Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Quand la lutte contre la pauvreté croise celle contre les changements climatiques : au cœur même de sa mission auprès des plus démunis, le Secours Catholique en a fait l’expérience.
Sans doute, beaucoup n’attendaient pas le Secours Catholique – Caritas France sur les enjeux climatiques ! Peut-être que les 66 000 bénévoles et les quelque 1 000 salariés de l’association eux-mêmes n’imaginaient pas de prime abord à quel point les enjeux de pauvreté sont intrinsèquement liés aux enjeux environnementaux.
Pour une organisation qui agit contre la pauvreté en France et dans le monde, les premiers signaux d’alarme sont venus des partenaires internationaux. Ils nous ont alertés sur des programmes de sécurité alimentaire et sur des déplacements forcés de population notamment. Ainsi, Caritas Kaolack, au Sénégal, soutient les populations rurales vulnérables et les accompagne vers leur autonomie. Or ces familles se sont trouvées confrontées à des épisodes de sécheresse et à une imprévisibilité météorologique croissante – les effets les plus rapidement constatables des changements climatiques. Il a dès lors fallu travailler sur leur résilience, changer d’approche, afin de s’assurer que tous pourraient continuer à subvenir à leurs besoins, à produire de la nourriture en quantité et en qualité suffisantes, malgré des phénomènes climatiques nouveaux et imprévisibles. Dès 2010, Caritas Kaolack a pu expérimenter les techniques agro-écologiques avec ces familles rurales. En d’autres termes, ce sont nos partenaires dans le monde, au Sénégal ou ailleurs, qui nous ont appris les premiers ce que s’adapter aux dérèglements en cours voulait dire.
Notre soutien aux organisations du Sud nous obligeait à regarder en face les impacts de nos émissions sur les plus pauvres du monde, et à nous questionner sur notre responsabilité.
La question ne pouvait manquer de nous interroger en tant qu’organisation du Nord. Nous vivons dans un pays développé, un pays responsable de la crise, un pays émetteur. Or notre soutien aux organisations du Sud – non seulement financier mais aussi pour renforcer leurs capacités – nous obligeait à regarder en face les impacts de ces émissions sur les plus pauvres du monde, et à nous questionner sur notre responsabilité. C’est dans cette perspective que s’est construit notre plaidoyer pour une réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays développés, une transition énergétique vers 100 % d’énergie renouvelable et une transformation des modèles agricoles mondialisés dont on mesure aujourd’hui les impacts environnementaux bien trop lourds. Les enjeux climatiques posent la question de la justice climatique. Les premiers à subir les conséquences de ces dérèglements sont les populations les plus pauvres : les paysans en Afrique de l’Ouest, les populations des petits États insulaires voués à disparaître, les habitants du delta du Bangladesh qui font face à la montée des eaux et à la salinisation de leurs terres. Ceux qui ont le moins émis sont les premières victimes : n’est-ce pas là la plus grande injustice ?
C’est en tentant de répondre à cette situation que le Secours Catholique est arrivé là où, sans doute, on ne l’attendait pas. La parole des plus pauvres nous a interpellés, comme elle avait interpellé d’abord Caritas Bangladesh. Dès 2009, les Caritas asiatiques et leurs évêques ont préparé des outils pour s’adresser aux dirigeants en amont de la Cop de Copenhague. Face à un certain climato-scepticisme, il importait de montrer combien ces impacts étaient réels. Un film présentant plusieurs témoignages au Bangladesh illustrait ces dérèglements, l’intensification des épisodes de sécheresse, la multiplication des cyclones. Et ces mêmes organisations nous ont alors appelés à agir, nous aussi, sur ces questions. Car le plaidoyer ne pouvait être pensé que globalement.
Les personnes en précarité que nous accompagnons en France sont, elles aussi, victimes des changements climatiques.
Nous voulions accompagner nos partenaires des pays du Sud dans leur travail d’adaptation et diffuser leurs témoignages ici, pour que les États développés prennent leurs responsabilités – communes, mais bel et bien différenciées – dans cette catastrophe planétaire. Or, petit à petit, nous avons été interrogés aussi d’une façon plus directe : les personnes en précarité que nous accompagnons en France sont, elles aussi, victimes des changements climatiques. De plus en plus souvent, l’organisation doit intervenir dans le cadre de programmes d’urgence en soutien aux victimes d’inondations, de tempêtes. Les dérèglements climatiques ne sont plus un phénomène touchant des réalités lointaines, ils affectent les plus vulnérables de notre pays. De même, le soutien apporté de longue date aux personnes vivant dans des passoires thermiques prend une autre signification. Un logement mal isolé, c’est une vie dans des conditions indignes. En même temps, à l’heure où l’on est confronté au défi de la sobriété énergétique, il y a une double injustice quand les plus précaires ne peuvent faire face aux coûts de rénovation. Le mouvement des Gilets jaunes, né de l’opposition à une taxe carbone injuste touchant en premier lieu les catégories populaires de la population, a montré à quel point il est essentiel que cette transition écologique soit socialement juste. C’est cette conviction qui nous amène à penser notre action et notre plaidoyer national afin de mieux prendre en compte les dimensions sociales de cette transition.