Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Lors d’un récent voyage, le pape François appelait les Hongrois à rester à la fois « ancrés et ouverts, enracinés et respectueux ». Son message s’inscrit clairement dans la continuité de sa dernière encyclique Fratelli tutti, où il défend une conception de la fraternité en prise avec les défis mondiaux, notamment les migrations. Une réflexion politiquement foisonnante et ambitieuse qui s’inspire, dans une large mesure, de la parabole évangélique du bon Samaritain.
Si beaucoup se sont réjouis de son appel à une fraternité universelle invitant à l’accueil de l’étranger, d’autres, y compris dans les rangs des catholiques, ont dénoncé une politique migratoire utopique qui ne respecterait pas les réalités nationales. Parmi eux, des intellectuels se mobilisent dans le paysage médiatique français, revendiquant notamment leur propre lecture de la parabole du bon Samaritain – qui ne viserait qu’une morale personnelle. Sans les mettre sur un même niveau, citons Pierre Manent, Rémy Brague, Chantal Delsol…
Comment dépasser l’opposition entre fraternité universelle et attachement à une identité nationale ?
Cette controverse, parfois véhémente et qui dépasse largement la sphère médiatique et intellectuelle, nous semble significative et particulièrement importante à l’approche de l’élection présidentielle. Les migrations, souvent associées à la montée de l’islamisme, soulèvent des peurs et des questions légitimes. Quel rôle peut tenir dans ces débats la référence à la Bible ? Est-il justifié d’établir une frontière étanche entre ce qui relèverait de la morale privée et du domaine politique ? Comment dépasser l’opposition entre fraternité universelle et légitime attachement à une identité nationale ?
Pour explorer ces questions, ce dossier a été préparé en partenariat avec le Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris et JRS France. Dans une première partie, la parole est donnée à un théologien, un exégète, un historien et trois philosophes. Les politiques migratoires, au cœur d’enjeux internationaux, nous renvoient à une tension difficile entre universalisme, particularisme et pluralisme.
La deuxième partie, fidèle à la ligne éditoriale de la Revue Projet, apporte un éclairage à partir de l’expérience d’acteurs de terrain. La pensée sociale de l’Église ne se limitant pas à un corpus de textes et de valeurs surplombantes, il importe de prendre au sérieux les expérimentations démocratiques portées par « le bas », très concrètement et au quotidien, dans les relations interpersonnelles de l’hospitalité et de la solidarité.
Prendre à bras-le-corps la question des frontières, le rôle de l’État et nos manières d’envisager la vie ensemble : voilà ce à quoi ce dossier nous appelle. Une invitation finalement, comme nous le propose Olivier Abel, à penser et à vivre une fraternité biblique et républicaine.