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Dossier : La cause de l'éducation

Le système allemand contre-exemple ou modèle


Grundschule, Gymnasium, formation alternée... Le modèle allemand, jadis envié, se voit contesté aujourd'hui.

Les systèmes d’enseignement des sociétés occidentales semblent partager de nombreux problèmes : les contenus d’enseignement ne sont pas appropriés aux attentes de plus en plus diversifiées, celles des élèves et de leurs familles, celles du monde économique (déterminantes pour trouver une insertion raisonnable dans la vie active) ; la formation des enseignants et leur statut se constituent trop souvent en obstacles aux réformes ; la gestion des établissements est mal adaptée à la rapidité des changements, etc.

A l’orée du nouveau millénaire, est-ce leur structure nationale qui desservirait un intérêt général qu’elle semblait pourtant défendre depuis la fin du XIXe siècle ? D’aucuns pensent qu’elle empêcherait, par son coût démesuré et sa lourdeur bureaucratique, la prise en considération d’une demande pragmatique et rapidement évolutive. Cette demande serait maintenant la juste mesure de toute finalité raisonnable en matière d’éducation.

Le système d’enseignement allemand, longtemps présenté en modèle, n’échappe pas à ces critiques. Il est même souvent soupçonné de favoriser un chômage qui, depuis la réunification, est devenu impressionnant.

Un diagnostic de défaillance

Un large écho a été donné à l’enquête récente de l’Ocde 1, qui mettait en évidence les défaillances du système d’enseignement public allemand (ainsi que celles du système français), l’un comme l’autre restant très attachés à leur dimension publique et nationale. Ces défaillances sont apparemment lourdes. Les compétences acquises par des élèves de 15 ans seraient peu satisfaisantes en deux domaines essentiels : la capacité à poser et à résoudre un problème de mathématique, la capacité à comprendre un texte écrit. Malgré une scolarité déjà longue, une proportion significative d’élèves n’aurait tiré aucun bénéfice de l’éducation reçue. Cette accusation d’illettrisme est particulièrement surprenante, concernant des systèmes dont l’excellence était autrefois remarquable et remarquée. N’avaient-ils pas largement contribué au développement des connaissances et à ses multiples retombées positives en matière de développement technologique, économique et social ? Doit-on conclure que les Allemands, comme les Français n’ont pas su tirer les conséquences de leur succès, en continuant à aller de l’avant, grâce à une organisation plus souple et plus professionnelle 2 de l’offre d’enseignement et une critique plus active de ses inerties ? A lire l’enquête, les systèmes les plus performants seraient en effet ceux qui ont accepté leur dérégulation. Le souci public s’y réduit à quelques exigences de base. Pour le reste, le mieux est de faire confiance au marché de l’éducation. Les motivations des divers protagonistes y sont mieux prises au sérieux et les mérites, valorisés.

Depuis quelques années, une abondante littérature « épingle » toutes les lourdeurs bureaucratiques des systèmes fidèles à des responsabilités publiques, pour mieux mettre en valeur la souplesse, la transparence d’initiatives locales, selon l’exemple donné par les voucher schools, ou les charter schools. Même s’ils sont payants, même s’ils font partie de réseaux qui acceptent ouvertement d’en tirer un profit économique, ces établissements auraient une vraie aptitude à satisfaire la demande en éducation, tout en réduisant des inégalités sociales que l’école publique ne parvient pas à dépasser.

A lire les « défenses et illustrations » d’un vaste marché de l’éducation, appelé à remplacer des systèmes nationaux, on s’interroge pourtant sur les critères qui définissent alors les finalités de l’éducation. Non tant sur leur dimension pragmatique, qui a bien sûr son importance, mais sur cette antithèse avec tout ce qui avait rendu souhaitable, dans les années 60, l’extension au plus grand nombre d’une formation générale jusque là réservée à l’élite. L’apprentissage de l’abstraction, celui de raisonnements argumentés, ne seraient pas une finalité réaliste de l’enseignement de masse. Pourquoi vouloir enseigner à tous les mathématiques, quand les ordinateurs, dont chacun est familier, permettent de s’en dispenser ?

Ressources et problèmes du système d’enseignement allemand

Le système d’enseignement allemand s’inscrit dans une histoire qui fait de l’éducation un bien commun, un bien dont l’accès doit être de plus en plus ouvert. A la fin du XIXe siècle, les formations de base et les formations de l’élite étaient clairement distinguées par des filières étanches les unes par rapport aux autres : d’un côté, l’enseignement de base ( Grundschulen, Realschulen, complété par l’apprentissage ou une formation professionnelle), avec ses établissements et ses professeurs propres ; de l’autre, les Gymnasien, suivis de la formation à l’université, ouvrant l’accès à des responsabilités professionnelles diversifiées, tous les professeurs ayant des diplômes universitaires. Mais après la seconde guerre mondiale, la demande d’enseignement explose, non pas en raison de la démographie, mais parce que la croissance économique a complètement transformé les modalités d’accès au marché du travail et celles de la vie professionnelle. Il est devenu essentiel d’embaucher des personnels capables d’adaptation rapide, sans avoir à souffrir du manque à gagner d’une formation menacée de rapide vieillissement.

Comme dans toutes les sociétés occidentales, on observe la volonté d’élargir au plus grand nombre des exigences jusqu’alors réservées au seul enseignement d’élite. L’idée du collège unique n’est pas seulement française. Elle est apparue partout, aux Etats-Unis, au Royaume Uni, et bien sûr en Allemagne. Mais partout, cet élargissement s’est fait dans l’urgence et partout, il a posé des problèmes - recrutement du corps enseignant, aménagement des contenus d’enseignement, ouverture de l’enseignement supérieur…

Cependant, dès la fin du XIXe siècle, le système d’enseignement allemand présentait des caractéristiques propres, tant pour la formation de base que pour celle de l’élite. Elles ont longtemps permis l’aménagement de rapports harmonieux entre l’offre et la demande d’enseignement.

En effet, aucune formation de base ne se concevait dans les seules limites des apprentissages du calcul, de l’écriture et de la lecture. A la scolarisation dans une Grundschule (6 à 14 ans) s’ajoutait, soit un temps d’apprentissage sous forme d’enseignement alterné, soit un temps dans les Realschulen (établissements d’enseignement secondaire sans langues anciennes), suivi d’un enseignement professionnel alterné.

La régulation du cursus de base par la formation alternée 3, complémentaire et obligatoire, a permis d’associer des professeurs d’enseignement général et des responsables d’entreprise dans un souci commun d’une éducation utile. Elle a évité aux élèves de recevoir une formation professionnelle trop étroitement définie, leur donnant ainsi quelque moyen de s’adapter à des transformations d’emplois. Elle a longtemps permis un accompagnement souple des transformations du marché du travail.

Par ailleurs, la formation de l’élite se proposait, quoi qu’il en soit des perspectives professionnelles et de leur technicité propre, de donner des outils généralistes d’analyse et de réflexion.

Une des caractéristiques du système allemand réside dans le mode de fonctionnement de ses universités. Depuis le début du XIXe siècle, elles ont pour compétence première de proposer une formation générale dans diverses disciplines, en contribuant par la recherche à leurs développements, leurs transformations, leurs élargissements. Les universités allemandes sont libres de définir leur enseignement. Sauf pour la médecine et le droit, elles n’ont pas de responsabilités spécifiques en matière de formation professionnelle, sinon celles qu’elles jugent importantes. Cette grande autonomie ne se conçoit évidemment que dans l’exigence de donner aux étudiants les capacités de réflexion et d’analyse pour leur permettre d’exercer des responsabilités professionnelles, dans leur complexité. Cette autonomie a bien sûr un coût.

Plus largement, la gestion de tout le système éducatif, fondée sur l’articulation de responsabilités régionales et fédérales, a toujours pu respecter une large capacité d’initiative aux établissements. L’équilibre acquis au début du xxe siècle fut remis en question par l’élargissement de la demande après la seconde guerre mondiale. De multiples aménagements furent apportés à l’offre d’enseignement. Ils portèrent sur toutes les catégories d’établissements, sur la formation des enseignants (de la responsabilité des universités), sur les modes d’accès, élargis, aux universités. Plusieurs universités technologiques furent créées.

Mais la pression du marché de l’emploi, avec la confrontation à un ordre économique international et l’augmentation du chômage, interroge aujourd’hui un système public considéré comme coûteux. Les réformes engagées au début des années 60 ont été, dans les années 80, l’objet de critiques multiples.

Comme dans d’autres pays d’Europe, la référence nationale perd sa pertinence. Cette échelle est-elle la bonne pour évaluer si le coût d’une réforme est ou non trop élevé ? Mais faut-il pour autant renoncer à des responsabilités publiques fortes en matière d’enseignement, et préférer un grand marché mondial de l’éducation. Le chemin parcouru par les systèmes d’enseignement public, les ouvertures, les espérances, malgré les difficultés, ne peuvent être traités par profits et pertes. Un « illettrisme » injuste risquerait de s’accroître et d’accroître l’obscurité du monde. Alors peut-être faut-il plutôt penser à une perspective européenne dans laquelle l’éducation serait vraiment un bien commun, notamment parce qu’il ne limiterait pas son horizon au seul immédiat.



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1 / Connaissances et compétences : des atouts pour la vie. Premiers résultats du programme international de l’Ocde pour le suivi des acquis des élèves, Ocde, Paris, 2001.

2 / François Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil, 2002.

3 / Lucie Tanguy, Annick Kieffer, L’école et l’entreprise, l’expérience des deux Allemagnes, La Documentation française, 1982.


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