ou encore à prolonger l’allaitement maternel jusqu’à un âge avancé pour le sevrage du bébé.
Dans l’Église, le texte d’Humanae Vitae est toujours d’actualité. Aucun pape, depuis Paul VI, n’a couru le risque de revoir cette position doctrinale et morale. François s’est aventuré à affirmer, lors de son voyage aux Philippines, que les catholiques ne devaient pas faire des enfants comme des lapins. Mais l’encyclique de son lointain prédécesseur n’invite-t-elle pas à faire le contraire ?
De Gustave, un ami d’enfance qui me fait l’honneur de trouver un prénom chrétien à chacun de ses 11 gosses, à qui je rapportais les propos du Saint-Père, je reçus cette réponse cinglante : « Où était-il quand l’Église nous a imposé de faire des enfants comme des lapins ? » La position de l’Église d’Afrique sur la régulation des naissances est restée constante. Comme elle l’est restée sur d’autres sujets sensibles. Est-ce à dire que cette position est unanime ? Loin de là. Avant de rédiger cet article, j’ai rencontré de nombreux prélats, jeunes et vieux, plus ou moins attentifs à l’actualité des débats au sein de l’Église, exerçant dans des centres très urbanisés ou dans les villages. Le spectre des réponses que j’ai obtenues au sujet de la régulation des naissances est très large. Entre ceux qui soutiennent fermement que la doctrine sur la question est claire, et ne saurait être remise en cause, et ceux qui ne connaissent pas bien ce que dit cette encyclique dont ils ont entendu parler sans l’avoir lue, il y a tous ceux qui pensent que la conscience humaine des couples doit être éclairée, mais qu’eux seuls sont qualifiés pour choisir la méthode qui leur permettra d’avoir le nombre d’enfants à éduquer.
Pourquoi les évêques africains ne pourraient-ils pas se saisir d’une question de cette importance, pour l’analyser à la lumière des derniers textes du pape François, Laudato si' et Amoris Laetitia ?
Pourquoi les évêques africains ne pourraient-ils pas se saisir d’une question de cette importance, pour l’analyser à la lumière des derniers textes du pape François, Laudato si' et Amoris Laetitia ? Ils pourraient faire d’une pierre au moins deux coups : remettre sur le tapis la régulation des naissances et la sauvegarde de la maison commune, c’est-à-dire établir une corrélation claire entre une vie décente et digne, telle que voulue par Dieu et le vivre ensemble dans un environnement à l’écologie protégée et suffisante pour tous ? Telle est l’interrogation que j’ai cherché à partager avec mes interlocuteurs. Les réponses m’ont laissé pantois, m’assurant, pêle-mêle, que les conférences épiscopales n’avaient pas le droit de se saisir de thèmes aussi lourds de conséquences, surtout si les résultats étaient susceptibles d’aller à l’encontre du consensus établi ; que la remise sur le tapis de causes entendues pourrait être considérée, par Rome, comme une forme de rébellion ; qu’en matière d’écologie et de population, l’Afrique avait encore de la marge et qu’elle ne devait pas se soumettre au diktat des puissances occidentales ; que l’urgence aujourd’hui n’est pas aux débats oiseux mais à la conquête des âmes et à la lutte contre l’expansion des nouveaux mouvements religieux qui taillent des croupières à l’Église, etc.
Roma locuta, causa finita est. Dans le cas d’espèce, Rome n’a pas encore parlé, mais la cause est entendue.