Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Impuissants face aux crises ?

Jeunes pour le climat. Les liens de demain

Une douzaine de jeunes de 14 à 18 ans se sont réunis pour réfléchir à une convention citoyenne pour le climat à l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en juillet 2020. © Aurore Chaillou
Une douzaine de jeunes de 14 à 18 ans se sont réunis pour réfléchir à une convention citoyenne pour le climat à l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en juillet 2020. © Aurore Chaillou

Youth for Climate est né de la crise écologique. Les jeunes de ce mouvement entendent s’organiser là où les adultes ont échoué dans la préservation du vivant. Ils tâtonnent, se forment, pour créer une organisation à l’image de leur « monde d’après » et tisser les liens qui leur permettront d’affronter demain. Reportage.


Un lundi de juillet, une douzaine de jeunes de 14 à 18 ans échangent sur l’herbe sèche d’un mas provençal. Personne ne se coupe la parole, pas un mot au-dessus de l’autre. Les smartphones restent au fond des poches. Tous font partie du mouvement Youth for Climate, « la jeunesse pour le climat ». La voix fluette de Laurie, 18 ans, se fraye à travers le chant assourdissant des cigales. « L’objectif de ces assises est d’entrevoir une campagne régionale. Il faudrait identifier les acteurs et actrices de la région sur lesquels faire pression. » Marilou et Esther, 14 et 15 ans, agitent leurs mains comme des marionnettes en signe d’approbation. Venues d’Avignon, de Cavaillon, de Toulon ou de Marseille, elles se retrouvent le temps d’une semaine pour définir une stratégie et faire advenir une convention citoyenne pour le climat à l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Trois trentenaires de l’Accélérateur de la mobilisation, un collectif qui aide à structurer des campagnes au service d’un monde plus juste, les accompagnent pour définir leur objectif, identifier les cibles à convaincre, leurs alliés potentiels, affûter leurs arguments. Mais ce que ces jeunes cherchent aussi à vivre cette semaine-ci, ce sont d’autres manières de se relier aux autres.

Youth for Climate (« YFC » pour les initiés) est né au printemps 2019, à la suite de l’appel mondial à la grève pour le climat lancé par Greta Thunberg. « On a créé des rôles, dans des groupes de travail qu’on appelle les “patates”, détaille Laurie. Par exemple, il y a la “patate presse”, chargée des relations avec les médias, et la “patate mobilisation”. Mais ces rôles ne sont pas hiérarchiques, on n’a pas de chef. On encourage les nouveaux à participer. » En ligne, le mouvement s’est organisé sur Discord, un logiciel qui permet de structurer une communauté. « Aux assises de Grenoble, en novembre 2019, explique Laurie, on a travaillé sur une charte qui retrace nos valeurs, nos principes. Cela nous a permis de clarifier qui on est. »

Les « Youth » se revendiquent anticapitalistes, décroissants, inclusifs, non-violents, autogérés.

Les « Youth » se revendiquent anticapitalistes, décroissants, inclusifs, non-violents, autogérés. « Il y a beaucoup de minorités opprimées dont on ne parle pas, constate Laurie. YFC se positionne contre le système, en étant le plus démocratique, le plus horizontal possible, en essayant d’instaurer un cadre de bienveillance pour que tout le monde s’écoute. » Cette ambiance apaisante a permis à Matthias, un grand gaillard volubile de 18 ans, de s’épanouir au sein du mouvement. Derrière son aisance affichée, il avoue être un grand timide, qui n’a pas trouvé sa place dans l’institution scolaire. « Avant de rejoindre YFC, confie-t-il, des copains, j’en avais pas trop. Au lycée, on se sent mal. Il y a toujours quelqu’un pour trouver quelque chose qui ne va pas chez l’autre. Une personne qui a une “neurodivergence”, comme on dit, un handicap mental, aura beaucoup de mal à trouver sa place. C’est la même chose dans la société. J’ai une barbe rousse, des cheveux longs, donc j’ai eu droit à des remarques… Quand on n’est pas dans la normalité, on est quoi ? A-normaux ? Moi, maintenant, je suis fier d’être anormal ! »

Pour ces jeunes, si l’habitabilité de la planète est aujourd’hui en péril, c’est bien à cause de la compétition qui sévit à tous les niveaux.

Pour ces jeunes, si l’habitabilité de la planète est aujourd’hui en péril, c’est bien à cause de la compétition qui sévit à tous les niveaux. Un système où les plus vulnérables sont instrumentalisés ou ignorés, à cause de leur couleur de peau, de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur origine géographique ou sociale. Une des jeunes explique qu’elle a subi une agression de la part d’un homme. Au sein d’un forum de discussion du mouvement réservé aux femmes et aux minorités de genre, elle a pu échanger sur ce qui lui était arrivé. Ces forums, les Youth les appellent les « safe places », des lieux sûrs. Face à un monde que Matthias décrit comme « triste et égoïste », où Laurie, elle, n’arrive pas à se projeter dans un avenir meilleur, YFC est un lieu où grandir pour mieux affronter les crises à venir.

Éprouver l’horizontalité

Mais ni l’horizontalité ni la bienveillance ne sont acquises. Pour s’impliquer dans YFC, il faut passer beaucoup de temps en ligne, regrette Élisa, 17 ans : « Je ne trouve pas ma place dans les discussions nationales [sur Discord], car je n’arrive pas à y accorder autant de temps qu’il faudrait. » Matthias qui, au contraire, passe beaucoup de temps connecté, en reconnaît aussi les limites : « J’étais très actif au niveau national. Peut-être trop, vu que j’étais déscolarisé. Alors certains se sont dit : “À quoi bon travailler là-dessus, Matthias va le faire.” Du coup, je bossais, je bossais, je dormais peu et j’étais fatigué. La vraie horizontalité, c’est quand quelqu’un part et que la machine continue à tourner. » Greta, connue de tous les Youth de France à cause de son prénom, déplore quant à elle la violence de certains militants envers les « nouvelleaux », les nouveaux et nouvelles, dont l’engagement ne serait pas suffisamment radical. Quelques-uns ont ainsi quitté le mouvement, qui se veut pourtant un lieu de formation entre militants.

Pendant les assises, une jeune organise ainsi une « fresque du climat », un jeu coopératif destiné à mieux comprendre les enjeux environnementaux. Andrea, 17 ans, anime un atelier sur la communication non violente ; Enzo, 16 ans, bénévole dans une radio, un atelier sur la manière de répondre aux journalistes… Des compétences qui pourront leur servir, professionnellement comme dans leurs efforts de mobilisation.

Au fil de la semaine, les contours de leur campagne pour une convention citoyenne régionale pour le climat se précisent. Vendredi après-midi, Laurie n’en revient pas : une conseillère du président de la Région leur propose un rendez-vous à la rentrée. « Mon rêve, ce serait qu’on réécrive une Constitution dans laquelle figure l’obligation de faire des assemblées citoyennes régulières. » Si ce qui y était dit pouvait informer les décisions publiques, alors cela changerait aussi la nature du lien entre les politiques et les citoyens.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Face à la déroute : faire assaut de fiction

Lire des œuvres de fiction aide à se défaire des pensées toutes faites sur la situation que nous vivons. Cet ébranlement essentiel permet d’accéder à de nouveaux raisonnements et d’ouvrir le champ des possibles. Tous les mots ont leur saveur et leur couleur singulières. Certains résonnent plus plaisamment à l’esprit. Parmi mes préférés, la vividité se définit comme la force particulière avec laquelle des images mentales s’imposent à l’e...

Des ressources insoupçonnées

Pour domestiquer un éléphant, on lui apprend l’impuissance : petit, la corde qui le retient est plus forte que lui. Devenu adulte, il n’essaie même plus de s’en libérer, alors qu’il en aurait les capacités. L’éléphant domestiqué a des ressources qu’il ne soupçonne plus. L’ampleur des crises que nous traversons – sanitaire, économique et environnementale – a de quoi susciter la sidération, fragiliser les individus et bousculer le sens du collectif. Mais, comme les éléphants, nous avons des resso...

Albert Camus. Une boussole dans la tempête

Face aux enjeux de la crise généralisée que nous traversons, un détour par la pensée d’Albert Camus permet d’envisager une action juste, qui ne cède pas à la violence. Plongé dans une crise à la fois ancienne et nouvelle qui semble porter atteinte jusqu’à nos liens fraternels, notre monde est désormais livré à la peur et au doute. Il ne s’agit plus seulement de faire face au nihilisme et au complotisme ; tous les repères aujourd’hui se...

Du même auteur

Créer de la proximité : un défi collectif

Santé, logement, revenu de solidarité… Aujourd’hui, en France, des millions de personnes en précarité peinent à accéder à leurs droits. Le fossé entre ces personnes et l’action publique se creuse. Parmi celles qui pourraient toucher le RSA, 34 % ne le perçoivent pas. Ce constat, partagé par le Conseil d’État1 et les acteurs associatifs, appelle à recréer de la proximité avec les personnes en précarité. C’est le défi de l’« aller vers ».L’expression désigne, pour les acteurs de l’action sociale,...

L’aide sociale reprend la rue

Près de Lille, l’association La Sauvegarde du Nord tente de sortir Claude, Radhouane ou Mario de la rue. Si les « permanences camion » et les maraudes à vélo permettent la rencontre, une maison à la campagne leur offre le répit nécessaire pour envisager d’autres possibles. Claude, 42 ans, yeux bleus et sourcils broussailleux, vient à Houplin pour être tranquille. Depuis sept mois, il vit dans une tente, à Loos, près de Lille. Il a...

Un camping-car pour faire du lien

En Indre-et-Loire, un camping-car, le Bureau itinérant et solidaire, va à la rencontre des gens du voyage pour les aider à accéder à leurs droits. Une solution associative essentielle, que les services publics devraient reprendre à leur compte. Comment est née l’idée de ce Bureau itinérant et solidaire (BIS) ?Romain Crochet – Après la crise du Covid-19, nous avons répondu à un appel à projets dans le cadre du plan gouvernemental France relance. On y a vu...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules