Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

On ne soigne pas un symptôme

Petit louis/Flickr/CC
Petit louis/Flickr/CC

Été 2012. Premier test social pour le nouveau gouvernement : les prix à la pompe flambent. Chaque jour, les médias se font l’écho de la grogne qui enfle chez les automobilistes et les professionnels. Une vision de long terme aurait dicté, moyennant quelques aménagements, d’entériner cette hausse des prix. Le gouvernement a préféré baisser les taxes sur les carburants pendant trois mois. Essuyant au passage une perte de 500 millions d’euros. Bienvenue dans le monde de la précarité énergétique ! Car l’épisode est significatif : fallait-il sacrifier le social sur l’autel de l’environnement et du long terme ?

La vulnérabilité aux prix de l’énergie n’est pas un phénomène marginal. La voiture devient une contrainte pour beaucoup – notamment dans le rural et le périurbain – quand l’accès à l’emploi ou aux services publics en dépend (cf. J.-P. Orfeuil). Surtout, plus de 8 millions de personnes en France peinent aujourd’hui à se chauffer ou à régler leurs factures de gaz, d’électricité ou de fioul. Les énergéticiens s’inquiètent de la hausse des non-recouvrements. Devant l’insuffisance des aides publiques, les associations sont appelées à la rescousse, à l’instar du Secours catholique dont le budget énergie a crû de 90 % depuis 2004 (cf. F. Boulot).

Mais formuler ainsi le problème mène dans une impasse. Le pétrole bon marché se raréfie (« Pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens » !) et les prix mondiaux de l’énergie vont, malgré des accalmies temporaires, continuer d’augmenter. De plus, au rythme actuel, notre monde va tout droit vers un réchauffement de la planète de + 4 °C à + 6 °C d’ici la fin du siècle (le scénario le plus sombre esquissé par le Giec). Si l’on veut dévier de cette trajectoire, la France devra y contribuer en réduisant de 70 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, ce qui suppose une diminution drastique de sa consommation énergétique.

Freiner cette transition au nom des plus précaires, c’est aussi se défausser un peu vite. Tous les dispositifs de sobriété énergétique sont pensés pour les mieux lotis (cf. nos deux tables rondes) ! Leur dire que cela va s’arranger serait leur mentir. Et à bien d’autres aussi, car la vulnérabilité aux prix de l’énergie traverse toutes les classes sociales (cf. J. Vignon). Et elle pèse lourdement sur les comptes du pays : en 2012, les importations de gaz et de pétrole (69 milliards d’euros, en progression de 11 % par rapport à 2011) expliquent à elles seules le déficit commercial de la France (67 milliards).

Quant à la précarité, sa dimension énergétique n’en est finalement que le révélateur. Elle est ressentie plus douloureusement chez certaines populations, bien sûr. Mais pourquoi ? Ce n’est pas tant que les prix de l’énergie aient (encore) explosé. Si le voyant énergétique clignote, c’est que les ménages sont pris en tenaille entre des variables beaucoup plus lourdes : le tassement et la variabilité des revenus, l’explosion des prix de l’immobilier (cf. É. Lagandré), un aménagement du territoire facteur d’une forte dépendance à la voiture. Pour les quelque 621 000 familles modestes touchées par la précarité énergétique, il est urgent de repenser la péréquation entre consommateurs. La loi énergie adoptée par le Parlement en mars 2013 a bien étendu les tarifs sociaux. Mais on est encore loin de la redistribution opérée dans une ville comme Bogota, où le prix de l’électricité est 2,5 fois plus élevé dans les quartiers riches que dans les quartiers pauvres.

Qui plus est, cette réponse, bien que nécessaire, ne traite que le symptôme là où le mal est plus profond. À quand une taxe carbone pour anticiper la hausse des prix ? Comment assurer des ressources minimales aux plus modestes (cf. E. Combet) ? Faut-il laisser le marché fixer seul le prix de l’immobilier ? Quelle réponse des territoires au piège énergétique qui se referme sur les populations enclavées (cf. B. Fouilland) ? On ne saurait esquiver plus avant ces questions structurantes. Mais cessons de brandir le fanion de la justice sociale contre celui de la transition énergétique. Et la planète et les plus pauvres y perdraient.

Les plus lus

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Conditions du travail à Madagascar

Chaque société entretient avec la sphère du travail un rapport particulier qui dépend d’abord de sa culture et de son histoire, ensuite de son niveau de développement économique et social. L’exemple de Madagascar relève d’une situation globalement partagée par la plupart des pays africains subsahariens – sauf l’Afrique du Sud. Ces pays ont en commun la prédominance de la tradition et de l’oralité, et l’expérience de la domination coloniale. Et ils connaissent aujourd’hui des changements sociaux...

Libéralisme et socialisme

Resumé Le libéralisme et le socialisme semblent s’opposer comme deux philosophies de l’homme et de la société. Pourtant, le socialisme est aussi une philosophie de la liberté. Les penseurs libéraux ne se sont pas privés d’attaquer violemment, dès ses premières formulations, la « présomption fatale » du socialisme, aussi bien dans son idée de buts assignés à l’activité économique et à la vie sociale que dans sa philosophie de l’homme et de la liberté 1.À partir des années 1930, et plus encore apr...

Du même dossier

« Les tarifs sociaux ne suffisent plus »

Entretien - Quels problèmes l’énergie pose-t-elle aux Français ? Comment faire évoluer la facturation ? Comment faire payer le coût réel sans exclure des millions de ménages ? Que penser des lois en discussion ? En observateur aguerri, le médiateur national de l’énergie Denis Merville répond à nos questions. Quelle est la mission du médiateur national de l’énergie ?Denis Merville – Le médiateur national de l’énergie est une autorité administrative indépendante créée il y a cinq ans, dans un cont...

Quand la voiture devient contrainte

Commerces, logements, emplois… le succès massif de la voiture au XXe siècle a structuré l’espace. Menant dans l’impasse de nombreux Américains, étranglés entre des charges en hausse (logement, transport) et des revenus en baisse. Fragilisant aussi les Français vivant dans le périurbain ou le rural. Tout un modèle à repenser. La « success story » de l’automobile présente aujourd’hui son revers. Si le prix du carburant explosait, si les nécessités de la transition énergétique nous amenaient à moin...

Aides au logement : « Mieux accompagner »

Les aides à la rénovation existent. Cependant, le reste à charge est dissuasif et faire un emprunt, impossible pour certains propriétaires. D’autres ignorent l’existence même de ces dispositifs ou s’en méfient. Comment rendre ces aides plus efficaces ? L’accompagnement, l’information et la formation offrent quelques pistes. Existe-t-il actuellement un véritable droit à la rénovation ? Si oui, comment est-il mis en œuvre ?Gérard Dechy – Militant de l’autoréhabilitation accompagnée, j’aimerais, av...

Du même auteur

Chocolat amer

L’or brun. En Côte d’Ivoire, les fèves de cacao font vivre une bonne partie de la population. Mais elles aiguisent aussi les appétits. Non sans conséquences sur les fuites de capitaux, l’impossibilité de déloger la classe dirigeante et la violence  armée. C’est ce que révèle cette enquête… au goût amer. Un seul pays d’Afrique est leader mondial dans l’exportation d’une matière première a...

Pour une économie relationnelle

« On peut en savoir beaucoup sur quelqu’un à ses chaussures ; où il va, où il est allé ; qui il est ; qui il cherche à donner l’impression qu’il est ». À cette observation de Forrest Gump dans le film éponyme1, on pourrait ajouter : « Quel monde il invente ». Car l’analyse du secteur de la chaussure, objet du quotidien s’il en est, en dit long sur notre système économique. Un système qui divise. À commencer par les humains : quel acheteur est capable de mettre un visage derrière la fabrication ...

Libérons-nous de la prison !

Nous aurions pu, comme en 1990, intituler ce numéro « Dépeupler les prisons » (Projet, n° 222). Car de l’inventaire dressé alors, il n’y a pas grand-chose à retirer. Les conditions de vie en détention, notamment pour les courtes peines et les détenus en attente de jugement, restent indignes d’un pays qui se veut « patrie des droits de l’homme ». Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Sans mesurer que plus le parc pénit...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules