Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Le Secours catholique s’intéresse aux problèmes posés aux personnes en difficulté par les factures d’énergie depuis plus de trente ans (le premier dossier date de 1981). Il fut en première ligne pour obtenir les avancées successives qui ont abouti, avec la loi du 10 février 2000, à la reconnaissance du « droit pour tous à l’électricité », puis à un certain nombre de dispositions sur les tarifs sociaux, la prévention et la protection contre les coupures.
Dans plus de 2000 lieux d’accueil, sur tout le territoire français, des personnes sont reçues (venues spontanément ou envoyées par les assistantes sociales), pour demander des aides ou pour pouvoir payer des factures d’énergie. En 2011, 1 387 000 personnes ont été aidées. Leur revenu moyen (tous types de revenus confondus) était de 785 euros (500 euros par unité de consommation). Parmi elles, 22 % devaient faire face à des impayés d’énergie. Nos équipes vérifient d’abord que les aides publiques ont été demandées, avant de les compléter, au besoin, pour sortir la famille de ses difficultés et lui permettre de repartir.
Voici une quinzaine d’années, les pouvoirs publics ont mis en place des systèmes d’aides publiques, essentiellement via le Fonds solidarité logement (FSL) départemental. Dès lors, le Secours catholique avait cessé de donner des aides pour les factures d’énergie. Mais plusieurs délégations ont vite réalisé que l’action publique était insuffisante. Aujourd’hui, quasiment toutes donnent des aides à l’énergie, car les demandes ont beaucoup augmenté. D’où une contribution financière globale du Secours catholique en hausse de 90 % entre 2004 et 2012.
Les aides à l’énergie du Secours catholique ont connu une hausse de 90 % entre 2004 et 2012.
Pour prévenir ces situations d’impayés – notamment les dettes importantes pour lesquelles des solutions sont difficiles, voire impossibles, à trouver – entraînant les personnes dans la spirale du surendettement, il est important d’en comprendre les causes et les processus qui y conduisent. Aussi avons-nous demandé aux délégations départementales, au printemps 2012, de nous envoyer des dossiers emblématiques. Nous avons analysé les réponses de cinq d’entre elles (Ain, Ariège-Garonne, Cantal, Berry et Haute-Loire)1. Les informations devaient être les plus exhaustives possibles : composition de la famille, ressources, type et état du logement (isolation thermique…), dépenses d’énergie, historique des dernières factures, aides demandées et obtenues. Sans être tous complets, ces dossiers permettent de déterminer la cause principale de l’impayé, le processus de constitution de la dette, ses conséquences et les limites des aides reçues.
56 % des familles ont des ressources mensuelles de moins de 1000 euros et, pour 68 % d’entres elles, les factures d’énergie sont supérieures à 10 % de leurs ressources. Plusieurs dossiers mentionnent comme cause supplémentaire la mauvaise gestion du budget et la préexistence d’autres dettes. De façon plus minoritaire, d’autres motifs apparaissent. Dans 17 % des cas, les logements sont mal isolés. Pour 10 % des familles, il est fait état de problèmes avec l’énergéticien : factures contestées, compteur non relevé pendant une longue période… Enfin, 19 % se sont retrouvées, après une longue période de paiement d’avances sur consommation, devant une facture de régularisation incompatible avec leurs ressources.
Dans 44 % des dossiers, le montant de la dette est supérieur à 1000 euros (comparable au niveau des ressources mensuelles), jusqu’à 4350 euros dans un cas. La façon dont la dette s’est constituée est rarement abordée. Mais ces grosses dettes semblent découler d’une accumulation d’impayés pendant plusieurs mois grâce à la protection de coupure induite par le dépôt d’un dossier FSL, la protection hivernale ou par la politique de l’énergéticien (un paiement partiel bloque la menace de coupure) ou son inertie.
Portraits de précaires énergétiques
Mme X. a 26 ans. Elle recherche un emploi et vit seule dans un studio du parc public chauffé au gaz. Ses ressources ? 580 euros par mois. Sa facture mensuelle de gaz ? 70 euros. Ayant vécu sans ressources avant ses 25 ans, elle a contracté des dettes et n’a payé que très partiellement ses factures de gaz et d’électricité, de sorte qu’elle doit 200 euros de loyer et 600 euros de gaz. L’énergéticien a exigé un versement immédiat de 150 euros qui n’a pas pu être fait : sa fourniture a été limitée en puissance. L’aide éventuelle du Fonds solidarité logement (FSL) est bien inférieure à cette dette.
Mme Y. a 65 ans. Elle vit avec ses deux enfants, de 32 et 22 ans, en recherche d’emploi. Les ressources sont constituées de l’allocation aux adultes handicapés et du RSA pour un de ses fils : au total, 1640 euros par mois. Le montant de leurs charges courantes atteint 800 euros. Après avoir payé des mensualités d’énergie de 113 euros, la famille reçoit une facture de régularisation de 780 euros qu’elle est incapable de payer en totalité. Le FSL, le centre communal d’action sociale et des associations sont sollicités.
Les conséquences ne sont pas faciles à appréhender. Mais elles peuvent conduire à des privations, voire, pour une famille, à une absence totale de chauffage. En cas d’impayés, des procédures complexes ont été mises en place pour éviter une coupure de gaz ou d’électricité. L’information donnée aux services sociaux de la commune et du département par les énergéticiens de la menace de coupure a pour objectif d’entraîner l’instruction d’une aide du FSL. Il n’est pas possible de couper l’énergie pendant cette période d’instruction, ni pendant la période hivernale à une personne qui a obtenu une aide du FSL l’année précédente. Mais ces dispositions, semble-t-il, ne fonctionnent pas toujours !
Depuis quelques années, il existe des tarifs sociaux sur une partie de la consommation, pour l’électricité et le gaz, mais la réduction qui en résulte reste faible : une dizaine d’euros par mois.
Les conditions d’une aide du FSL pour résorber les dettes (notamment les conditions de ressources) dépendent de chaque Conseil général. Or on observe des différences très importantes entre départements. Dans 42 % des dossiers étudiés, l’aide n’a pas été accordée car la demande n’entrait pas dans les critères du FSL : aide récente, famille à laquelle on a coupé l’énergie, ressources trop élevées par rapport au montant maximum du règlement (c’est le cas d’une personne bénéficiant comme seule ressource de l’allocation aux adultes handicapés !). Le montant de l’aide est en général bien inférieur à la dette (383 euros en moyenne, 800 euros au maximum).
Dès lors, l’assistante sociale du Conseil général essaie de compléter les aides en s’adressant aux associations. Sur les dossiers étudiés, le Secours catholique a adressé un refus dans 12 % des cas. Dans les autres, l’aide se monte en moyenne à 211 euros, fournissant ici un complément très significatif à l’aide du FSL – au plan national, les aides du Secours s’élèvent à 1,6 million d’euros contre 80 millions pour celles du FSL.
Cette analyse renforce notre détermination à agir auprès des institutions. Nous proposons une amélioration des aides, dont une part significative devrait être consacrée à la prévention (en particulier l’isolation thermique), une réduction plus forte des factures grâce aux tarifs sociaux (en faisant davantage jouer la solidarité entre clients, voir encadré) et l’étalement des échéanciers, après une période d’impayés, en fonction des capacités de paiement. La période de protection des coupures devrait d’ailleurs être mieux utilisée pour trouver une solution à l’endettement. Nous prônons enfin l’encadrement par l’État des conditions de ressources et du montant des aides FSL, afin qu’une même situation cesse d’être traitée différemment selon les départements.
La CSPE, je la paie, mais qu’est-ce que c’est ?
Payée par tous les consommateurs finaux d’électricité, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) permet de rétribuer EDF pour les surcoûts liés à sa mission de service public. Il s’agit en particulier de :
- l’obligation d’achat de l’électricité produite par la cogénération gaz et les énergies renouvelables ;- la péréquation tarifaire (le surcoût de la production électrique dans certaines zones non connectées au réseau, départements d’Outre-mer et Corse) ;- les aspects sociaux de la fourniture d’électricité, en particulier le tarif de première nécessité (TPN).
La CSPE représente environ 10 % de la facture, mais seulement 2,3 % de cette contribution sert à financer le tarif de première nécessité. Le financement du TPN se traduit donc in fine par une augmentation de la facture d’électricité d’environ 2 ‰.
1 L’échantillon (41 dossiers) est réduit, mais il donne un bon ordre de grandeur.