Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Pour domestiquer un éléphant, on lui apprend l’impuissance : petit, la corde qui le retient est plus forte que lui. Devenu adulte, il n’essaie même plus de s’en libérer, alors qu’il en aurait les capacités. L’éléphant domestiqué a des ressources qu’il ne soupçonne plus. L’ampleur des crises que nous traversons – sanitaire, économique et environnementale – a de quoi susciter la sidération, fragiliser les individus et bousculer le sens du collectif. Mais, comme les éléphants, nous avons des ressources insoupçonnées pour prendre des décisions éclairées, malgré les incertitudes.
Face aux défis qui se posent à nous, ce numéro propose des pistes pour prendre du recul. Nous revisitons des philosophes du siècle passé. Simone Weil et Albert Camus – tous deux ont connu la Seconde Guerre mondiale – nous éclairent et nous aident à discerner par temps de catastrophe. Une manière de réaliser comment, crise après crise, les mêmes questionnements reviennent, inlassablement. Un détour par la Centrafrique permet d’interroger le concept de résilience et ses limites : être résilient ne signifie pas tout endurer. On ne saurait se passer d’éthique.
Nous questionnons aussi la pertinence de l’échelon local pour renforcer la solidarité et la durabilité d’une société. La nécessité de se relier à son voisinage paraît une évidence. Pourtant, celui-ci ne doit pas être synonyme de repli sur soi. Le local peut être une vraie ressource lorsque, à l’image de ce qui se cherche en Suisse dans des coopératives d’habitat partagé, nous prenons en compte nos interdépendances et interrogeons le type de liens que nous entretenons, du plus proche (notre voisin) au plus lointain (les ouvrières qui produisent nos chaussures).
Il nous faut, encore et toujours, analyser les causes de nos malheurs et cultiver notre capacité à chercher, ensemble, un horizon commun.
Il nous faut, encore et toujours, analyser les causes de nos malheurs et cultiver notre capacité à chercher, ensemble, un horizon commun. La démocratie n’est pas une donnée, mais l’aune à laquelle interroger les choix du passé, pour discerner et agir, au présent comme à l’avenir. Elle ne peut être l’affaire d’une seule personne, ni même celle de quelques-uns. En ces temps incertains, l’intelligence collective nous est ainsi apparue comme un puissant levier pour ouvrir d’autres chemins d’action. Cela implique aussi de cultiver notre écoute, notamment celle d’autres voix qui tentent de se faire entendre. Celle des jeunes, tels les Youth for Climate. Désabusés par ce monde tel qu’il va, ils et elles cherchent à nouer dès aujourd’hui des liens plus respectueux de chacun·e. Des liens plus solides pour affronter demain.
Ce dossier nous invite enfin à accueillir la fiction dans notre quotidien, pour ouvrir le champ étriqué de nos pensées. Le pire n’est jamais certain. Les mutations en cours pourraient faire naître en nous des ressources inattendues.