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Dossier : Impuissants face aux crises ?

Le voisinage, un point d’ancrage ?

Le glomo 1 est le premier module d’organisation, constitué de voisinages d’environ cinq cents personnes. © P.M.
Le glomo 1 est le premier module d’organisation, constitué de voisinages d’environ cinq cents personnes. © P.M.

Les Suisses vivant dans des coopératives d’habitation expérimentent d’autres manières de vivre ensemble. Pour l’un de leurs précurseurs, il ne s’agit pas uniquement de faire rêver, mais de montrer que vivre plus sobrement est possible, sans toutefois se couper du monde.


Face aux dysfonctionnements du système économique actuel, il est logique de penser à un changement radical. Ce système étant fondé sur la propriété privée et le marché, l’alternative devrait être fondée sur les biens communs. Ainsi les communs – des ressources partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté – sont-ils à la mode. Les penseurs les plus audacieux – Alain Badiou, Slavoj Žižek et David Graeber – parlent même de « communisme ». Mais n’attendons pas de leur part des propositions concrètes.

C’est la raison pour laquelle, depuis le début des années 1980, nous avons entrepris des recherches sur l’articulation concrète entre un commun local et un commun global. À partir des initiatives locales où nous sommes impliqués, notamment la coopérative d’habitants Kraftwerk-1 à Zurich, nous avons défini un modèle universel basé sur des chiffres et des faits. Il n’y a pas de solutions à la catastrophe du climat sans un nouveau style de vie. Mais, pour ne pas être prisonniers d’un purisme stérile, beaucoup de compromis sont nécessaires.

Du quartier à la planète

Notre proposition articule cinq niveaux d’organisation, les « glomos » (pour global modules ou « modules globaux ») pensés pour permettre des échanges équitables entre pairs. Ils vont du voisinage (glomo 1) à la planète (glomo 5), en passant par les quartiers ou petites villes (glomo 2), les grandes villes ou régions (glomo 3) et les territoires (glomo 4).

Cette taille permet de nouer des liens de proximité avec une partie des voisins, sans tomber dans l’entre-soi, et de réaliser des économies d’échelle.

Le premier module est constitué de voisinages d’environ cinq cents personnes, où cohabitent des personnes d’âges et de niveaux socio-économiques variés. Cette taille permet de nouer des liens de proximité avec une partie des voisins, sans tomber dans l’entre-soi, et de réaliser des économies d’échelle. À ce niveau sont organisés, sur le modèle coopératif, le logement, l’alimentation, les services de soins, l’accès à l’habillement… Le glomo 1 fonctionne comme une économie domestique commune.

Au cœur du glomo 1, un microcentre réunit des services de base (crèche, bibliothèque, épicerie, boulangerie…). Une exploitation située à proximité assure une part de l’alimentation des habitants. En principe, le glomo 1 est une institution autogérée pour l’organisation du travail de production (agriculture, soins, logement, vêtements, le care de base). Ceci permet de soustraire une partie des échanges au domaine marchand, au profit du partage et de l’entraide. Parmi les autres caractéristiques d’un glomo 1, on retrouve : des chambres d’ami·es et des pièces communes (cuisine, salle des fêtes), gérées par la coopérative ; un dépôt alimentaire (fonctionnant selon le principe des Amap) ; le prêt d’outils et d’appareils entre voisins ; un fonds de solidarité permettant de réduire le loyer des foyers aux revenus les plus faibles ; la gestion des entreprises communes par une association de voisins.

Évidemment, un glomo 1 ne peut fonctionner tout seul. Il s’intègre à d’autres modules de communs à des échelles plus larges, les glomos 2 à 5. Cela signifie que la civilisation des communs ne commence pas forcément au niveau du glomo 1. L’expérience montre qu’il est souvent plus facile de lancer des initiatives à l’échelle d’un quartier ou d’une ville entière et de préparer ainsi des conditions favorables à la création de « vrais » glomos 1 plus tard.

Nombre d’initiatives tendent vers une civilisation des communs. Mais beaucoup disparaissent sous la pression de la logique commerciale dominante.

Les pièges du glomo 1

Nombre d’initiatives tendent vers une civilisation des communs. Mais beaucoup disparaissent sous la pression de la logique commerciale dominante. Voici quelques recommandations pour éviter les pièges que l’on peut rencontrer au cours de la création d’un glomo 1 :

  • « Identité culturelle » : évitez de créer « un petit monde » pour un certain genre de personnes. Les glomos doivent s’adresser au citoyen moyen, non défini culturellement ou politiquement. Là où des ghettos culturels se forment, des quotas démographiques peuvent être fixés (vieux, jeunes, étrangers…)
  • Extrémismes écologiques : évitez de définir le glomo selon des interdictions raisonnables mais sectaires, au risque d’instaurer un petit État policier : voiture interdite, nourriture végane obligatoire, pas plus de 25 m2 par personne, etc. Les glomos offrent un style de vie écologique à qui souhaite vivre une telle expérience. Le but est d’améliorer la moyenne, non de devenir des saints de l’écologie.
  • Propriété et spéculation foncière : elles forment un obstacle majeur à la création de coopératives de logement d’un nouveau type, sur des terrains vides ou dans des bâtiments existants. Seule une intervention politique au niveau des villes peut permettre d’éliminer cet obstacle. Les villes doivent favoriser l’achat de terrains et d’immeubles expressément destinés à des coopératives répondant aux critères d’un glomo 1.
  • Peur du collectivisme : le mot « commun » déclenche une foule de projections : goulag, amour libre, anarchie, abolition totale de la propriété privée… Pourtant, il s’agit avant tout d’une logistique écologique destinée à réduire les distances parcourues au quotidien pour accéder aux services dont on a besoin et éviter les gaspillages de toutes sortes. Il nous faut donc un nouveau récit autour du logement : on n’habite pas seulement dans son appartement, mais dans toute la ville. Le glomo 1 n’est pas une île, c’est un lieu de départ, de rencontres, d’hospitalité mondiale.

Aller + loin

  • P. M., Voisinages et communs, L’éclat, 2016.
  • Dominique Boudet, Nouveaux logements à Zurich. La renaissance des coopératives d’habitat, Park books, 2017.
  • Adrien Poullain, Choisir l’habitat partagé. L’aventure de Kraftwerk, Parenthèses, 2018.
  • « Kraftwerk : une utopie réalisée ? » (dossier), Silence, n° 489, mai-juin 2020.
  • P. M., Bolo’bolo, L’éclat, [1983] 2020
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