Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Ce que disent les plus lucides fait froid dans le dos. En 1992, le sommet de la terre de Rio voulait prendre soin des générations futures ; aujourd'hui elles sont nées et nous n’avons rien fait (cf. D. Bourg). La catastrophe écologique n’arrivera pas soudainement : elle est déjà en cours (cf. C. Larrère). La biodiversité est en régression rapide. Un réchauffement climatique de + 1°C, désormais certain, aura raison de la calotte glaciaire. Pour avoir une chance de ne pas dépasser + 2° C d’ici la fin du siècle – un niveau qui met en péril une partie de la vie marine et la fertilité de nombreuses terres –, l’humanité ne doit pas émettre plus de 550 gigatonnes de carbone d’ici 2050. Il est prévu d’en émettre 3000 Gt par la seule combustion du charbon, du pétrole et du gaz.
Devant un si sombre tableau, faut-il attendre quelque lumière des traditions spirituelles et religieuses ? Ne sachant plus à quel saint se vouer quand les négociations étatiques patinent, il est tentant de vouloir mobiliser les 2,2 milliards de chrétiens, 1,6 milliard de musulmans, 1 milliard d’hindouistes, 500 millions de bouddhistes… À l’heure où certains font des croyances des ferments de division, il est heureux de trouver l’occasion d’une parole commune (cf. S. Nait Ahmed, C. Eveillard et E. Lasida). Mais les croyants ne sont pas une armée qui marche au pas, et c’est heureux ! Attend-on des sages qu’ils pallient l’incapacité des politiques ? Ce peut être leur rôle de les interpeller (cf. G. Kerber), non de s’y substituer. Quant au miracle…
Si les spiritualités sont concernées au premier chef, c’est que « l’âme du monde est malade » (cf. N. Hulot). Le défi écologique est aussi un défi pour l’esprit. Il appelle une conversion (en latin, conversio signifie « retournement », changement de l’ordre mental). À trop vouloir soumettre la nature, l’homme en est venu à penser qu’il était le maître, voire l’origine de tout. La disparition de nombreuses espèces, de pans entiers de forêts qui hébergeaient autant de cultures en harmonie avec leur environnement (cf. F. Lopez), questionnent sa place sur terre. Sans sacraliser la nature, les monothéismes appellent à y reconnaître l’œuvre de Dieu, à la louer. Indépendamment du religieux, s’émerveiller devant une écorce, un pétale, faire l’expérience sensible du vent, de l’eau, n’est-ce pas le meilleur antidote à la tentation dominatrice qui nous guette (cf. J.-P. Pierron) ? Et pourquoi ne pas se mettre à la place des éléments, « penser comme une montagne » (Aldo Leopold) ? Les éthiques de l’environnement, les pères d’une écologie profonde, invitent à ce décentrement (cf. É. Charmetant).
La catastrophe écologique nous place aussi dans une histoire qui nous dépasse. Quel est le sens de notre passage sur terre, si nous saccageons « notre maison commune » ? Nous est-elle confiée, comme le suggèrent les religions ? Une chose est sûre : nous l’empruntons à nos enfants. La conversion devient urgente, mais le niveau de radicalité nécessaire est « celui où la foi est engagée » (cf. A. Cugno). C’est un système de croyances (dans le progrès, l’omnipotence de la science, la promesse de bonheur consumériste) qu’il nous faut abandonner. Se faire proche de l’humanité, dans ce qu’elle a de lointain, d’essentiel aussi, voilà peut-être le redoutable mais magnifique défi qu’il nous est donné de relever (cf. M. Kopp).
En posant des questions ultimes (cf. B. Hériard), la planète renvoie les traditions spirituelles à leurs fondamentaux. En grec, la conversion s’exprime par deux mots : epistrophê (idée d’un retour à l’origine, à soi) et metanoïa (idée d’une mutation, d’une renaissance). « Si une mauvaise compréhension de nos propres principes nous a parfois conduits à justifier le mauvais traitement de la nature, la domination despotique de l’être humain sur la création (…), nous avons alors été infidèles au trésor de sagesse que nous devions garder » reconnaît François dans Laudato si’, qui puise dans les sources du christianisme une encyclique inspirée, radicale, porteuse d’un souffle (espérons-le) mobilisateur (cf. C. Mellon). Et si, finalement, en revenant au galop, la nature que nous avions chassée, violée, cette « clameur de la terre » inséparable de celle des pauvres, invitait les spiritualités à redécouvrir ce qu’elles ont de plus beau, de plus fécond à offrir au monde ?