Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
« Vivre revient à accroître notre capacité à être affecté, donc notre spectre, notre amplitude à être touché, changé, ému. » Ainsi slame Alain Damasio, dans un morceau qui accompagne son roman de science-fiction Les furtifs (La Volte, 2019). De cette capacité à être affecté dépend, pour une part, notre puissance de vie, celle de la planète et celle de notre humanité.
Depuis un demi-siècle, les scientifiques nous alertent sur les conséquences environnementales de notre modèle productiviste. À mesure que les changements climatiques deviennent de plus en plus tangibles, des personnes ou des mouvements, touchés par cette nouvelle donne, passent à l’acte, quitte, parfois, à adopter des modes d’action plus radicaux, face à des gouvernements qui paraissent toujours de marbre. Cependant, le passage à l’action demeure le fait d’une minorité. Nous avons souhaité, avec plusieurs associations et mouvements dont les membres sont déjà affectés par l’ampleur des bouleversements à l’œuvre, interroger les résistances et les leviers d’une vraie conversion écologique. Le défi étant d’embarquer le plus grand nombre, de mobiliser les indécis.
Force est de le constater : nous sommes accros au pétrole et à ses dérivés. Et savoir que cela nous mène à notre perte ne suffit pas à remettre en cause nos habitudes. Si la connaissance est indispensable pour informer notre agir, elle peut aussi être source d’anxiété ! Mais être profondément impressionné, indigné, peut nous pousser à l’action, d’autant plus quand d’autres nous ouvrent le chemin. Et agir, écrivait Saint-Exupéry, nous délivre de la mort.
Remporter ensemble une première victoire, c’est reconquérir son pouvoir d’agir, amplifier sa puissance de vie.
Élargir avec d’autres le champ des expériences possibles peut être l’occasion d’une véritable conversion écologique. Certains découvriront, au cours de la distribution de légumes de leur Amap, de nouvelles manières de se relier à la consommation, au monde agricole, à leurs voisins et voisines. D’autres ressentiront, lors d’une action collective ou d’une marche, une joie intense, voire une forme d’exaltation, le sentiment d’appartenir à un groupe mobilisé autour d’un projet commun. Remporter ensemble une première victoire – faire passer la cantine de son école au 100 % bio par exemple –, c’est reconquérir son pouvoir d’agir, amplifier sa puissance de vie.
Mais la manière de se mobiliser face à l’urgence climatique présente au moins deux risques. D’abord, celui de conforter un entre soi, d’exclure, parfois sans le vouloir, celles et ceux qui souffrent déjà le plus des conséquences des changements climatiques en cours. Un autre risque est celui de l’épuisement des personnes mobilisées dans ces luttes. Il est certes indispensable d’évaluer la responsabilité de chacun face à ces défis et de ne pas tout faire reposer sur les individus. L’État, les entreprises, doivent prendre leur part. Et, en tant que militant ou militante de la cause écologique, il importe de prendre soin de soi. La route est longue, rappelle Martin Kopp en clôture de ce dossier (en ligne le 14 mai). Dans un texte poétique adressé à vous, nos lecteurs et lectrices, il livre un témoignage sensible pour que durent vos aventures…