Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Youth for Climate est né de la crise écologique. Les jeunes de ce mouvement entendent s’organiser là où les adultes ont échoué dans la préservation du vivant. Ils tâtonnent, se forment, pour créer une organisation à l’image de leur « monde d’après » et tisser les liens qui leur permettront d’affronter demain. Reportage.
Un lundi de juillet, une douzaine de jeunes de 14 à 18 ans échangent sur l’herbe sèche d’un mas provençal. Personne ne se coupe la parole, pas un mot au-dessus de l’autre. Les smartphones restent au fond des poches. Tous font partie du mouvement Youth for Climate, « la jeunesse pour le climat ». La voix fluette de Laurie, 18 ans, se fraye à travers le chant assourdissant des cigales. « L’objectif de ces assises est d’entrevoir une campagne régionale. Il faudrait identifier les acteurs et actrices de la région sur lesquels faire pression. » Marilou et Esther, 14 et 15 ans, agitent leurs mains comme des marionnettes en signe d’approbation. Venues d’Avignon, de Cavaillon, de Toulon ou de Marseille, elles se retrouvent le temps d’une semaine pour définir une stratégie et faire advenir une convention citoyenne pour le climat à l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Trois trentenaires de l’Accélérateur de la mobilisation, un collectif qui aide à structurer des campagnes au service d’un monde plus juste, les accompagnent pour définir leur objectif, identifier les cibles à convaincre, leurs alliés potentiels, affûter leurs arguments. Mais ce que ces jeunes cherchent aussi à vivre cette semaine-ci, ce sont d’autres manières de se relier aux autres.
Youth for Climate (« YFC » pour les initiés) est né au printemps 2019, à la suite de l’appel mondial à la grève pour le climat lancé par Greta Thunberg. « On a créé des rôles, dans des groupes de travail qu’on appelle les “patates”, détaille Laurie. Par exemple, il y a la “patate presse”, chargée des relations avec les médias, et la “patate mobilisation”. Mais ces rôles ne sont pas hiérarchiques, on n’a pas de chef. On encourage les nouveaux à participer. » En ligne, le mouvement s’est organisé sur Discord, un logiciel qui permet de structurer une communauté. « Aux assises de Grenoble, en novembre 2019, explique Laurie, on a travaillé sur une charte qui retrace nos valeurs, nos principes. Cela nous a permis de clarifier qui on est. »
Les « Youth » se revendiquent anticapitalistes, décroissants, inclusifs, non-violents, autogérés.
Les « Youth » se revendiquent anticapitalistes, décroissants, inclusifs, non-violents, autogérés. « Il y a beaucoup de minorités opprimées dont on ne parle pas, constate Laurie. YFC se positionne contre le système, en étant le plus démocratique, le plus horizontal possible, en essayant d’instaurer un cadre de bienveillance pour que tout le monde s’écoute. » Cette ambiance apaisante a permis à Matthias, un grand gaillard volubile de 18 ans, de s’épanouir au sein du mouvement. Derrière son aisance affichée, il avoue être un grand timide, qui n’a pas trouvé sa place dans l’institution scolaire. « Avant de rejoindre YFC, confie-t-il, des copains, j’en avais pas trop. Au lycée, on se sent mal. Il y a toujours quelqu’un pour trouver quelque chose qui ne va pas chez l’autre. Une personne qui a une “neurodivergence”, comme on dit, un handicap mental, aura beaucoup de mal à trouver sa place. C’est la même chose dans la société. J’ai une barbe rousse, des cheveux longs, donc j’ai eu droit à des remarques… Quand on n’est pas dans la normalité, on est quoi ? A-normaux ? Moi, maintenant, je suis fier d’être anormal ! »
Pour ces jeunes, si l’habitabilité de la planète est aujourd’hui en péril, c’est bien à cause de la compétition qui sévit à tous les niveaux.
Pour ces jeunes, si l’habitabilité de la planète est aujourd’hui en péril, c’est bien à cause de la compétition qui sévit à tous les niveaux. Un système où les plus vulnérables sont instrumentalisés ou ignorés, à cause de leur couleur de peau, de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur origine géographique ou sociale. Une des jeunes explique qu’elle a subi une agression de la part d’un homme. Au sein d’un forum de discussion du mouvement réservé aux femmes et aux minorités de genre, elle a pu échanger sur ce qui lui était arrivé. Ces forums, les Youth les appellent les « safe places », des lieux sûrs. Face à un monde que Matthias décrit comme « triste et égoïste », où Laurie, elle, n’arrive pas à se projeter dans un avenir meilleur, YFC est un lieu où grandir pour mieux affronter les crises à venir.
Mais ni l’horizontalité ni la bienveillance ne sont acquises. Pour s’impliquer dans YFC, il faut passer beaucoup de temps en ligne, regrette Élisa, 17 ans : « Je ne trouve pas ma place dans les discussions nationales [sur Discord], car je n’arrive pas à y accorder autant de temps qu’il faudrait. » Matthias qui, au contraire, passe beaucoup de temps connecté, en reconnaît aussi les limites : « J’étais très actif au niveau national. Peut-être trop, vu que j’étais déscolarisé. Alors certains se sont dit : “À quoi bon travailler là-dessus, Matthias va le faire.” Du coup, je bossais, je bossais, je dormais peu et j’étais fatigué. La vraie horizontalité, c’est quand quelqu’un part et que la machine continue à tourner. » Greta, connue de tous les Youth de France à cause de son prénom, déplore quant à elle la violence de certains militants envers les « nouvelleaux », les nouveaux et nouvelles, dont l’engagement ne serait pas suffisamment radical. Quelques-uns ont ainsi quitté le mouvement, qui se veut pourtant un lieu de formation entre militants.
Pendant les assises, une jeune organise ainsi une « fresque du climat », un jeu coopératif destiné à mieux comprendre les enjeux environnementaux. Andrea, 17 ans, anime un atelier sur la communication non violente ; Enzo, 16 ans, bénévole dans une radio, un atelier sur la manière de répondre aux journalistes… Des compétences qui pourront leur servir, professionnellement comme dans leurs efforts de mobilisation.
Au fil de la semaine, les contours de leur campagne pour une convention citoyenne régionale pour le climat se précisent. Vendredi après-midi, Laurie n’en revient pas : une conseillère du président de la Région leur propose un rendez-vous à la rentrée. « Mon rêve, ce serait qu’on réécrive une Constitution dans laquelle figure l’obligation de faire des assemblées citoyennes régulières. » Si ce qui y était dit pouvait informer les décisions publiques, alors cela changerait aussi la nature du lien entre les politiques et les citoyens.