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Il est indéniable qu’il existe aujourd’hui un courant catholique fortement engagé sur le terrain de l’écologie. Maintenant, certaines résistances se font encore sentir, notamment en France. Quelles sont-elles ? Comment les expliquer ?
Dans leur ensemble, les catholiques de France ont mis beaucoup de temps à prendre au sérieux les questions écologiques. Mais il est indéniable que les choses bougent ces dernières années. L’année 2015 a constitué un tournant. La Cop21, à Paris, a suscité une prise de conscience générale. Mais les catholiques ont aussi été fortement marqués cette même année par la parution de l’encyclique Laudato si’ du pape François. Celle-ci arrivait de plus après tout un travail œcuménique de plaidoyer en amont de la Cop – facilité par nos frères protestants, qui avaient préparé le terrain. L’élan sans précédent que l’encyclique a suscité témoigne de la nécessité, pour nombre de catholiques, d’une parole magistérielle forte pour avancer. Au risque de l’attentisme tant que cette parole n’est pas affirmée, mais avec la chance, aussi, d’une mobilisation massive quand elle arrive ! Depuis, le travail œcuménique a conduit à la création du label « Église Verte » (voir l’article de Robin Sautter) ; de même, les évêques de France ont choisi l’écologie comme thème de leurs prochaines assemblées et plusieurs diocèses en ont fait une option pastorale.
Pourtant, malgré ces avancées, des résistances se manifestent : peur de perdre du confort, déni – conscient ou non – devant une crise écologique trop angoissante, refus d’accepter des limites ou de remettre en question le progrès... Certaines résistances sont assez spécifiques aux catholiques. Relevons ici quelques réactions entendues lors de formations à l’écologie en milieu ecclésial.
« L’écologie, c’est idéologique, politique... Ce sont les Verts. » Pour certains, l’écologie est associée à l’écologie politique portée par les Verts. Or les tenants de l’écologie politique ont pu avoir un discours malthusien sur la restriction de la natalité dans les années 1970-1980, qui les a rendus peu fréquentables par des catholiques refusant de poser la question de la démographie1. Aujourd’hui, le fait que la majorité des écologistes accusent davantage le consumérisme que la démographie aide au dialogue.
Cette réflexion illustre ainsi le primat, pour nombre de catholiques, du droit à la vie qui se focalise sur le droit à la naissance et à une mort naturelle, oubliant parfois ses conséquences en termes de justice sociale dans l’entre-deux.
Mais d’autres questions sont apparues : les Verts – du moins une grande partie d’entre eux – cautionnent des positions sociétales qui ne sont pas sans poser des questions au vu des orientations de la morale catholique (comme le droit à l’avortement et le soutien à la procréation médicalement assistée, voire la gestation pour autrui, etc.). « Est-ce qu’on ne risque pas de s’occuper plus de la larve de grenouille que de l’embryon humain ? » Cette réflexion illustre ainsi le primat, pour nombre de catholiques, du droit à la vie qui se focalise sur le droit à la naissance et à une mort naturelle, oubliant parfois ses conséquences en termes de justice sociale dans l’entre-deux. Occultant alors les enjeux environnementaux, cette focale peut ramener l’écologie intégrale que promeut le pape François à une « écologie de l’homme », axée sur les dilemmes bioéthiques. Ces derniers sont reliés à l’écologie environnementale via une certaine compréhension de la « loi naturelle ». Ce concept est parfois utilisé pour faire des liens directs entre l’observation de la nature et l’édiction de règles morales, ce contre quoi la Commission théologique internationale mettait en garde en 2009.
Cette réflexion est ainsi révélatrice d’un anthropocentrisme. Nombre de chrétiens – en Occident en particulier – dénoncent dans certains courants écologistes une forme de panthéisme ou de paganisme. Les débats du récent synode pour l’Amazonie ont montré la pluralité des visions dans le monde catholique sur ces questions. La prise de parole plus fréquente de théologiens non-occidentaux permettra de discerner ce qui relève d’une conviction de foi en l’éminente dignité de l’homme et en sa place particulière dans la Création et ce qui peut être une insistance anthropocentrique de l’Occident.
Le pape François a ainsi perçu le besoin de revenir, dans de longs paragraphes de Laudato si’, sur les récits bibliques de Création pour les lire « avec une herméneutique adéquate » et sortir de l’anthropocentrisme dévié qu’une certaine lecture pourrait justifier, mais qui finirait par nier la valeur propre des créatures en ramenant tout à l’homme.
« L’écologie est culpabilisante », avancent certains. La remarque témoigne combien, dans notre société, il est devenu difficile de reconnaître ses erreurs et d’accepter des contraintes. Et la sphère catholique ne fait pas exception. Pourtant, le christianisme a cette force – quand il est bien vécu – de pouvoir assumer le repentir, la possibilité de reconnaître que l’on s’est trompé sans culpabilité mais avec de l’énergie pour se convertir, portée par une espérance fondamentale. Cependant, cette espérance chrétienne demande à être réaffirmée. Car, de fait, la désespérance atteint certains jeunes catholiques devant les dérèglements écologiques, qui font même parfois le choix de ne pas avoir d’enfants, faute de pouvoir leur garantir une Terre habitable.
La « terre nouvelle », attendue comme un don et une nouveauté, se prépare dans les enjeux sociaux de l’aujourd’hui.
On peut cependant observer aussi, chez d’autres chrétiens, une tendance à confondre l’espérance chrétienne avec l’espoir que tout va s’arranger, à nier l’importance des défis terrestres et à envisager le salut dans une perspective purement spirituelle. La constitution du concile Vatican II, Gaudium et spes2, le rappelle pourtant : la « terre nouvelle », attendue comme un don et une nouveauté, se prépare dans les enjeux sociaux de l’aujourd’hui.
Les catholiques de France sont majoritairement issus de milieux aisés. Or le confort matériel peut être un frein à la conversion, écologique en particulier, qui appelle à la sobriété. Jésus n’affirmait-il pas qu’« il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Matthieu 19,24) ? Une Église distante des pauvres peut-elle véritablement changer, sans la confrontation au quotidien avec les couches sociales défavorisées, qui ouvrent à plus grand que soi ?
Si Laudato si’ a une telle force, c’est parce que cette parole nous vient d’une Église latino-américaine qui a embrassé depuis cinquante ans la cause des pauvres.
Dans de nombreux pays du Sud, en effet, c’est le partage de vie avec les plus pauvres et les plus vulnérables à la crise qui a conduit l’Église catholique à s’engager dans les défis écologiques. Si Laudato si’ a une telle force, c’est parce que cette parole nous vient d’une Église latino-américaine qui a embrassé depuis cinquante ans la cause des pauvres. Les Églises occidentales, encore peu touchées dans leur chair par les dérèglements climatiques, ont donc beaucoup à apprendre de l’expérience des Églises « périphériques » qui y sont confrontées.
Mais la relation entre pauvreté et écologie reste complexe au Nord car, même si la plupart des catholiques font le lien entre les défis sociaux et environnementaux, on peut encore entendre l’expression de cette forme de résistance : « Les pauvres, eux, n’ont pas le luxe d’être écolos ». C’est oublier un peu vite une analyse des conséquences à long terme des crises écologiques. Les plus pauvres sont, en France aussi, les plus touchés et les moins responsables des dégâts environnementaux.
1 Voir Revue Projet, « Fécondité : un enjeu pour la planète ? », n° 359, 2017
2 Gaudium et spes, Concile Vatican II, 1965