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Dossier : La cause de l'éducation

Finalités de l'éducation ; clivages et débats britanniques

©LizMarie/Flickr/CC
©LizMarie/Flickr/CC
Resumé L'école anglaise parle davantage d'équité que d'égalité des chances. Elle pose aussi la question d'un marché scolaire.

Aujourd’hui, pour mettre en perspective les performances des systèmes éducatifs nationaux, l’Ocde, la Banque mondiale, l’Unesco, l’Union européenne proposent tout un éventail de statistiques et de rapports. Mais au-delà du factuel, du quantitatif et du descriptif, une approche plus explicative demande une compréhension des termes implicites ou explicites du contrat social sur lequel repose tout système éducatif moderne.

L’école française fait l’objet de critiques récurrentes. Un manque d’ouverture, en ignorant le droit de regard de la société (de la famille, du monde du travail) dans les affaires scolaires. Un manque d’adaptation par inadéquation de l’école à son environnement. De flexibilité, enfin, face aux attentes d’une clientèle toujours plus exigeante, critique et individualiste. Ces critiques sont tout autant d’actualité outre-Manche mais les termes du débat s’organisent différemment

Le dilemme de la méritocratie : égalité ou équité ?

L’instrumentalisation sociale de l’école, après avoir été largement dénoncée dans les années 60 et 70, semble désormais intégrée dans les discours, en Grande-Bretagne bien plus qu’en France. Pourtant, la comparaison France/Angleterre permet de vérifier la pertinence du postulat de la structuration sociale selon lequel les sociétés démocratiques modernes évoluent en réfléchissant sur elles-mêmes, en intégrant cette réflexion dans les négociations du changement social. Cela n’empêche pas les conflits sociaux mais les canalise selon des normes acceptables.

La société outre-Manche admet la possibilité de discriminations positives sur des bases communautaires (race, religion), sexuées ou sociales. Toutes les grandes institutions nationales (l’appareil judiciaire, les forces de police, la BBC) sont régulièrement confrontées à l’obligation d’une autocritique sur ce point. L’éducation, par le rôle pivot qu’elle joue dans la symbolique méritocratique, se retrouve inévitablement en première ligne. Mais en Angleterre la question renvoie moins à une notion d’égalité des chances remettant en cause la sélection scolaire et surtout les moyens de cette sélection, qu’à celle d’équité d’accès et de résultats.

La France et l’Angleterre représentent ici deux pôles idéologiques. L’un cherche à préserver l’école de tout questionnement, pour mieux rejeter la faute sur la société dans son ensemble, en proposant tour à tour des modes d’action autoritaires ou sociologisants. L’autre utilise l’école comme bouc émissaire, pour mieux faire oublier la démission du politique dans d’autres domaines. Le deuxième cas de figure résume la situation anglaise.

L’école anglaise est le reflet d’une société qui se perçoit à travers le prisme de sa structure de classes, de ses composantes ethniques et de ses composantes sexuées. Elle est aussi le reflet d’une société qui a laissé se multiplier les sources d’inégalités sociales au point de disqualifier tout discours sur l’égalité des chances. L’équité scolaire devient dès lors une notion bien pratique : elle joue sur un registre multiculturaliste (au sens large), admis et revendiqué pour réformer l’école, tout en évitant de poser des questions d’ensemble.

Formation intellectuelle, formation professionnelle

Parallèlement à ces débats, s’est développé un discours économique à propos des finalités de l’école. Celui-ci a mis en avant la notion de « capital humain » dans les analyses et la justification des réformes. La valeur du capital humain repose sur des calculs de rentabilités brutes et relatives, sociales et personnelles, avec comme postulat l’idée que les différentiels de revenus entre salariés reflètent leurs différences de productivité, qui elles-mêmes sont liées à leur niveau d’éducation/qualification. D’où cette conclusion, parmi d’autres : beaucoup de femmes sont surqualifiées car elles occupent des emplois sous-payés par rapport à leur qualification ! Naturellement, cette approche ne vaut que par ce qu’elle tait.

Elle a pourtant permis de justifier en partie l’augmentation des taux de participation à tous les niveaux, afin d’augmenter la richesse nationale, avec par exemple la récente introduction de frais de scolarité universitaires substantiels. Un diplôme universitaire se révélant plus rentable pour un individu (en termes d’emploi et de salaire) que pour la société (citoyenneté, fiscalité), il est logique de demander aux individus de contribuer financièrement à l’acquisition de ces avantages.

Le capital humain pose la question de la finalité de l’école. Mais la réponse est unidimensionnelle : cette finalité est avant tout économique, pour les individus et pour la société. Pour la même raison, le rôle professionnalisant de l’école a été encouragé : expérience d’entreprenariat au primaire, options professionnalisantes, compétences transversales et transférables dans le secondaire, encouragement politique pour les partenariats écoles-entreprises ( City technology colleges, Education action zones). En filigrane se trouve posée la question d’un projet unifié entre l’école et la société dont elle dépend.

Dilemme entre consumérisme scolaire et pilotage étatique

Depuis une trentaine d’années, deux grands principes ont guidé l’action des gouvernements britanniques en matière scolaire : favoriser le choix et préserver, voire améliorer, le niveau, dans un contexte de forte expansion des effectifs. Ces options renvoient à la genèse même du système éducatif anglais 1. Le choix (d’une école, d’une formation) s’inscrit dans une tradition pour laquelle l’éducation est d’abord une affaire privée, et par nécessité une préoccupation publique. En témoigne le rôle incontournable des « écoles indépendantes » (dont les fameuses public schools) dans le paysage scolaire.

Les années Thatcher furent marquées par l’opposition entre néo-libéraux et néo-conservateurs. Les uns souhaitaient élargir les bienfaits de la libre concurrence aux services publics, y compris l’éducation, via des « coupons d’achat » ( vouchers) subventionnés et distribués aux parents. Le niveau de financement des établissements scolaires aurait alors dépendu de leur capacité à générer une offre attractive.

Conscients des effets dévastateurs à moyen terme d’une telle politique, d’autres souhaitaient au contraire renforcer le rôle de l’administration centrale. Court-circuiter l’échelon local traditionnel, jugé dispendieux et peu réactif aux injonctions du gouvernement (car souvent dans l’opposition) permettait de piloter le système en fonction des objectifs politiques.

La loi sur l’éducation de 1988 et les réformes qui l’ont suivie ont été à mi-chemin entre ces deux options :

– choix : assouplissement de la carte scolaire 2, gestion collégiale mais individualisée des établissements ( Local management of schools), prime à l’effectif, remise en cause du collège unique ( comprehensive schools) en faveur de collèges spécialisés (en langue, en technologie…), modularisation des savoirs, multiplication des formules optionnelles…

– pilotage : mise en place de programmes scolaires ( National curriculum), tests d’évaluation à 7, 11, 13 et 16 ans, inspections, évaluations et classements des établissements en fonction des résultats des élèves, part de salaires au mérite pour les enseignants…

Dans les faits, un marché scolaire administré s’est mis en place, autour d’une mesure des performances, destinée à informer les consommateurs (parents, élèves, employeurs) et à satisfaire le contribuable. Le récent scandale des A-Levels3 (l’équivalent du baccalauréat) illustre les effets pervers de la dictature du quantitatif et du management par les résultats. L’accroissement rapide des taux de réussite peut s’expliquer de deux manières : par de véritables efforts pédagogiques et financiers, ou par la capacité du système à adapter superficiellement ses pratiques aux objectifs fixés. C’est peut-être pour cela que M. Xavier Darcos, ministre français, est revenu de son voyage en Angleterre en vantant le temps de présence obligatoire des enseignants mais en déplorant le peu d’accent mis sur l’apprentissage des savoirs.

Le politique est-il incontournable ?

Face aux limites de l’approche égalitariste et volontariste, la tentation est forte pour les gouvernements de se désengager. Le discours d’une méritocratie équitable tente d’imposer la fiction d’une équivalence des cursus et des savoirs au nom du respect des différences. Le capital humain mesure la valeur de ce savoir à l’aune de la récompense financière qu’il commande. La valorisation du choix nie l’asymétrie de l’échange éducatif. Dans tous les cas, l’institution scolaire se retrouve soumise à un cadre qu’elle maîtrise peu mais dont l’importance relative lui est imposée par l’intermédiaire du politique. De l’école carrefour à l’école fourre-tout, il n’y a qu’un pas, souvent franchi par le politique dans son incapacité à mettre en oeuvre d’autres réformes plus… politiques !



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1 / M. Archer, Social origins of education systems, London, ed. Sage, 1979.

2 / A Londres, des parents véhiculant leur progéniture vers l’école de leur choix contribuent fortement à la congestion du trafic matinal. La valeur immobilière d’un appartement ou d’une maison peut dépendre de la proximité d’une bonne école.

3 / L’administration centrale a été soupçonnée d’avoir exercé des pressions pour que certaines notes soient baissées, afin de ne pas « brader les diplômes ».


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